J’aimerais aujourd’hui encore parler de choses frivoles et légères (sanook)… des adjectifs qui siéent aux thaïs en général ; c’est ce qu’ils donnent à voir d’eux-mêmes en tout cas, ce qu’ils aiment proclamer avec une certaine fierté.
Lorsque j’enseignais à Udon Thani, les professeurs m’avaient fait comprendre qu’il ne fallait pas espérer retenir la pleine attention de mes élèves plus de dix minutes consécutives. Créer des petits breaks, je savais faire, je n’avais qu’à essayer de parler avec l’accent isaan et c’était le fou rire assuré. Je ne vous dirai pas ce que j’ai dit un jour, en utilisant les mauvais tons… et puis si… je le dis quand même, vous avez droit, vous aussi, à un break, après toutes ces discussions sur la politique, les « chemises rouges », l’état d’urgence, la suppression des sites internet etc.… bref, j’ai voulu dire à mes élèves de Maw 5, Maw 6 (l’équivalent de première, terminale) : « Dans mon pays il neige ».
« Thee prathet farangset khong shan, mee hima tok », mais j’ai utilisé les mauvais tons et au lieu de parler de « neige qui tombe »(หิมะตก) j’ai dit : « vagin de chienne tombe » (หีหมาตก). J’en ai fait d’autres. Pas pires, mais suffisamment drôles pour que, l’année suivante, alors que j’enseignais bénévolement l’anglais à un groupe de refugiés Karen à Mae Sariang, des profs de l’école publique m’invitent quasiment chaque soir chez elles à diner.
Il n’y avait pas grand-chose à faire a Mae Sariang et la compagnie chaleureuse de profs et de leur famille (en fait tout ce que la petite ville comptait de notables : police, directeur d’école, infirmière, directeur des eaux et forêts), me changeait de la solitude de ma guest-house où n’émettaient que des chaînes de télévision thaïes. Je me suis vite rendu compte que je « faisais le show » (une façon de payer mon dîner). Je remplaçais les programmes de télé et je devais même être plus drôle que certains « soap » au point que le patron de ma guest house , me voyant sortir chaque soir, me fasse remarquer : « Vous avez décidément beaucoup d’amis »
Ce à quoi je répondais : « Des amis peut-être, des spectateurs, sûrement ». Je crois ne pas avoir raté un seul anniversaire du groupe durant les quelques mois passés dans cette charmante petite ville de montagne. (qui restera toujours dans mon cœur : à cause des Karens). L’anglais parlé par mes amis – généreux autant qu’intéressés – ne dépassait pas celui du niveau d’une sixième d’un collège d’une zone défavorisée en France (on dit comme ça, ou je suis politiquement incorrecte ?) D’où l’obligation de m’exprimer en thaï. J’ai même, à l’occasion, appris quelques mots de dialecte de cette région – différent de celui de Chiang Mai.
Karen Pwo, région Mae Sariang
Mais on ne m’a pas appris certains mots comme : « unité » (samakkhi), paix et ordre (khwaam sagnop rieproi), des mots revendiqués par les généraux pour justifier leurs « coups ». On était en 2004 et la constitution de 1997 n’avait pas encore été changée pour devenir celle de 2007 avec son « Internal Security Act », qui donnerait (selon Chang Noi) « de considérables pouvoirs au chef de l’armée. Qui serait même – sur beaucoup de points – plus puissant que le Premier Ministre, et n’aurait pas à répondre réellement de ses actes à quiconque. Une sorte d’état au-dessus de l’état. (Traduit littéralement de « jungle book, Thailand’s politics 1996 – 2008)
J’ai parlé de politique ? Ça m’a échappé.
Ma bicyclette rouge a Mae Sariang
Grandeur et décrépitude
Pourquoi, venant à Bangkok pour la deux-cent quatre-vingt-dixième fois (en fait je n’ai jamais compté), je ne peux m’empêcher d’être fascinée et horrifiée par le dynamisme des constructions, la hauteur des immeubles, « l’époustouflance » du tape à l’œil des derniers condominiums avec piscine à chacun des étages – nobles s’entend – (ceux d’en haut bien sûr). Car plus on s’éloigne du sol plus c’est cher, plus la vue est belle (dites à un thaï que vous habitez au 2e
étage d’un immeuble à Paris, il sera épouvanté car il vous imaginera vivant dans les parkings) et moins l’air est vicié, loin des gaz d’échappements des voitures.
En bas, c’est trottoirs déglingués, fils électriques qui pendouillent, poubelles éventrées, cafards et rats, et gardiens dans leur
guérite qui « s’emmerdent à cent sous de l’heure » de jour comme de nuit ….Et je parle d’un des quartiers les plus chics de Bangkok, celui qui se trouve entre Lumpini et Chidlom. Luxe en l’air, disgrâce en bas. Car, oui, je marche. La nuit comme le jour. Mais ici on ne « piétonne » pas si
on est Bangkokien, on se déplace en voiture ou en moto. Quant à ceux des étages
nobles, ils sortent de leur immeuble en « Benz » !!
“Q la fierté d’appartenir” Q !! c’est sûrement pour Queen !!!
A Chiang Mai, dans mon quartier
tendance, on construit des immeubles « où il faut vivre” si on veut être
considéré comme un VIP (very important person) ou un « exécutive »
(directeur) . Appartements pour riches thaïs qui achètent pour placer leur
argent… mais gare à la bulle, ils ont déjà oublié 1997 !
Un immeuble, le mien, (considéré comme
chicos), après 4 ans d’existence commence à montrer des signes, non pas encore
de délabrement mais….de déclin. Les femmes de ménage (Birmane, Shan, Karen) ne
sont pas « encadrées » par un personnel qualifié, à quoi bon ? Elles « caressent » presque
sensuellement le sol, déplacent la poussière qui vient se coller- humidité et
chaleur aidant – dans les angles,
formant une petite masse de plus en plus solide et de plus en plus « indécrottable ».
Dans les escaliers (mais qui empruntent
les escaliers ?) si on ne cuisine pas beaucoup dans l’immeuble, on amène
souvent la nourriture de l’extérieur. La sauce tombe et s’incruste dans les plinthes
et les angles, quant au quartier poubelle, un masque est recommandé.
Durant les fêtes de Songkran, contrainte
de rester chez moi pour cause de convalescence, et n’ayant pas encore repris
mon vélo pour les mêmes raisons, je marchais vers mon coffeeshop pour le petit
déj. Le 2e jour de Songkran donc, dans la lumière rasante du matin, j’ai
vu un rat gros comme un chat, éventré et sanglant (une voiture venait de l’écraser)
au milieu de la chaussée. Sur lui, triomphant et goguenard, un oiseau (pas un
moineau du tout !) me narguait du regard. Autour : les restes de
la nuit : plastique, nourriture, bouteille et j’en passe…
Le lendemain, même heure, le rat sur
lequel était passé bon nombre de voitures, s’était aplati, mais il était toujours là. Et
ainsi chacun des jours suivants. Aujourd’hui, incrusté dans le bitume, il fait corps avec la chaussée. Sauf sa queue – très longue – qui s’était détachée
le 3è jour, telle une corde… Elle a mis beaucoup plus de temps pour disparaître dans le goudron.
