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Terre d’asile ; roman en ligne de Feuilly

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Terre d’asile… Découvrez le nouveau roman en ligne de Feuilly….

[tab name=’Chapitre 1′]

Chapitre I

prisonJe ne sais plus très bien qui m’a amené ici. Tout ce que je sais, c’est qu’on m’a dit que c’était pour mon bien, alors je me suis laissé faire. Et puis les premiers jours, tout le monde était gentil avec moi, le médecin, les infirmières et même la dame qui m’a servi mon repas. Tout le monde souriait et se montrait très prévenant. Un peu trop, même, mais bon, cela me changeait de ce que j’avais connu jusque là. J’ai bien trouvé un peu curieux qu’on referme toujours la porte de ma chambre à clef, mais j’étais tellement fatigué que cela ne me tracassait guère. Tout ce que je voulais, c’était dormir et oublier. Une des infirmières l’a compris tout de suite car pendant trois jours elle m’a donné un médicament pour m’apaiser. C’est ce qu’elle disait en tout cas, mais dans les faits je n’arrêtais plus de dormir ou plus exactement de rêver les yeux ouverts. Je restais là, étendu sur mon lit, et je voyais plein d’images qui défilaient devant mes yeux. C’était un peu comme au cinéma, sauf qu’ici il n’y avait pas de projecteur. Les images s’enchaînaient les unes aux autres et cela ne s’arrêtait jamais. Parfois, quand une scène du passé resurgissait à l’improviste, il m’arrivait de crier, c’était plus fort que moi. Alors la porte s’ouvrait et on me redonnait un nouveau médicament. J’avais à peine entendu le double tour de clef dans la serrure que le film recommençait, plus beau, plus calme.

Après quelques jours ou quelques semaines, on m’a conduit dans un grand bureau où se tenaient trois médecins en blouse blanche. Ils n’ont pas arrêté de me poser des questions. Comme j’étais encore tout endormi  avec les médicaments que j’avais avalés, j’ai répondu un peu n’importe quoi.  Ils se regardaient d’un air étonné, puis ils notaient leurs réflexions dans un grand cahier. Quand l’un avait fini de m’interroger, c’est un autre qui prenait la relève. J’avais l’impression d’être de nouveau dans le commissariat de police. Il faisait chaud et j’avais soif, mais il fallait continuer à répondre. L’envie de dormir me reprenait par intermittence et à la fin je ne répondais presque plus, alors ils faisaient les questions et les réponses eux-mêmes. C’était plus facile, je n’avais qu’à hocher la tête pour dire que j’étais d’accord. A vrai dire j’étais d’accord avec tout car je ne comprenais même plus le sens de leurs paroles. Ils me disaient des choses complètement incompréhensibles et moi je faisais un petit signe pour dire oui. Je voyais bien à leur air qu’ils étaient de plus en plus étonnés, mais tout ce que je voulais, moi, c’était que cet interrogatoire se termine. Ca a fini par arriver. Ils se sont regardés, complètement consternés, puis on m’a reconduit dans ma chambre, dont on a fermé aussitôt la porte à double tour.

En attendant, j’avis toujours aussi soif et il a fallu attendre l’heure du dîner pour avoir droit à une petite bouteille d’eau minérale. J’ai essayé d’en réclamer une deuxième, mais on m’a dit que non, que j’avais droit à une seule bouteille par repas. J’ai expliqué que j’avais dû parler toute l’après-midi par une chaleur accablante et que j’étais complètement déshydraté. Mais non, il n’y avait rien à faire, le règlement était le règlement. Alors je me suis un peu énervé. Si je ne pouvais pas avoir une bouteille d’eau minérale, qu’on me donne au moins un verre ou un gobelet en plastique, que je puisse aller boire dans la salle de bain. On ma répondu qu’après le repas la salle de bain devait être fermée à clef jusqu’au lendemain matin, par mesure de sécurité et donc que je n’avais qu’à me contenter de ma bouteille. Comme je faisais remarquer que c’était un peu fort, deux infirmiers sont arrivés et ils m’ont aussitôt administré une piqure. Je n’ai même pas eu le temps de toucher à mon repas et ne me suis réveillé que le lendemain à l’aube.

Cela a duré comme cela pendant des semaines et des semaines. Je restais enfermé toute la journée et si je me plaignais de mon état ou si je rouspétais sur l’insuffisance de nourriture ou son aspect peu varié (une biscotte avec du beure le matin, l’éternel steak haché à midi, que l’on peut manger sans couteau, et un peu de potage le soir), les deux infirmiers revenaient et m’administraient de nouvelles piqures. Un jour je leur ai demandé pourquoi ils agissaient ainsi. Ils m’ont répondu que tant que je ne serais pas raisonnable, cela continuerait. J’ai fait remarquer que je n’étais quand même pas très exigeant et que mes réclamations étaient fondées, mais ils m’ont expliqué que contester le système renforçait les médecins dans leur opinion. J’étais gravement malade et manifestement je n’acceptais aucune autorité. Tant que je ne voudrais pas changer, ils ne bougeraient pas non plus.

