Les varappeurs qui grimpent sur les rochers du Clauzelou en contrebas du hameau du Désert en Valjouffrey, ne se doutent pas qu’ils évoluent sur le site d’un village disparu. En effet, une vieille dame, Léoncie B., me conta de son vivant, qu’étant jeune elle gardait son troupeau de chèvres à cet endroit dans de petits enclos de pierres, traces d’un village disparu sous un éboulement.
Son esprit vif et l’immense sagesse de cette femme n’ont jamais été contesté dans le village, elle se souvenait aussi que les anciens, au début du XXème siècle, aimaient à répéter: “Quand Sue est descendu, le village a disparu”.
Mes récentes recherches sur l’ancien cadastre de la mairie, datant de Napoléon III, m’ont permi de découvrir, qu’effectivement cette partie de la montagne, versant sud ou adret du Pic de Valsenestre, est nomé, le Suc , probable synonyme de Sue ou Su, sachant que les dialectes locaux ont une orthographe très variée.
Enfin, corroborant mes observations cadastrales et sa toponymie, une randonnée sur les montagnes faisant face à cette zone, révèle, à l’observation de photographies prises du Col de la Vaurze ou de la pointe du Midi, une large échancrure dans la paroi granitique de la montagne, juste à l’aplomb de l’école d’escalade et des énormes blocs qui la composent (certains atteignent quinze mètres de hauteur); sur les photos ci dessous on aperçoit très nettement à gauche cette zone d’affaissement qui, même si elle ne s’est pas produite subitement, peut avoir eu des épisodes d’éboulements conséquents au point d’engloutir un village.
On voit que le village actuel est construit plus à droite, à l’Est du Clauzelou, lieu supposé de l’ancien village. Les villages étaient plutôt construit le long des ruisseaux sur des lieux arides préservant les bonnes terres pour les cultures. Au Clauzelou, le ruisseau de la Colombière était à proximité et l’école d’escalade est encore parcourue par l’ancien chemin d’accès au village actuel. Village dont les bâtisses de pierres locales sont datées pour les plus anciennes de 1787, comme l’attestent les gravures des linteaux de granit.
La vallée est occupée de façon permanente depuis le milieu du 5ème siècle. En effet Josfredi, vassal de Godomar III , dernier roi Burgonde, battu par les Francs à Autun en 532, s’y réfugia après la défaite. Valis Josfredi origine patronymique de Valjouffrey comme Godomar pour la vallée voisine, le Valgaudemar, toutes deux communes du Parc des Ecrins. Une forme dialectale d’origine burgonde (germain) donne d’ailleurs son nom au hameau: Essart ou zone essartée, défrichée, déboisée, qui a donné Désert, le Désert en Valjouffrey, patronyme actuel.
Continuons le cours de l’histoire, ce fond de vallée aurait donc été déboisée par les premiers colons, des réfugiés burgondes, pour se loger et se chauffer. Les premières constructions étaient donc très certainement en bois d’où une disparition quasi totale du village sous un éboulement conséquent, hormis quelques enclos aujourd’hui invisibles dont témoignait Léoncie B. Une recherche aux archives départementales de l’Isère s’avère t-elle nécessaire ?
J’ai personnellement connu Léoncie B., ayant séjourné tous les étés dans son voisinage depuis ma prime enfance. Au soir de sa vie j’avais coutume de lui rendre visite et de la questionner. “Quand Sue est descendu, le village a disparu”, elle ne l’a certainement pas inventé et l’Histoire corrobore indubitablement la légende.
“Un pays qui n’a plus de légendes peut mourir, mais un pays qui n’a plus de mythes est déjà mort.”
Source historique: “GR54, nom de lieux quelle histoire!” édition Barnola/Vuarchex amis du musée matheysin.
NB: Pierre Barnola, disparu l’année dernière, avait déjà traité de toponymie locale.