On nettoie les rues ? Non, on
attend que les pluies charrient tout vers les égouts. Dans les quartiers touristiques
de la vieille ville, l’extérieur et l’intérieur du moat ont été nettoyés après Songkran. Tourisme oblige. Pas à Nimmanhaemin, quartier branché thaï !
Délicieuse Thaïlande
La Thaïlande en passe de copier la Chine en matière de
visas touristiques.
L’Ambassade de Thaïlande où je me rends pour l’obtention de mon visa
touristique… Ma liberté c’est « d’aller et venir « à mon gré et selon
ma fantaisie (Mrs « paï paï maa maa » comme vient de me l’écrire la
rédactrice du magazine GAVROCHE dans lequel paraît ce mois-ci mon article sur
Udon Thani). Donc je « paï paï maa maa » (textuellement : “aller aller, venir venir” :
faire des allers et retours en bon français). J’ai pourtant un sublime
appartement (à mon nom) à Chiang Mai, mais la Thaïlande je ne l’aime que parce
que je peux m’éloigner d’elle, ainsi je la retrouve avec bonheur quand j’en ai
envie. J’ai besoin du « manque » pour aimer, j’suis faite comme ça. Si
on me disait « tu vas rester là toute l’année », je ne pourrais pas. Regarder
le riz pousser c’est amusant deux secondes mais pas à longueur de mois. Les thaïs
je les adore mais ils m’ennuient très vite. Pas possible de discuter
sérieusement cinéma, littérature, philosophie, pas moyen de remettre le monde
en question. Bon d’accord mon chéri chante et danse très bien, il est très drôle,
émouvant, d’une gentillesse qui m’émeut, mais j’ai besoin d’avoir les neurones
un peu excitées par le reste du monde.
Donc, scènes de vie à l’ambassade de Thaïlande ce matin.
Une très longue file attend pour « demande de visa » :
quelques adeptes de Pattaya qui en ont déjà la tenue : tongs et short fripé
(tout ce que j’aime à Paris !), retraités mariés, un couple
franco-français, et au guichet un homme d’une trentaine d’années avec un gamin.
Naïvement il demande : « Je veux des papiers pour émigrer en Thaïlande
» (désolée je commence à rire) « Vous avez un contrat de travail ? »
« Non, je veux aller là-bas pour voir ce que je peux faire, je veux m’installer
là-bas avec ma famille » « impossible, il vous faut un visa de
travail » « comment je peux l’obtenir ? » « faut
trouver un travail » « oui mais je veux aller là-bas d’abord » « tout
ce que je peux vous donner c’est un visa de 15 jours » « Et j’aurais
des renseignements sur place ? » La Thaïlande terre d’émigrés ! On
croit rêver. Je choppe le gars au passage : « vous avez beaucoup d’argent ? »
« Non juste un peu 5000 euros » « Vous voulez monter une
affaire, quel genre, un restaurant ? » « je ne suis pas
cuisinier, mais oui, un restaurant, pourquoi pas ! » Bon je ne l’ai
pas convaincu de garder ses 5000 euros…
Ce ne sont plus des aventuriers qui partent en Asie mais
des candidats au suicide. Je ne vais pas faire la liste ici des difficultés à
monter un business avec DU VRAI ARGENT. Le gars ne parlait pas anglais en plus, n’avait jamais consulté internet, avait juste entendu dire que…. Tout comme mon chauffeur de taxi hier, qui voulait à 72 ans, partir en Thaïlande et essayer d’y trouver un job… Bon, lui j’ai réussi à l’en dissuader. Finalement il m’a dit qu’il irait en Afrique faire de l’aquarelle.
Bon, la file avance, j’attends mon tour pour entendre que
je dois donner une photocopie de mon passeport (c’est nouveau de ce matin ou d’hier soir : ce n’est pas sur internet : « Amazing Thaïland ») et
une copie de mon compte en banque sur lequel je dois avoir 500 euros minimum !!!!
Re rires. La Thaïlande n’affirme pas ses ambitions, mais ça va venir. Que
fait-on en Thaïlande avec 500 euros car c’est ce qu’elle exige pour un séjour
de 2 mois !! Bon, la Thaïlande se trouve aujourd’hui confrontée à un
problème nouveau, après avoir invité les retraités à tour de bras à venir « passer
leur retraite au pays du sourire », certains ne peuvent pas assurer leurs
soins et se trouvent à la rue. En France
on soigne gratuitement, les réfugiés, les sans papiers et autres (CMU) la Thaïlande,
elle, ne veut pas assumer ces nouveaux miséreux venus d’occident. Elle a raison, chacun doit être responsable de
ses choix : le bar, les filles et, la maladie venant avec l’âge, l’hôpital !
A chacun de mes passages à l’ambassade de Thaïlande, je m’arrête
chez Carette pour un snack. C’est hyper chicos, bobos friqués, hommes
politiques et toutes sortes de réfugiés…. Réfugiés d’Iran (mes voisins), de
Syrie, du Liban… mais des réfugiés sans problème d’argent apparemment.
Sur le chemin du retour, dans le métro, j’attrape l’image :
« Délicieuse Thaïlande », ça ne s’invente pas….
Gloire, Beauté, Arnaques et…. Humour toujours
Breakfast time : majorité de chinois, quelques japonais, un peu d’indiens et des arabes, peu d’européens, Une femme seule : moi ! Début d’arnaque aux voyageurs/touristes. Face à l’hotel sous le pont-parking pas très ragoûtant, des hommes et des femmes font des massages, recurent des oreilles, coupent et liment des ongles de doigts de pieds avec des outils rouillés et loin d’être hygiéniques… Comme on me demande à chaque passage : « massage ? » je finis par répondre « ok »… Comme il y a 10 ans. Donc sous ce pont, c’est la tradition. « Combien » ? « 2000 kyats » (environ 2 euros).
Une femme me malaxe les épaules moins de 5 minutes montre en main et passe la main à un garçon, lui faisant signe de continuer. Genre, pas de problème c’est comme mon fis. Lui me masse les mollets puis au bout de 5 minutes s’attaque au dos. Et pas plus longtemps. Enfin, il me réclame 4000 kyats. Je ne renâcle pas, je lui tends les 4 billets de 1000 kyats et dit : “2000 pour toi et 2000 pour la femme”. Il acquiesce. Un peu rapidement à mon goût. Fait comme si il avait compris.
