Une mère écrit une lettre à sa fille qui a quitté le Zimbabwe pour poursuivre ses études aux Etats-Unis, et lui raconte tout ce qu’elle ne lui a pas dit quand elle était encore auprès d’elle : l’Afrique de son enfance, la colonisation , la décolonisation, la ségrégation, la libération ratée, la dictature mais aussi la vie des femmes en Afrique hier et aujourd’hui.
«C’est le privilège d’une vieille femme de transmettre sa sagesse. Je n’ai rien d’autre à te donner, » écrit cette mère zimbabwéenne issue de la nouvelle bourgeoisie noire aisée, dans un longue lettre comme Mariama Bâ, à sa fille qui est partie aux Etats-Unis pour poursuivre de brillantes études. Elle veut écrire cette lettre pour dire tout ce qu’elle n’a pas pu, su, dire avant ou que sa fille n’a pas voulu écouter.
Elle raconte ses origines, sa vie dans un petit village de la brousse, les difficultés quotidiennes mais aussi la communion avec la nature qui, elle, ne triche jamais pour que sa fille sache bien d’où elle vient, où sont ses racines et qu’un jour elle puisse les retrouver. « Tous ces souvenirs-là t’appartiennent, tout ce trésor de nos petites traditions. Que tu les acceptes ou les rejettes, ils sont le fondement de ton être. Ce sont tes racines. Dans les années à venir, tu t’en nourriras. »
Elle lui raconte aussi la colonisation, l’humiliation, la ségrégation, la honte, qui ont engendré la rébellion et la lutte qui, elles, ont débouché sur la victoire, la libération, l’indépendance, la liberté de disposer de soi-même. Mais, elle dit aussi que les autochtones n’ont pas su imposer leur identité, leurs valeurs, qu’ils n’ont pas su créer une nation unie et solidaire, qu’ils se sont contentés d’imiter, de singer, les blancs et finalement de sombrer dans le travers des dictatures. « Nous présentions tous les symptômes du syndrome postcolonial, endémique en Afrique : besoin d’acquérir, d’imiter, et manque d’imagination. Nous ne faisions que nous précipiter sur tout ce que détenaient les coloniaux ».
Pour moi ce livre comporte deux parties, une première qui évoque avec beaucoup de lucidité, l’Afrique authentique et originelle, avec ses qualités et ses défauts, l’Afrique dont chaque Africain devrait être fier et pour l’avenir de qui il devrait s’investir sans retenue, l’Afrique qui devrait s’épanouir grâce à toutes ses richesses humaines et naturelles. Et, une seconde partie beaucoup moins originale, hélas, qui reprend le discours habituel, incontournable, obligatoire bien sûr, mais qui n’apporte plus rien au débat, le fameux discours sur l’esclavage, lé ségrégation, la colonisation, la néo-colonisation, cette longue lamentation que tout le monde a bien compris depuis longtemps, cette forme de jérémiade qui sclérose toute autre forme d’action. A force de vouloir stigmatiser les autres, certains intellectuels, vivant souvent en Europe ou en Amérique, ont fini par oublier qu’il fallait aussi agir. Et, Nozipo Maraire est tombée, elle aussi, un peu dans ce piège, elle n’a pas su rester sur l’élan de sa première partie où elle intimait à sa fille : « Ne permets à personne de te définir, ni de définir ton pays. » J’attendais cette affirmation d’une Afrique africaine gouvernée par des Africains et non cette Afrique laissée aux mains des médiocres qui combinent avec tous les exploiteurs et trafiquants de la planète pour épuiser le pays. Nozipo, n’a pas suivi Léonora Miano jusqu’au bout du chemin qui devrait conduire ce continent vers sa vraie libération et son épanouissement..
On pourrait aussi reprocher à Nozipo d’avoir trop voulu chercher des responsables ailleurs en oubliant ce que des intellectuels comme Ibrahima Ly nous ont appris depuis longtemps, que le commerce des esclaves ne commençait pas à Gorée, ou autres ports d’embarquement, et que les esclaves n’arrivaient pas par hasard dans ses ports.
Cependant, ce livre reste un excellent témoignage sur ce que l’Afrique a vécu depuis un demi-siècle et sur la situation dans laquelle, elle est aujourd’hui et que si elle va mal c’est peut-être aussi parce que : «Si nos esprits les plus brillants s’en vont pour ne jamais revenir, il n’est pas étonnant que nous n’ayons que des chefs médiocres pour guider nos nations, … » Voilà un début de réponse qui aurait mérité un plus long développement et une mise en perspective plus constructive que l’éternel discours sur la faute des plus forts.
Cette lettre est aussi une lettre d’une femme à une autre femme qui lui parle de sentimentalité, de sexualité, de la place de la femme dans l’Afrique d’avant et dans celle de maintenant. Une confidence également, en forme de confession, sur son manque de courage, sur sa résignation, mais également les excuses qu’elle peut faire valoir comme fille aînée en charge de la famille aux côtés de la mère. Et pour finir, elle s’en remet à Dieu comme tous les Africains car « de tous les peuples de Dieu, nous sommes celui qui a renoncé, avec le plus de constance à la vie sur cette terre pour mettre ses espoirs dans l’autre monde. Mais, si cet autre monde ne devait jamais venir ? » Et, si cet autre monde n’existe pas, « L’Afrique sera ce que toi et tes semblables en feront. » Zenzélé connait la mission qui lui est assignée par sa mère, elle sait désormais qu’elle appartient à deux cultures et qu’un jour elle devra revenir à ses origines.