Quand finalement ils m’ont trouvé plus « raisonnable », les séances d’interrogatoire avec le corps médical ont recommencé. J’étais même devenu tellement coopératif qu’ils organisaient jusqu’à deux entretiens par jour. Ils n’arrêtaient plus d’écrire dans leur petit cahier. Bientôt il en a fallu un deuxième, puis un troisième. Je souriais intérieurement quand je les voyais si appliqués dans leurs écritures. Je me disais qu’à la fin ils auraient complètement oublié ce qu’ils avaient noté au début et donc que tout cela ne servait strictement à rien. Mais je me trompais. En réalité, ils devaient se relire en-dehors des séances car un beau jour ils sont revenus en arrière. L’un d’entre eux a ouvert le premier cahier et il m’a dit que je mentais. Il me l’a dit comme cela, sans sourciller, et en me fixant d’un regard froid et impassible. Comment cela je mentais ? Oui, car contrairement à ce que je disais aujourd’hui, j’avais affirmé il y a quatre mois ne plus me souvenir où j’étais né.  J’ai expliqué qu’à l’époque j’avais dû mal comprendre leur question et donc que ma réponse n’avait aucun sens car évidemment j’avais toujours su où j’étais né. Mais cela n’allait pas comme cela et on me le fit vite comprendre. On m’accusait d’amnésie cyclique intentionnelle à connotation perverse. Pour le dire plus simplement : j’avais voulu tromper mon monde et désorienter le corps médical dans sa recherche de vérité. Car oui, ces médecins  étaient là pour m’aider et moi j’essayais de les induire en erreur intentionnellement, ce qui prouvait à suffisance la nature perverse de ma constitution. On me dit que mon cas était grave, que je  constituais manifestement un danger pour la société et que ce n’était pas demain la veille que j’allais sortir d’ici. J’ai bien essayé de leur expliquer : mon état de fatigue des premiers jours,  la soif qui me tenaillait, mon désir d’en finir au plus vite avec  ce que je considérais comme un interrogatoire…  Il n’y a rien eu à faire. 

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[tab name=’Chapitre 2′]

 

Chapitre II

« De toute façon », dit l’un deux, les mains appuyées sur son petit cahier qu’il venait de refermer, avec ce qui s’est passé avec votre sœur, il n’y a pas à hésiter sur le diagnostic. Ma sœur ! On y arrivait enfin ! Tous ces longs mois à tourner autour du pot alors que le fond du problème était là. J’allais enfin pouvoir m’expliquer…

En fait, je n’ai rien pu dire. Ils ont refait mon procès, comme la police l’avait fait avant eux. On avait retrouvé la victime chez elle, déjà dans le coma, du sang partout dans la chambre.  J’étais le seul à posséder la clef de l’appartement, l’affaire était claire. D’ailleurs la symbolique de la clef, comme objet sur lequel projeter tous les fantasmes sexuels refoulés, était évidente. Qu’est-ce que je pouvais objecter à cela ? Une clef n’est-elle pas faite pour pénétrer dans une serrure ? Je dus bien en convenir malgré moi. Mais à peine avais-je accepté ce point de détail pourtant insignifiant qu’ils se sont mis à échafauder toute une théorie implacable. Selon eux, un désir incestueux latent sommeillait en moi. Ce désir, je l’aurais projeté sur la clef, symbole de toutes les jouissances possibles. De plus cette clef m’avait été donnée par la victime elle-même, ce qui renforçait encore son caractère érotique manifeste. Une fois en possession de cet objet qui ouvrait toutes les portes à mes fantasmes, je l’avais jalousement gardé au fond d’une poche jusqu’au jour où je n’avais pu résister à l’envie de m’en servir. Le reste était connu, l’affaire jugée. Si j’avais pu éviter la prison, c’était uniquement parce que le juge, dans sa grande sagesse, avait été frappé par l’aspect pathologique de mon comportement. Voilà pourquoi il avait décidé de mon enfermement en milieu psychiatrique. Eux, pourtant, les médecins, ils avaient espéré pouvoir me guérir et me faire retourner vers la normalité du monde, mais ils voyaient bien  maintenant que c’était impossible. Ce mensonge prémédité sur ma date de naissance ruinait tous leurs espoirs. Mon cas était désespéré, ils ne pouvaient que répéter leur sentence. J’étais un incurable, doublé d’un pervers polymorphe. En effet, à côté de pulsions sexuelles libidineuses et incestueuses, je développais un côté sadique, ce qui était la caractéristique d’un comportement schizophrénique à tendance paranoïde et faisait de moi l’être le plus abject au monde. De plus en « oubliant » mon lieu de naissance, je prouvais à suffisance mon désir de nuire et de brouiller les pistes pour mieux recommencer mes perversités innées.