Je m’éloigne en direction de l’hotel. La femme me hèle : « Eh mes 2000 kyats ! » « Mais je les ai donnés au garçon ! » je lui réponds. « Mais non, tu me dois 2000 kyats, lui je ne le connais pas. ». Je paye et mets ça, magnanime, sur le dos de l’incompréhension, Incompréhension ? Je suis indulgente parce que j’ai les moyens de l’être, que je n’aime pas discuter, et que, surtout, je ne dispose pas de la langue pour le faire….mais bien sûr je me suis fait gentiment « arnaquée”
Comme je suis plutôt philosophe, surtout lorsque je voyage, ce qui arrive souvent, je me souviens avoir noté sur un des petits carnets qui me suivent un peu partout, cette phrase de Gabriel Defert (ca concernait l’aide humanitaire je pense) : « L’entreprise du « méchant » génère forcément sa contrepartie, le « gentil » dont on arbore les droits sans toujours se donner la peine de mesurer leurs contradictions ». Toujours se souvenir de ça,
« La Birmanie offre par la perception que l’occident a de ses dirigeants, un cadre conceptuel simple. Parce que le régime militaire (ex militaire !) au pouvoir depuis 1962 est conçu comme l’oppresseur, le « bon droit » est défini par le simple fait de s’y opposer, ou tout simplement d’en être la victime ».
Chaque acte, initiative ou démarche est à mettre sur le compte de l’expérience. Le monde n’est ni noir ni blanc, il navigue entre les deux, avec de temps en temps des tendances naturelles vers le noir et de temps en temps des tentations de bonne volonté vers le blanc. C’est bien ce que nous sommes tous évidemment. Même si les « bonnes âmes » se voient du côté blanc. Ricanements.
Au fait, ici nous ne sommes pas des « farangs « comme en Thaïlande, mais des « kalaa ». Meme signification, même désignation pour l’étranger. L’agence qui m’a accueillie et a retenu mon hotel à Yangon, m’a offert un agenda-carnet de bord sur lequel je lis « Nous offrons nos services aux clients du monde entier afin qu’ils découvrent notre « glorious and glamorous », (notre glorieux pays et notre nation pleine de glamour).
Notre personnel vous offre une expérience unique et inoubliable pour votre plus grande satisfaction afin que vous exploriez le Myanmar, terre de mystère et sa magnifique civilisation… ». Je retrouve dans ce résumé (Il y en a 4 pages de cette littérature sublimissime), la faconde très « indienne » assez loin de la thaïlandaise-chinoise. Dans les petites agences de Rachadamnoen a Chiang Mai par exemple, on lit « visit hill tribes people. no see farang before » (visitez des ethnies de montagne qui n’ont jamais vu d’europeens !!) et tout à côté de la pancarte : « laundry 30 bahts le kilo”.
Thaïlande, Myanmar… des pays voisins, des pays qui vont être amenés à faire du business ensemble, la Thaïlande est à l’affut et déjà implantée au Myanmar…et beaucoup de birmans travaillent déjà chez celui qui se prend pour le « grand-frère » un peu donneur de leçon…. mais des ennemis irréductibles depuis toujours. Faut quand même se souvenir que si Shwedagon existe c’est grâce aux pillages de Sukhôtai et Ayutthaya. Et a cette époque, c’est la Birmanie qui était le « Grand frère » ! Même si dans les livres d’Histoire thaïs on raconte un peu differemment.
On verra, dans vingt ans, qui sera le grand frère de l’autre. Par la dialectique, la Birmanie a déjà gagné. Par le courage, la soumission, elle a encore gagné.… Alors ? Affaire à suivre.
Relation sans mot…. ou « Lost in translation »
J’ai toujours aimé parler dans une autre langue en plus de la mienne, ce n’est pas que je n’aime pas le français, c’est même la langue la plus belle et la plus limpide au monde pourvu que l’on sache s’en servir. Ce n’est pas pour rien qu’elle fut longtemps la langue des diplomates.
“Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
“Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
“L’expression la suit, ou moins nette ou plus pure
“Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement
“Et les mots pour le dire arrivent aisément
Il n’y a pas plus pure merveille que ces vers de Boileau. C’est lui qui a dit aussi « Sur le métier remettez cent fois votre ouvrage »
J’aime parler une autre langue parce que c’est la porte d’entrée sur la culture d’un pays, sa compréhension aussi. Parler plusieurs langues ne rend pas plus intelligent ou meilleur – il y a des cretins trilingues – mais ça rend plus « souple d’esprit » (important lorsqu’on vit dans un pays etranger), et ça apprend la relativité. C’est aussi une bonne gymnastique pour les neurones.
J’ai connu il y a quelques années un retraité français et sa petite amie Lissu. Il ne parlait ni anglais ni thaï, encore moins Lissu. Il se moquait de mon assiduité à étudier le thaï. « Moi et ma chérie on ne parle pas mais on se comprend n’est-ce pas ma chérie ? » demandait-il dans un grand éclat de rire plutôt séduisant à la petite qui aurait pu être sa petite fille. La petite mignonne disait oui à tout, pardon, elle avait appris à balancer la tête de bas en haut. Des gestes pour une nuit, d’accord, mais pour la vie ?
Il a épousé sa « petite » la bien-nommée. Elle l’a amené au village, quelque part au-dessus de Paï. Il a acheté le terrain réclamé par le beau-père (là, il y avait un traducteur). La petite a été très vite enceinte. Le bébé est né. Une petite fille dont – je l’appellerai Philippe – est tombé fou amoureux. « Je vais l’élever comme ça et comme ça »… sauf qu’après quelques mois, les deux « petites » sont retournées dans la famille Lissu et la fille a dit à Philippe : « tu auras juste un droit de visite » (qu’il est encore en train de négocier dans une officine d’avocats). Philippe a perdu ses illusions. Alors il paye pour une femme qui est partie et pour un enfant qu’il pleure. Il a perdu son sourire et il est au bord de la dépression, il croyait tellement à sa « relation sans mot ».
Andrew Biggs, australien très connu en Thaïlande – il est dans tous les médias thaïs – raconte dans le magazine « Brunch » d’hier, l’histoire d’un copain thaï qui hésitait à se marier à cause du « kha sin sot », traduit crûment en anglais par « bride price », le prix de la mariée. Pas très élégant. En thaï, c’est « la valeur de la fraîcheur » qu’on pourrait traduire aussi par le « prix de la virginité », « sot » voulant aussi dire « célibataire ».
« Tu achètes ta femme alors ? demande Briggs qui était plus jeune à l’époque de cette anecdote.
« Non, je lui « offre » de l’argent, c’est diffèrent, pas pareil du tout » répond Vichien (en pensant, « ces farangs ne comprennent rien »)
« En quoi exactement consiste cette dot ? »
« De l’argent et de l’or. »
« Combien ? »
« Ca dépend… 100 000 Bahts ou beaucoup plus.”
