Szczecin est une ville de la Poméranie historique, située sur la rive Sud de la Baltique en Pologne. Tour à tour polonaise, allemande, prussienne, danoise, suédoise, Szczecin révèle l’ambiance des villes hanséatiques…
23 juin. Parfois j’arrive difficilement à me suivre. Alors j’imagine quel jeu de piste ce peut être pour les autres. Après une semaine de classement au bureau, est venue une semaine méditerranéenne. Mais dès lundi, j’ai franchi les portes de la Pologne en longeant la Baltique pour me retrouver dans l’ambiance des villes hanséatiques. Szczecin où je viens de passer près de deux journées, est en fait plus que cela, même si les traces des établissements du grand réseau commercial ont laissé leur trace.
Voilà une ville polonaise, allemande, prussienne, danoise, suédoise… située sur la rive sud de la Baltique. Une ville qui apparait allemande, Stettin à la fois par l’histoire des conflits et son endormissement rêveur dans une plaine de céréales homogène depuis la banlieue de Berlin, ponctuée de lacs, barrée de forêts de pins qui s’alignent comme des allumettes et dont le ciel semble respirer l’air marin. Une ville de la Poméranie historique qui s’est aussi nommée d’un mot slavophone – cachoube Sztetëno !
Mais c’est aujourd’hui – et depuis 1945 par les Accords de Postdam – une ville polonaise, située le long de l’Oder qui faisait autrefois frontière et qui, par le biais d’un coup de gomme et d’un coup de crayon s’est retrouvée unifiée. Un de ces traits venus de Yalta qui tiennent plus aux rapports de caractère des négociateurs, à de sordides calculs de pourcentages, qu’à des rationalités et à la raison. Elle s’est vue ainsi changer de nom et de nationalité. Des Allemands émigrent, des Polonais de l’Est sont invités à venir s’installer dans ce qui est devenu l’extrême ouest du pays. Il s’agit à la fois d’une punition, d’une revanche et d’une série de déracinements.
La vie ainsi inscrite à l’Est de l’Europe pendant des années s’achève avec les manifestations de Solidarnosc, puis la fin de l’empire soviétique et enfin l’entrée dans l’Union Européenne. Une ville otage, en quelque sorte qui trône à la cinquième place de son pays, mais ne sera pas capitale européenne de la culture. Qui y gagne, tant que rien n’est dit jusqu’au bout ?
Les rivières et les fleuves sont des frontières dites naturelles, mais elles ne représentent que des fragilités commodes. L’histoire des hommes, de leurs origines ethniques et de leurs langues maternelles, est bien plus complexe. Mais les politiques n’ont que faire des diversités, ou plutôt, elles leur causent des troubles d’estomac. Alors ils ont besoin de médicaments pour calmer leurs douleurs et faire fuir les insomnies.
Après les guerres qui sont des remèdes de cheval, les traités de paix sont des exercices de bandes dessinées et les rencontres internationales sont comme des jeux de bille dans une cour d’école ou des jeux de poker dans des salons, qui apaisent l’âme des dictateurs. Tout dépend en fait de la mise. Et après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les habitants de l’Europe et tout particulièrement ceux qui devaient payer collectivement pour les crimes de leurs chefs, auprès desquels on a collecté les plus grosses mises. La plupart ne les ont pas encore récupérées, quand ils n’ont pas été totalement ruinés par leurs chefs bien-aimés.
Du point de vue qui nous regardait ces derniers jours, il est clair que ce jeu-là, comme en Alsace, en Savoie, dans les pays de l’ex Yougoslavie, dans le Caucase, à la frontière de l’ex Grand-Duché de Lituanie, sur les entours de la Hongrie historique et dans bien d’autres territoires aux contours changeants, permet aujourd’hui de proposer une lecture européenne des lieux : bâtiments, structures urbaines, personnages, modes de vie et par conséquent de proposer des parcours qui appuient leur déroulement sur cette fenêtre ouverte à la complexité, rendue concrète. Non seulement il le permet, mais d’un point de vue citoyen, il y oblige ! Et c’est là, en effet que tout devrait être dit, jusqu’au bout !
