Randonner et partir sur les chemins du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle n’exclut pas quelques considérations vestimentaires … et néanmoins pèlerines…
Panoplie pèlerine : sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle
La veste partage avec le chapeau, les chaussures et le sac, le privilège d’être un élément stable de la panoplie pèlerine. On n’en change pas comme de chemise. Après quelques jours passés à se côtoyer sur pistes, routes et sentiers, elle permet d’identifier au premier coup d’œil, ou presque, le pèlerin (qui peut être une pèlerine) avec lequel on a échangé des considérations sur le confort de l’albergue d’Hontanas, dans la côte qui mène à la meseta de Mostelares. Il va de soi que le sujet de la conversation a pu être plus futile (le colacao est-il aussi revigorant que le vrai chocolat ?) ou plus grave (jusqu’où pousser l’acharnement à maintenir la vie dans un corps qu’elle abandonne ?). Rouges, vertes, jaunes, kaki, bleues, et ce dans des nuances qui vont de l’éclatant au discret en passant par le bariolé du camouflage, les vestes affectent des formes plus variées qu’on ne le croit au premier abord. Certaines, serrées à la taille par un cordon, évoquent les justaucorps des trabans et des lansquenets. D’autres, taillées droit et cousues d’une multitude de poches se veulent d’une efficacité yankee. D’autres enfin, bleu très sombre ou vert obscur, ont une austérité et une rigueur cénobitique Elles donnent à qui les porte, un petit air de familier de la Sainte Inquisition ou d’initié de la Sainte Vehme. Mais les apparences sont souvent trompeuses et tel qu’on avait pris au premier abord, pour un nostalgique de Torquemada se révèle, à l’usage, un compagnon de route aussi jovial que disert.
Sauf si le temps est par trop défavorable, la veste finit rarement l’étape sur les épaules de son ou de sa propriétaire. Passée la fraîcheur de l’aube, dissipés de possibles brumes et brouillards matinaux, les pèlerins, rassurés sur la suite des évènements, profitent de la première halte pour s’en dépouiller, la plier en deux en quatre ou en huit et la glisser dans leur sac. Elle n’en ressortira qu’à l’étape du soir à moins qu’on ne l’utilise lors du pique-nique comme succédané de coussin et préservatif contre l’humidité.
J’ai cru, un temps, que la veste révélait, sinon la nationalité, du moins l’ère culturelle de son propriétaire. Cette opinion s’est rapidement révélée sans fondement. La mode pèlerine a maintenant des règles dictées par la mondialisation la veste du marcheur venu d’Oslo, Norvège, étant, tout comme celle de sa consoeur partie de Vézelay, Basse Bourgogne, fabriquée dans un atelier tunisien, malais ou chinois,
En cela, elle ne se différencie pas du reste de l’équipement, les chemises par exemple. J’en ai porté en provenance du Maroc, de l’Inde, de Taïwan et des Philippines. Les dernières viennent du Vietnam. Les progrès de la science les ont rendues plus légères et, surtout, capables de sécher à une vitesse inimaginable il y a quarante ans, quand je finissais d’user les chemises kaki soustraites frauduleusement à mon paquetage de brigadier du 501° Régiment de chars de combats (ce délit est couvert par la prescription). De plus elles sont infroissables, munies de poches à la fermeture relativement fiables. Un astucieux système de soufflets les ventile. Enfin la gamme des couleurs est d’une variété qui permet à chacune et chacun d’exprimer sa créativité. J’ai, pour ma part, un faible pour le bleu qu’il soit marine ou écossais. Mais qu’on préfère, le rouge, le vert, le jaune ou toute autre nuance de l’arc-en-ciel, on est sûr de trouver un bonheur qui peut être imagé et multicolore.
Alternative à la chemise, le ticheurte fabriqué, lui aussi, dans un textile moderne, performant et écologiquement correct, s’orne souvent de slogans qui vont du simple, mais éloquent, « Camino de Santiago » à des affirmations parfois politiquement radicales « Nuclear No ! », parfois uniquement compréhensibles par un cercle d’initiés. J’ignorerai toujours ce que signifie l’énigmatique « AACG » porté par les deux pèlerines qui se reposaient an haut d’une des, nombreuses, côtes qui hachent l’étape Monreal – Puente de la Reina. On peut aussi, surtout pour les plus jeunes, préférer l’image à l’écrit et se trimbaler avec, sur l’estomac, une coquille et un bourdon, le visage christique d’Ernesto Che Guevara, une étoile rouge, ou l’effigie de Jean-Paul II.
Quelles que soient les teintes, les slogans ou les images, chemises et ticheurtes finissent immanquablement la journée dans la vasque des lavabos ou le cuveau de l’albergue pour l’obligatoire lavage vespéral qui concerne aussi les sous- vêtements et, plus rarement, les chaussettes.
Pendant qu’ils se livrent à cette humble, mais indispensable, opération, pèlerins et pèlerines revêtent les vêtements de rechange qu’ils porteront le lendemain au cas où, pour des raisons indépendantes de leur volonté et généralement météorologiques, la soirée et la nuit ne suffiraient pas à sécher leur lessive. Dans ce cas, et si le temps et leur équipement le permettent, ils transformeront, au moyen d’épingles de nourrice, de pinces à linge ou de cordelettes, leur sac en étendoir, le soleil se chargeant de faire disparaître ce qui restait d’humidité. Si la pluie s’obstine à tomber, il reste à tout empaqueter dans un sac en plastique en espérant que l’étape suivante permettra de résoudre le problème.