« Mais tu ne les as pas…. »
« Justement, j’allais te les emprunter… »
« Pas question. »
« Mais c’est juste un emprunt je te les rendrai après la cérémonie. »
« Ah oui et comment ? »
« La mère de ma femme me rendra l’argent aussitôt la cérémonie terminée. L’argent c’est pour le show. »
« Et si elle garde l’argent ? »
« Impossible, elle serait considérée comme quelqu’un d’avare et elle sait que j’ai emprunté. »
« L’argent est donc toujours retourné ? »
« Souvent, pas toujours. De toute façon il n’est pas destiné à être utilisé, c’est juste pour la « face », à la limite ce n’est pas du « vrai » argent. »
Ah ! Pas du vrai argent ! Mais pas une vraie virginité non plus !!
Beauté de celluloïd… une nouvelle forme d’esclavagisme
Avec Photoshop, les figures de la mode atteignent une perfection quasi absolue, les pinceaux virtuels gomment les ridules, l’acné, remontent les pommettes, allongent les yeux, remodèlent la forme du visage, repulpent les lèvres, blanchissent le teint et les dents et « What else ? » comme demande la fille de la publicité pour Nespresso… Ces filles sublimes, on ne risque donc pas de les croiser dans la rue, car si quelques top modèles ont recours à la chirurgie plastique, ça reste plutôt discret. Les actrices sur le retour elles, ne font bien souvent pas appel à des esthètes mais à des manipulateurs à la main lourde pour des résultats souvent effrayants. Faut dire qu’en France, on fait souvent jouer des rôles de jeunes mères à des actrices qui ont l’âge d’être grands-mères. En Thaïlande, comme en Asie, cette envie de perfection se manifeste très tôt. La beauté est non seulement un atout dans la vie mais c’est aussi « bankable ».
De passage à Bangkok, j’aime flâner à Central Chidlom, le grand magasin ultra chicos qui compte plus de vendeurs que de clients. J’y croise des beautés parfaites qui ont l’air sorties tout droit des bistouris magiques de Photoshop. Visages (jeunes) si parfaits, si tendus sur les pommettes, si botoxés qu’ils ressemblent à ceux des mannequins de celluloïd qui ornent les vitrines.
Les tailles des vêtements de « Central » correspondent au 34 thailandais- en dessous, c’est rayon enfants – mais le rêve des jolies thaïlandaises n’est pas seulement d’être filiformes mais d’avoir en plus, des vraies formes. Si elles ont entendu certaines réflexions d’occidentaux sur ces dites « formes » (« les asiatiques sont jolies mais elles n’ont pas de cul », pardon pour ces termes « empruntés ».), pas de surprise si maintenant elles cherchent à avoir des formes rebondies. Il est ainsi courant de se faire faire des injections dans la partie charnue (ou pas) de son anatomie. Ça s’appelle « injection to enlarge the patient’s buttocks »
Une jeune-femme, représentante d’un de ces produits (« filler ») se trouve aujourd’hui dans un coma irréversible après s’etre fait injecté « un remplissant » par un assistant de 24 ans d’une « beauty clinic » qui se faisait passer pour médecin.(voir le Bangkok Post de samedi, sous le titre FAKE DOCTOR ADMITTED TO INJECTION, COPS SAY )
Il faut savoir qu’en Thaïlande il n’y a pas vraiment de contrôle concernant ce domaine de l’esthétique et les « beauty clinics » fleurissent à tous les coins de rues, pardon de « soïs ». Le dernier « truc » pour se conformer aux diktats de la mode, aux tortionnaires qui la font et à ceux qui en sont esclaves volontaires, c’est de se faire injecter de la graisse sous la plante des pieds afin de pouvoir marcher avec des chaussures dont les talons sont si hauts, que les filles qui les portent marchent absolument sur la pointe de leurs pieds. Car en plus d’être jolies (ou de « vieillir avec grâce » comme l’écrit un journaliste du Bangkok Post), il faut aussi être « grand ». Enfin, pour reprendre encore un terme du journaliste du Bangkok Post : « se réinventer soi-même »
Et si les femmes obsédées par leur apparence – avec botox ou pas, avec « filler » ou pas – tentaient de renouveler la production de leurs neurones pour cesser d’être captives d’une nouvelle forme d’esclavagisme ? Pour ne plus être bagnardes de la mode ?
une alternative au “filler’, le “butty”
Et un jour… tellement botoxee… que ressembler a ca….
Appartenance
Dans les forums de discussions du Bangkok Post, on relève souvent ce genre de remarques : Pourquoi les thaïs adoptent-ils les programmes scolaires de l’occident (ouais… américain) tout en résistant à la façon d’apprendre ? Pourquoi les thaïs ont-ils adopté la démocratie sans la liberté de penser ou l’égalité ? Pourquoi les thaïs sont-ils heureux d’accueillir les étrangers alors qu’ils ont installé un système de double prix (étrangers/thaïs) ?
Voravaï du Bangkok Post répond à ces questions en renvoyant les lecteurs à l’histoire de son pays. Je me suis particulièrement intéressée à cette partie de l’Histoire du Siam, à l’époque des échanges
d’ambassades entre le roi Naraï et Louis XIV, car l’une de ces ambassades s’arrêta dans ma ville : Calais.
Extrait du journal du père Vachet : « A Calais, M. le duc de Charost, ami intime de la Mission, se fit une gloire d’ordonner dans tout son gouvernement, tant aux officiers de guerre qu’aux magistrats de ville, de ne rien omettre dans ces sortes de rencontres. Nous ne mîmes pied à terre que pour être reçus avec applaudissements de la noblesse, de la bourgeoisie et des soldats. Tous les principaux de la ville étaient sortis à notre rencontre, et les soldats sous les armes, tambour battant, étaient en haie ; ce fut de cette sorte que nous arrivâmes dans l’une des plus belles maisons, que l’on avait ornée plus qu’à l’ordinaire pour nous loger, où à peine fûmes nous entrés, que l’on servit un repas des plus magnifiques que j’aie encore vus. »
Ayuthaya était alors une ville plus cosmopolite que Londres. On y croisait des persans, des britanniques, des hollandais, des portugais, des français. Le Premier conseiller du roi Naraï était un drôle de flibustier un aventurier grec du nom de Phaulkon. Jamais activités commerciales et diplomatiques ne furent plus prospères qu’à cette époque d’Ayuthaya.
Pour repousser la trop puissante British East India Company, Naraï fit appel aux français dont certains sont élevés aux plus hauts rangs de l’aristocratie et de l’armée siamoise !! Les jésuites sont invités à installer leur église, mais forts de leur pouvoir, ils commencent à défier le clergé bouddhiste. Il y a même une rumeur qui prétend que le roi Naraï va se convertir au catholicisme (à la vérité, les persans avaient eux aussi – en vain – essayé de le convertir à l’islam. Aux pères missionnaires français, le roi Naraï – en bon siamois qu’il était- leur répond : « Si j’avais à choisir entre la religion mahométane et la catholique, je choisirais la catholique » ! ) Et voilà comment démarre une rumeur !! Jusqu’aux oreilles du roi soleil !