Cette ville constitue pour moi une nouvelle phase d’apprentissage. Je n’étais en effet encore jamais venu en Pologne. Cela peut sembler curieux, compte tenu du nombre des voyages que j’effectue depuis vingt ans et des rendez-vous réguliers que l’on m’adresse depuis ce pays. Mais il est parfois des circonstances étranges : retards de vol, priorités de travail, maladie, missions confiées à d’autres, rendant les rendez-vous impossibles…comme si cette frontière devait être contournée, ou que le pays devait être seulement survolé. Voilà, cette fois le sort est conjuré, mais j’ai failli ne pas pouvoir partir de Francfort pour des questions d’impression de ticket et la navette venue me chercher à Berlin a été longuement contrôlée au poste de douane. Il semble que ce lundi les douaniers cherchaient les responsables d’un trafic d’argent et voulaient contrôler le travail clandestin ! Finalement il était presque minuit quand j’ai atteint mon but.
Anecdote ? Peut-être ? En tout cas, un bref rappel de ce qu’était le passage des frontières il y a peu, par des contrôleurs allemands qui ne semblaient pas avoir oublié qu’au-delà de leur guérite, le territoire qu’ils regardent n’appartient plus à leur nation et qui, bien entendu n’ont fait aucun effort pour parler au chauffeur dans sa langue. Un moment d’arrogance qui valait leçon !
Après Nantes, Sibiu, Padoue, voilà la quatrième ville qui participe à un exercice dit de citoyenneté par la recherche de l’Europe, près de chez soi. Ce programme nommé « My european city » a certainement un grand avenir, si un large réseau se met en place. Il me semble tellement plus efficace que le Label du Patrimoine européen lancé à grands renforts de trompettes, même s’il est aujourd’hui modeste. Il m’apporte en tout cas, même dans sa dimension actuelle, toutes les bonnes raisons de travailler plus à fond sur une question fondamentale qui traverse tous les Itinéraires européens et d’écrire un des chapitres qui relie l’histoire d’une belle expérience qui doit aujourd’hui recevoir ses manuels méthodologiques : l’interprétation du patrimoine dans un contexte européen.
Ce n’est bien entendu la place de le faire ici. Mais je voulais tout de même dire que, finalement, deux journées peuvent être intenses et me procurer les bonnes questions. Durant la première soirée, la fête de la musique est somme toute restée discrète ; réservée à des musiciens professionnels, réfugiés dans le café qui s’est installé dans la porte royale poméranienne ou sur les marches qui descendent depuis l’Académie maritime et le musée national vers un port où est annoncée la venue des « Tall Ships » en 2013 et l’intention de recentrer la ville vers ses îles en 2050 dans des « Floating Gardens ».
La volonté d’arracher le rock aux pierres anciennes est vite balayée par un orage qui refroidit toutes les énergies. Dans le jour tardif d’une équinoxe nordique, le second soir a connu le même orage, mais en plus violent. Dans les églises on préparait, sous les oriflammes blanc et rouge de la Pologne et blanc et jaune du Vatican, les processions du Corpus Christi. Cette Fête Dieu que beaucoup de pays, laïcs ou non, ne prennent plus en compte, soixante jours après Pâques, reste en Pologne un moment fort.
Je quitterai les rues de la ville trop tôt le matin pour en apercevoir les effets et me confronter aux croyants, dans un pays où Radio Maria joue aujourd’hui un rôle anti-européen. Rien n’est simple ! Mais dans les magasins on se prépare à une journée sans possibilité de consommation. Les queues s’allongent et le marketing européen n’a plus de frontières.
Merci en tout cas pour la leçon d’Europe !