Intermédiaire entre veste et chemise, la polaire doit à la qualité de ses fibres qui allient légèreté et souplesse d’avoir remplacé comme préservatif contre la froidure l’ancien pull, acheté dans une coopérative maritime ou tricoté main par une épouse, une mère ou une grand-mère attentives. Les couleurs en sont, relativement, sobres. Comme la veste, c’est un vêtement du petit matin, mais elle accompagne aussi les soirées et parfois, faute de pyjama ; les nuits pèlerines. Il paraît que nous la devons au recyclage des bouteilles vides d’eau minérales et autres emballages plastiques : parfaite illustration du dicton qui veut que, d’un mal, finisse toujours par sortir un bien.
En passant à l’étage inférieur, on constatera que l’unique alternative au pantalon, plus ou moins court, est le short, plus ou moins long. Il est d’ailleurs parfois assez difficile de trancher entre ces deux éléments et d’affirmer que les mollets qui vous précèdent sortent d’un bermuda légèrement étiré ou d’un pantalon dont la partie inférieure a été fortement réduite. Le terme pantacourt forgé pour désigner cette espèce d’hybride n’a, lui-même, rien d’exact. Au final, seuls les experts qui veillent, dans les magasins spécialisés, sur le rayon vêtements de randonnée, sont à même de trancher entre les diverses variétés. Le pèlerin ordinaire en sera réduit pour désigner l’objet aux paraphrases prudentes. Quant au reste, c’est, là aussi, le règne de la fibre contemporaine. Certes, les couleurs, du beige clair au vert sombre, s’inscrivent dans une palette plus sobre et plus restreinte que celle des chemises et ticheurtes. En compensation, pantalons, shorts et métis des deux espèces se rattrapent sur les poches. L’inventivité des stylistes s’y donne libre cours. La diversité de leurs créations défie la description. La palme revient sans conteste aux imitateurs du style militaire qui ne craignent pas d’ajouter aux cuisses et jambières de leurs créations des poches et pochettes en nombre tel qu’on se demande s’ils ne souffrent pas d’une espèce de syndrome du kangourou. Je n’ai rien dit des jupes. Même les plus traditionalistes des pèlerines n’en portent pas.
Il faut maintenant parler de ce qui ne se voit pas et qui n’est pas le moins important. Combien d’étapes ont viré au cauchemar par la faute d’une chaussette mal mise ou de la couture d’un slip frottant au mauvais endroit. Principe de base pour les caleçons et les culottes : qu’ils soient le plus possible dépourvus de couture, extensibles et qu’ils ne se transforment pas en éponge aux premières gouttes de sueur. Quant aux chaussettes, on les préfèrera fines, bien adaptées à la taille du pied et réfractaires à ces glissements inopportuns qui génèrent des plis et des bourrelets, première cause des ampoules cette hantise des marcheurs au long cours. Le progrès technique offre aujourd’hui un assortiment complet de ces vêtements de dessous (ou sous-vêtements comme on voudra) légers, unis, souples, commodes et facilement lavables à la main. Il serait ridicule de s’en priver.
Un mot pour finir sur les détails qui sont au harnachement pèlerin ce que la cerise est au gâteau. Pour les uns (et surtout pour les unes) ce sera un foulard plus ou moins coloré, pour les autres, une plume au bonnet, un badge fixé au revers de la chemise, un chapelet pendu au cou ou une pochette passée à la ceinture. Pour tous, passés les premiers jours de route, sans gommer en rien leur diversité, le Chemin offrira aux plus conventionnelles des tenues comme aux plus extravagants des accoutrements ce que nul marchand n’offrira jamais : un air d’espérance, de fatigue et de vérité qui donne, seule genre d’élégance qui convienne à ceux dont les pas sont une prière.
- La Madeleine de Vézelay ; 4 voies sur les Chemins de Compostelle en Bourgogne - Août 10, 2017
- Contes du chemin de Compostelles : le singe du chapiteau - Juil 5, 2014
- Conte du chemin de Saint Jacques : Légende - Juil 5, 2014
Encore un délicieux article, au style pince-sans-rire, et qui, mine de rien, en dit plus long que ce qu’il est (déjà long). Bref : bravo le styliste du Camino ! J’ai seulement buté sur la dernière phrase, comme une pierre que je heurterais juste avant l’arrivée à l’étape. Quid de « seule genre d’élégance » ? Mon interrogation est grammaticale, et non métaphysique ! « Seul » s’accorde (adjectif) avec « genre » (qui est un mot masculin, quoi qu’on disent les inclusifs…). Je ne pense pas que l’on puisse l’accorder avec le complément du nom, ici « élégance » (mot toujours féminin, évidemment). D’ailleurs, en la relisant encore, toute cette dernière phrase est grammaticalement un peu bancale, ce qui étonne quand on lit le reste de votre prose impeccable. Vous écrivez « qui donne » : qui donne quoi ? Peut-être vouliez vous dire : « qui donne la seule élégance qui convienne à ceux dont les pas sont une prière ». Ca claque ! On dirait du Racine, ou du Corneille si vous préférez… Ou plutôt c’est du vrai style laguiolesque, manche et lame compris, agréable à tenir, tranchant la vérité comme du bon pain. Merci de cultiver notre appétit des mots et des chemins.