A cette époque, Ban Kok (l’actuelle Bangkok) et Thon Buri sont des forts français….. Inacceptables pour les forces conservatrices et le clergé bouddhiste. Il faut sauver le royaume de ces étrangers. Le Siam aux Siamois ! Lorsque Naraï meurt, son neveu Phra Petracha fait le siège de Ban Kok et finalement vire tous les étrangers du pays pour quasiment un siècle et le grec Phaulkon est exécuté.
Donc s’ouvrir aux étrangers sans adopter leur mentalité, sans subir leur influence…. Consciemment ou inconsciemment les autorités thaïes ont toujours cette histoire en tête. S’ouvrir au monde MAIS en gardant sa souveraineté. S’ouvrir aux autres en protégeant traditions, valeurs, identité. Ce que beaucoup appelle le nationalisme thaïlandais !
Etre « thaï » c’est avoir traversé une partie de l’Histoire ensemble, s’être battus pour les mêmes idées. C’est ce qui forme la psyché d’un peuple, même s’il est d’origine diverse.
Je sais de quoi je parle, j’ai un « look kreung » (métis) à la maison. Chinois par son grand-père venu un jour du Fujian, s’arrêtant du côté d’Uttaradit pour épouser une jolie siamoise… et plus thaï que lui tu meurs, plus bouddhiste aussi (récite ses mantras tous les soirs).
Comme quoi, être d’un pays, c’est avoir un bout d’histoire en commun, c’est surtout avoir des valeurs communes… quelle que soit l’origine.
Evocation et réalité… et les larmes d’une “femme ordinaire”
Gamine, j’avais dévoré, dans un quotidien que lisaient mes grands-parents, « la mousson » de Louis Bromfield. Des images – pas des photos – alternaient avec les textes, sur une bande, à la gauche d’une page du journal ; je crois bien que c’était « l’Aurore », aujourd’hui disparu. Un médecin enturbanné et au regard de braise (les dessins étaient très « appuyés » par le khôl que les indiens se mettaient sous les yeux), et une femme à la beauté distante de Deborah Kerr, tombaient follement amoureux, en dépit des interdits de cette rigide époque coloniale. Revoir aussi le film produit par James Ivory, « Chaleur et poussière » de Ruth Prawer Jhabvala ((britannique mariée à un indien).
Sous l’occupation britannique, « on » ne se mélangeait pas, sous peine d’être rejeté par sa « caste ». Ni l’une ni l’autre des communautés indienne et britannique n’étaient très tolérantes alors. Evidemment ce genre de passion qui bouleversait tout sur son passage, n’existait que dans les romans et dans ces pays si lointains que je n’avais aucune chance de m’y perdre un jour. Se mêlaient à ces récits, le piment de l’interdit, cet exotisme (maa jaak thang prathet), évoqué dans mon blog d’hier – que je me promettais, sans trop y croire, d’explorer un jour.
Et puis il y a eu « Sang et Volupté à Bali », introduction magistrale de Vicki Baum, aux premiers pas dans cette « île aimée des dieux » et aujourd’hui envahie par trop de touristes. Les descriptions fleuries des femmes balinaises, le courage des guerriers et des princes, contre les terribles coloniaux hollandais…restent toujours d’actualité pour comprendre ce petit bout d’Indonésie. Jean Hougron est venu plus tard. Dans ses « Asiates », des hommes ordinaires, petits fonctionnaires blancs insipides, tombaient amoureux de femmes à la peau de miel, pour des passions….très dévastatrices pour les familles bourgeoises en place.
Ces amours étaient la honte de la communauté française. Et toujours ce parfum d’interdit, d’effraction, et de violation de caste, le mot n’est pas trop fort… Les récits de Hougron vous catapultaient dans le pur fruit défendu des amours interculturelles et de leurs conséquences, les enfants métis, injustement méprisés, ils n’appartenaient plus à l’une ou l’autre culture, ces mêmes enfants « look krung », aujourd’hui… « presque » à la mode en Thaïlande et très recherchés par les medias, en particulier par la télévision.
Le monde a changé, il est devenu un peu plus « balisé » pour les voyageurs. Et le mot « backpacker », a remplacé celui de « routards ». Qu’importe, ce qui compte c’est la même curiosité et la même envie d’essayer de comprendre l’autre.
Hier, mes pas se sont perdus une fois de plus vers Ploenchit Road, Sala Daeng et Lumpini, là où les rouges continuent d’occuper misérablement les trottoirs de la ville. Une femme regardait intensément des images insupportables de ce qui a été un carnage le 10 avril dernier. Je me suis arrêtée moi aussi. Non pas par fascination pour ces photos, mais pour voir lucidement une réalité souvent occultée par son insupportable violence. En France tout au moins. Sirinath, m’a apostrophée : « Tu vois, ce sont mes frères… » Elle n’était ni « rouge », ni Issan, juste une passante de Bangkok. Elle a continué : « Et ça arrive dans mon pays…»
Et tout à coup, elle a craqué et éclaté en sanglots. Des sanglots discrets, retenus, qu’elle a tenté de cacher sous la visière de sa casquette. Je ne connaissais pas cette passante toute de noir vêtue, je pouvais m’éloigner discrètement et la laisser à son chagrin. Je n’ai pas pu. Je l’ai prise dans mes bras, et là, ses larmes ont vraiment coulé, sans retenue et ont fait venir les miennes. Est-ce que je suis « rouge » ? (Une accusation qui circule contre moi parait-il à Chiang Mai). Bien sûr que j’étais rouge, là, avec cette femme dans mes bras, avec ce chagrin inutile, avec ces morts elles aussi inutiles.
Pour des politiciens cupides qui se battent pour le pouvoir sur le dos de gens longtemps restés dans l’ignorance. « Travailler et respecter les riches, ils le méritent, selon les principes du karma »!!. On a parlé longuement Sirinath et moi… une femme ordinaire, avec un peu plus d’éducation que ces paysannes Issan, son anglais était excellent ». “Seule une vraie éducation pourra changer les choses en Thaïlande, et pas seulement l’argent (OK Mr Thaksin ?)” et puis on s’est difficilement séparées, avec « ses » mots : « Ton cœur à toi est aussi thaï ». J’ai promis de parler d’elle. Voilà, c’est fait.
Trahison, mépris, haine… et les larmes de Bouddha (tears of Buddha)
Je prends chaque matin mon café dans un endroit fréquenté assidument par des étudiants de l’Alliance Française toute proche, par un japonais marié à une française et qui vient ici faire ses exercices de thaï – le couple habite en partie à Bangkok – par une sublime et mortellement élégante ex-rédactrice en chef de “Cosmopolitan” New-York, et par quelques touristes de passage. L’endroit est simple mais bio.
C’est là que j’écris chaque matin depuis que je suis de retour à Paris. On y trouve surtout une presse internationale : italienne, arabe, espagnole et américaine aussi bien que française…Et du “Figaro” à “Libé”, il y en a pour toutes les tendances, sans oublier les sportifs et les frivoles avec le magazine “Elle” et “l’Equipe”. Je me nourris de tout, c’est le meilleur moyen je pense, de ne pas devenir fanatique, enfin je l’espère.
Ce matin, après une nuit scotchée à mon ordinateur, pour suivre au plus près les événements de Bangkok sur lesquels je m’étais juré de ne pas parler (ca fait trop mal, et il y a tant de haine sur le net), je feuillette l’hebdomadaire « Le Courrier International » et tombe sur l’article d’un journaliste russe Dimitri BYKOV. J’en retranscris ci-après une partie. Ceci pour vous prouver qu’on peut dire beaucoup de choses sans les dire expressément. Ceux qui me suivent depuis longtemps comprendront.
« Le pouvoir peut voler autant qu’il le désire, il peut ignorer la loi, cela tendrait même à le rendre sympathique en le rapprochant du peuple, mais s’il y a une chose qu’il ne peut pas faire, c’est afficher une désinvolture absolue, considérer la population comme un troupeau de parfaits imbéciles. Tel un ivrogne invétéré, le peuple russe, aussi sale et détestable soit-il, n’en exige pas moins d’être respecté. Le pouvoir qui négligerait ce trait de caractère essentiel courrait à sa perte. Il n’est pas obligé de nourrir le peuple, encore moins de lui dire la vérité, mais il ne doit en aucun cas le mépriser ouvertement ».
Je ne suis pas d’accord avec tous les termes, mais en changeant quelques qualificatifs, cette déclaration peut s’appliquer à tous les pays du monde et de tous les temps. Je poursuis donc ma lecture :
« Profitez de vos privilèges, mais en silence. Le véritable ras le bol est porté par des foules de citoyens ordinaires, dociles, qui la veille encore semblaient contents de tout….. (Quand la population réagit) alors il est déjà trop tard. Parce qu’il s’agit de cette majorité silencieuse qui, hier encore, était aussi impassible qu’un gaz inerte et aussi bienveillante et soumise que du bétail. Desormais, elle se voit comme une force. Elle s’est choisi un leader et elle a pris goût a l’action de la rue ».
Je poursuis mon exploration genre revue de presse et tombe sur une publicité pour un best-seller mondial, traduit en 43 langues : « Three cups of tea » de Greg MORTENSON. Il ecrit : “we can drop bombs, surge troops, put in roads, computers or electricity, but unless the girls are educated, a society will never change”. (On peut larguer des bombes, envoyer l’armée, construire des routes, installer l’électricité ou offrir des ordinateurs, tout le temps que les filles ne seront pas éduquées, une société ne peut changer)
Et je terminerai cette note par un commentaire écrit par une femme thaïe, après avoir visionne bon nombre de photos sur le chaos de Bangkok :
“Can these pictures tell how and where the protesters get so much anger? Something lies beneath”.
Et elle signe :
Thai til next life (Thaïe jusqu’à ma prochaine vie)
Beaucoup de gens pleurent aujourd’hui et pleureront encore longtemps. Peut-être que le Bouddha pleure aussi.
Points de rencontre « intime » entre Myanmar et Thaïlande ?
Loin de mes repères de Chiang Mai, mon appétit et mon œil derrière la camera s’affûtent, tandis que ma vie – très provisoire – à Mae Sot, prend une toute autre dimension. Les évènements qui enflamment les journaux et bouillonnent dans la tête et le cœur des thaïs en général – faute de pouvoir s’exprimer dans la conversation – s’éloignent momentanément, avec d’autres centres d’intérêt. Passer en Birmanie par exemple… ce que je viens de faire par deux fois, dans la plus parfaite légalité, visa et curiosité obligent. Et puis observer cette ville métisse sous la chaleur accablante d’une mousson qui tarde à venir. Avec une sacrée dose de détermination étant donné la canicule.
« Faut être farang pour avoir envie de se déplacer par un temps pareil » ! Mon compagnon peine à me suivre (en général, je préfère voyager seule…), tandis que moi, appareil photos en main, je parviens à oublier cette fin torride d’été. Même s’il traîne les pieds, mon compagnon – qui a été en poste à Mae Sot en tant que responsable de la surveillance du trafique de drogue il y a une dizaine d’années – connaît quelques chemins de traverse.
Ajoutez-y mon esprit d’aventure et nous voilà à un point de rencontre – je dirais presque « intime » – entre Myanmar et Thaïlande : Tha Wang Phaa. « Intime », car les deux pays ne sont plus séparés par un pont et des postes d’émigration, mais par une rivière qu’on traverse quasiment à pied ou à la nage, tant les eaux de la Moeï sont basses à cet endroit. Et pour nous, à quelques minutes en barque, avec un passeur birman. De chaque côté, deux postes de garde, l’un occupé par des « Tahan Phran » (soldats chasseurs ou « hommes en noir » thaïlandais,), l’autre, par des soldats de la « Tatmadaw » (l’armée birmane).
Ces points de passage sont des points de respiration entre les deux pays. Des deux côtés du « Pont de l’amitié », le commerce et le business fleurissent. Les birmans achètent en Thaïlande tout ce qu’ils ne trouvent pas chez eux, c’est-à-dire presque « tout », tandis que les plus démunis viennent mendier en Thaïlande sur les trottoirs et les marchés de la ville. A « Tha Wang Phaa », c’est une main d’œuvre «bon marché », j’ose même écrire « exploitée » qui débarque chaque matin, pour rentrer chaque soir à la maison, après une journée épuisante dans les champs ou sur les chantiers de construction. Rien de nouveau sur la planète : on est toujours l’exploiteur ou l’esclave de quelqu’un.
Ce passage, dans la quasi illégalité (avec la connivence des soldats des deux bords), je l’ai vécue avec une espèce d’excitation, comme tout ce qui est en principe interdit. (Si vous me demandez si je suis pour la liberté totale, c’est NON, car plus de transgressions possibles, qui font le sel de la vie…) Bref, j’ai choisi le programme RAW de mon Canon, et j’ai shooté de sublimes images qui ne se concrétiseront que sur le papier, car elles ont un format différent de mes photos habituelles et du coup ne passent pas sur mon blog.
Comme je ne renonce jamais, j’ai réussi à convaincre mon compagnon de refaire le voyage ce soir, mais en oubliant RAW, afin de pouvoir utiliser mes images sur le net. Est-ce qu’une double illégalité c’est encore de l’illégalité ? Je me le demande…
J’écrivais tout à l’heure « Mae Sot, ville métisse ». Eh bien non, réflexion faite, ce n’est pas une ville métisse, si métisse veut dire « mélangée ». Ici, les gens se côtoient mais ne se mélangent pas. Question de culture, de langue ? Pas seulement. J’ai osé poser la question, à droite et à gauche, sous une forme humoristique, sinon on ne m’aurait pas répondu, et j’ai, à chaque fois entendu : « les birmans sont sales et sentent mauvais ». La Thaïlande a encore du chemin à parcourir avant de considérer ses voisins comme ses égaux. Car si « intime » veut dire ici « commun », ça ne veut pas dire pour autant « familial » ou « amical ».
Toujours se souvenir de ses vies antérieures
Lorsqu’on vit de près et avec émotions, des évènements qui deviendront des points d’ancrage dans les annales thaïes, on se doit de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de l’Histoire. Se rappeler des révoltes de 1973 et 1976, puis celles de 1992. J’ai déjà eu l’occasion de le faire dans mes notes précédentes, dans « L’Histoire bégaye » par exemple, et surtout dans mon livre « Théâtre d’Ombres ».
De 1992, ne reste, dans la mémoire collective du peuple thaï, que cette image d’Epinal, du roi convoquant les deux généraux, Suchinda et Chamlong, à plat ventre devant sa Majesté. Scène surréaliste pour nous occidentaux, mais au moins mettait-elle un point final à la lutte pour le pouvoir de ces deux généraux. Que l’Histoire ne jugera pas.
Et c’est dommage pour tous ceux qui ont été sauvagement massacrés par l’armée – en majorité des étudiants qui avaient eu le tort d’être communistes – Et surtout pour tous ceux dont les corps ont bel et bien disparu. Ces deux généraux n’auront perdu que la face devant un peuple tout entier.
Certains personnages ne sont pas sortis complètement de la scène. J’étais en Thaïlande pendant la révolte des « jaunes » et durant le coup d’état de 2006 et suivait les événements de près à la télévision. Est-ce que 1992 serait déjà de la préhistoire pour les thaïs d’aujourd’hui? Ne se rappellent-ils pas, lorsqu’ils écoutaient avec ferveur les discours enflammés d’un orateur à la tête de bonze – bouddhiste extrémiste au comportement d’ascète illuminé, surnommé « Chamlong le Pieux » – qu’il s’agissait du même personnage que celui tancé par le roi en 1992 ? Chamlong Srimeuang, général à la retraite, ex gouverneur de Bangkok, ex ami très proche de Thaksin et devenu son pire ennemi, un des leaders principaux des « chemises jaunes royalistes » ?
Lorsque je tournais un documentaire en Thaïlande dans les années 2000, assisté d’un artiste, musicien et poète inconnu, originaire de Udon Thani, je l’entendais un soir, après quelques whiskies de trop peut être, me raconter l’histoire suivante :
« Je suis né le 15 octobre 2526, enfin en 1983, à cause des 543 années de différence entre le calendrier bouddhiste et le calendrier occidental. Dix années plus tôt, le 15 mai 1973, les étudiants de l’Université Thammassat narguaient une fois de plus les dirigeants militaires de mon pays, en hurlant des slogans anti américains. L’armée avait ordre de disperser les groupes contestataires. Des étudiants sont tués sous les rafales de mitraillettes depuis les hélicoptères qui survolaient le campus ; d’autres, plus loin, avaient pu fuir les soldats en se jetant dans la rivière Chao Phraya, mais beaucoup ne savaient pas nager et ils sont mort noyés. Le déroulement de ces évènements de 1973 est en moi, ancrés dans ma chair et mon sang.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, je SUIS la réincarnation d’un manifestant de cette époque et je n’ai pas été tué par balles ni noyé dans la Chao Phraya…( Il faut se souvenir que pendant la guerre du Vietnam, des dizaines de bonzes se transformaient en torches vivantes pour crier leur refus de la violence. En Thaïlande, les militaires faisaient la loi depuis des décennies dans mon pays, avec l’aide de l’argent des américains à qui on avait accordé l’autorisation de stationner sur le sol thaïlandais. Ils avaient d’ailleurs installé leurs bases militaires chez moi, à Udon Thani, d’où ils partaient bombarder le nord Vietnam, et plus tard le Laos). J’ai eu, comme les bonzes, l’idée de me sacrifier moi aussi, pour attirer l’attention sur la cause des étudiants qui se battaient pour la liberté et la démocratie ».
A ce point du récit, je demandais à mon ami comment il avait pris conscience qu’il était bien la réincarnation de cet étudiant contestataire.
« J’en ai pris conscience dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. J’entendais mes propres hurlements et le crépitement des flammes, je sentais l’odeur du kérosène. Le flip flap des pales d’hélicoptères résonnait dans mes oreilles. Je percevais avec une acuité insupportable les gémissements et les prières de passants impuissants, et leurs protestations horrifiées. Enfin mon corps a été aspiré dans une sorte de spirale infernale tandis que, dans un hoquet de délivrance, je quittais enfin cette vie ».
Et puis cette conclusion, qui m’a émue aux larmes :
« Je « suis » ce passé. Il est inscrit en moi. Il est dans mes gènes ».
Une histoire ? Une anecdote ? Un rêve éveillé ? En tout cas le récit de Ek rejoint le film « Oncle Boonmee qui se souvient de ses vies antérieures » pour lequel Apichatpong Weerasethakul, à reçu la palme d’or à Cannes. Un thème – celui de la métempsycose, (réincarnation) – qui a ému et convaincu le jury du festival.
Toujours se souvenir de ses vies antérieures….
Ek, entouré des deux grand-mères de “little Michèle”
Chevauchée au pays du « cru » et du « cuit »
« Aujourd’hui les paysans deviennent des citadins » crie Xiao Miao. Tu parles ! des pauvres ruraux qui vont se vendre dans
les usines des villes : les « mingong ». Et il poursuit : « Des
« crus » devenus « cuits » en l’espace de quelques mois !
Plus tard, je me perds dans un marché, talonnée par un Miao inquiet. Il a peur de la foule, paniquée de me voir entourée de barbares « crus » dont les
intentions sont sûrement de me kidnapper, de me voler, ou de me bousculer… !!
A Maoying, je m’enfonce dans une foule dense de promeneurs, de vendeurs, de badauds venus par milliers des villages de montagnes alentours. Miao ne me quitte pas d’une semelle. Sa présence est bien plus un handicap pour moi qu’un réconfort ou une sécurité. J’ai besoin
d’être seule pour faire de la photo. Il m’arrive de rester immobile à un
endroit pendant de longues minutes avant de trouver le moment favorable pour
appuyer sur le déclic. Et puis je veux etre spectatrice de la vie et non pas le
centre d’intérêt. Avec Miao, je suis
trop visible. Très vite je suis
entourée, touchée, palpée, regardée avec curiosité, avidité, étonnement. Je
mitraille avec un petit appareil et partage la découverte des photos avec des
grands mères ébahies, des enfants
rigolards, des hommes imperturbables et
des femmes complaisantes qui prennent plaisir à se laisser photographier,
mieux, qui en redemandent. Pas d’animosité dans l’air, aucun signe d’hostilité
non plus, même lorsque je m’approche de
très près. Miao essaye de négocier les photos avec les femmes en costume
traditionnel. Il leur demande de « poser ». J’ai envie de le tuer.
J’essaye de lui fausser compagnie, mais comment puis-je disparaître dans cette
foule bigarrée, moi l’étrangère aux
cheveux blonds qui attirent tous les regards ? Je demande à Petit Miao de me laisser opérer
seule, de ne plus intervenir auprès des gens.
Pour adoucir mon ton un peu péremptoire, je lui colle mon appareil
numérique dans les mains et je lui demande de me prendre en photo, moi. Il est
bien obligé de prendre un peu de distance. J’en profite pour entamer des
conversations improbables avec des grands-mères édentées gloussant de
plaisir. Elles disent se trouver
vilaines sur les photos, moi je leur dis qu’elles sont belles. Alors elles se
regardent encore et encore, en riant très fort. J’ai étudié le chinois pendant
quelques mois, (merci Georges Zhang), ça ne me donne pas d’aisance dans cette langue, même si j’écris de nombreux caractères, mais au moins, je peux baragouiner quelques mots. Parfois avec le mauvais ton, ce qui fait bien rire les passants. « Lao jia, Lao jia »… Je veux dire : «Pardon,
excusez-moi », et invariablement, je lance un « Vieille famille ! » du plus mauvais effet à toutes les personnes que je bouscule.
Pas de guerre des mots durant ce « jour sacré » de Songkran
Dans les temps anciens, il était interdit durant ce « jour sacré » (« nao wan » dans le nord de la Thaïlande) – deuxième jour de Songkran – d’user de mots rudes ou grossiers, de mots qui blessent ou qui font mal. Il ne fallait pas se battre non plus, car on pensait alors que cela aurait des répercussions sur le reste de l’année et porterait malheur.
La croyance est toujours là, dans les provinces et les villages. A Bangkok, c’est une autre histoire. Mais est-ce que Bangkok, est une représentation de la Thaïlande, même si toute la Thaïlande se retrouve dans sa capitale ? Est-ce que la Thaïlande correspond au pays que les thaïs imaginent dans leur rêve éveillé ? J’ai l’impression qu’ils essayent encore de faire vivre cette Thaïlande qu’ils aiment et qui pourtant leur échappe.
Mots de réconfort pour les familles dans les journaux : le roi a fait savoir qu’il couvrirait toutes les dépenses médicales des victimes du clash de samedi ainsi que les frais de funérailles des disparus.
Douceur des mots d’un film des années soixante, (choisi sciemment en ce jour de « nao »), sur les écrans de télévision. Une façon exquise de s’exprimer, comme peut l’être le thaï lorsqu’il est parlé par ceux qui expriment le respect et la tolérance. L’inverse absolu de l’arrogance criarde des comédiens des soaps qui, pourtant, font l’unanimité dans toute la population thaïe, des bidonvilles de Khlong Thoei au plus petit village karen de Huay Phaa dans la montagne.
Des mots d’espoir que je cherche en vain dans la presse de ce matin
Et le silence prudent et violent de Thaksin.
Images prises ce matin au temple Wat Chaimongkhon pres de la rivière Ping. Elles évoquent le passe et les paroles de « Royaume de Siam » de Gerard Manset :
« Royaume de Siam, celui qui voit le monde par tes yeux, celui-la, peut-être il peut être heureux »
Par les yeux de cette petite-fille au bord de la rivière a 6 h.30 ce matin, ou celui d’une timide jeune-femme Lanna, ou par la respectueuse empathie d’une femme aidant un vieillard a libérer un oiseau ?
Là où il y a des gagnants, il y a des perdants…forcément plus nombreux
Lors de ma visite a Mae Sot, il y a 3 semaines, j’ai longuement discuté avec He Thwa – bras droit du Dr Cynthia Maung – de ce qu’elle pensait et constatait des récents changements en Birmanie.
« Ce qui est bon pour les uns n’est pas forcément bon pour les autres » et, pour reprendre les termes du journaliste baroudeur Cyril Payen « Les réfugies pourraient devenir les grands perdants de l’ouverture » car la Thailande a considérablement durci sa politique d’asile ces dernières années, et fait déjà des pointages dans les camps. « Nous ne voulons pas rentrer, nous avons toujours été persécutés » ou « Je ne repartirai de ce camp que dans un cercueil » entend-t-on. Ces réfugiés ne partagent pas l’enthousiasme de l’occident pour Thein Sein. Il y a déjà eu tellement de cessez-le-feu non tenus, et puis l’armée a fait main basse sur leurs terres et maintenant le gouvernement les distribue sans compensations, ou à peine, aux nouveaux investisseurs. « Et bien sûr que Aung San Suu Kyi est instrumentalisée par le gouvernement birman. Sinon il ne la laisserait pas faire cette tournée de star en Europe ».
« Les dons qui arrivaient habituellement d’organisations internationales vont maintenant en grande partie directement en Birmanie » continue He Thwa, alors que les malades continuent d’affluer : migrants travaillant illégalement en Thaïlande, mais surtout depuis la Birmanie. « Pas de réels changements à la frontière. Nous sommes moyennement optimistes quant à la suite des évènements. Le jour où les patients seront moins nombreux, on pourra considérer que ça va mieux, mais entre 2010 et 2011 nous avons eu 117 000 visites, soit 5 % de plus. Trois mille bébés sont nés dans notre clinique contre 1200 à Myawaddy. Il va falloir du temps pour renforcer le système et les infrastructures afin que chacun puisse avoir accès aux soins pour un prix modéré »…
« Lorsque le nombre d’enfants non accompagnés passant la frontière diminuera, ce sera aussi un signe d’encouragement positif. Ils viennent ici percher protection. Entre 2010 et 2011, le chiffre a augmenté de 30 %. La plupart de ces enfants sont envoyés par leur famille pour échapper au recrutement obligatoire des enfants-soldats (ou comme travailleurs forcés), Autre raison : le manque d’école. »
« Il va falloir des années pour que l’on constate des résultats tangibles en Birmanie : développement des infrastructures bien sûr mais surtout réhabilitation des communautés affectées depuis si longtemps par ces conflits. »
« Ici à Mae Tao, nous avons établi des liens de confiance entre toutes le communautés des différents groupes ethniques. Tout le temps qu’un minimum de confiance ne sera pas établi de l’autre côté,, avec les malades, les populations vivant le long des frontières continueront d’affluer à la clinique. Tous les déplacés que nous recevons ici sont méfiants concernant les reformes, il y a tellement eu de tentatives de réconciliations ratées.»
« Voilà des années que nous espérons ces changements positifs en Birmanie Pendant cette période de transition, la clinique continuera d’assurer les soins, établira une meilleure coordination avec les organisations travaillant de l’autre côté, tant pour l’accès aux soins que pour la protection des enfants. »
Cette année, la clinique n’a reçu que la moitié de son budget annuel et la TBBC (Thaï Burma Border Consortium) est obligée de réduire les rations alimentaires distribuées dans les camps.
Ce n’est pas à moi à lancer des appels aux dons… mais celui qui le souhaite peut trouver toutes les informations sur le net.
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