J ’écoutais tout cela d’un air hagard. Derrière leurs petites lunettes, je voyais leurs regards froids et inquisiteurs. Je n’y découvrais à vrai dire aucune trace d’humanité ou de pitié mais plutôt un côté accusateur qui semblait traduire le contentement qu’ils éprouvaient à être les plus forts. Après une bonne heure où ils m’assommèrent de termes médicaux auxquels je ne comprenais strictement rien, ils clôturèrent la séance. Celui qui avait le cahier ouvert devant lui traça une grande ligne en-dessous de ses dernières remarques. C’est là que j’ai compris que tout était terminé. Il n’y aurait plus d’autres séances. On venait de tracer un trait sur ma vie.

Très vite on m’installa dans un autre pavillon. Tout ici était plus ancien. Il y avait des grilles aux fenêtres et même un grillage au judas de la porte, une énorme et lourde porte métallique, à la couleur kaki toute délavée. Comme les carreaux étaient opaques, on ne voyait strictement rien de ce qui se passait au-dehors et dès seize heures, même en été, il fallait allumer la lampe, une simple ampoule qui se balançait au bout de son fil à une hauteur vertigineuse. Le lit métallique était scellé dans le mur, ainsi que l’évier en inox. Pas de miroir, pas d’armoire, pas d’étagère, rien qu’un rayonnage encastré dans l’épaisseur du mur.

Comme je l’ai dit, on ne voyait rien à l’extérieur. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était écouter.  Alors j’ai écouté. A la fin je reconnaissais tous les bruits. Le flot des voitures sur la nationale, le matin, quand les gens partaient travailler. La sonnerie d’une école, qui marquait le début des cours, loin, très loin. Puis les bruits de l’institution elle-même. Un camion de ravitaillement qui se garait vers neuf heures devant les cuisines. Les médecins qui retournaient manger chez eux à midi et dont les pneus des voitures crissaient sur le gravier du parking. Puis des bruits insolites, inhabituels, comme la camionnette du plombier qui venait réparer les chasses d’eau qui fuyaient. On entendait alors pendant des heures des coups de marteau le long des tuyauteries. Mais ce que je préférais, évidemment, c’était le chant des oiseaux. Je me réveillais avec eux le matin et chaque soir j’avais droit au concert des grives, qui s’en donnaient à cœur joie dans les arbres du petit parc. Quand je ne les entendais plus, je savais que l’automne était arrivé. Puis, au printemps suivant, elles chantaient de nouveau. Quelques semaines plus tard, le cri strident des martinets annonçait le début de l’été. C’est comme cela que j’ai pu évaluer le temps qui passait. Trois automnes et trois printemps s’étaient succédé depuis que j’étais dans cette chambre. A vrai dire, je commençais à trouver le temps un peu long.

Qu’est-ce que je faisais de mes journées ? Rien justement. Après le petit déjeuner, les infirmiers passaient me faire une première piqure, qui me faisait somnoler jusqu’à l’heure du repas, à douze heures trente précises. Ensuite, je rêvassais toute l’après-midi. Je m’étais constitué une sorte de vie imaginaire, un peu comme un romancier qui fait vivre un personnage de fiction, sauf qu’ici, le personnage c’était moi et ce que j’endurais c’était bien moi qui devais le supporter. Je rêvassais donc à tout ce que j’aurais pu faire si je n’avais pas été ici. Je me voyais donner des cours, comme au moment de mon arrestation. Ou bien je retournais en vacances dans un petit village de Provence, où j’avais vécu deux semaines de rêve lorsque j’avais quinze ans. Parfois, pour combler sans doute ma frustration actuelle,  je me voyais PDG d’une grande entreprise, où réalisateur de cinéma, quand je ne recevais pas le Nobel de la paix pour mon action bénéfique dans la gestion des conflits du tiers-monde. Parfois aussi, une belle jeune femme au regard énigmatique tombait amoureuse de moi, ce qui m’aidait à combler ma solitude entre ces quatre murs.

L’absence de femmes dans cette prison-asile était d’ailleurs ce qui était le plus dur à supporter. La seule que je voyais, c’était l’assistante sociale, qui venait une fois par mois, encadrée de deux gardiens herculéens, s’assurer que ma chambre était propre et que mon état physique était bon. Elle était jeune et jolie et je n’étais pas sans le remarquer, évidemment. Elle me demandait invariablement si la nourriture était assez abondante et si je mangeais bien. Je répondais toujours oui, sans doute pour lui faire plaisir. Elle s’en allait alors et me gratifiait souvent d’un petit sourire. Manifestement, elle ne me regardait pas comme les autres, sans que je sache pourquoi. Sans doute croyait-elle à mon innocence. Parfois, avant de franchir la porte, elle me dévisageait quelques secondes, indécise, puis s’en allait en me souhaitant bonne chance. Ce que je voyais  alors dans son regard me troublait. Je ne sais pas si c’était le fruit de mon imagination, mais j’y voyais comme un peu d’affection, comme si elle me plaignait de devoir rester là alors que j’étais innocent. Il va sans dire que je me remémorais cette scène de la visite des centaines de fois et chaque fois cela se terminait par ce regard humain et gentil posé sur moi. Je finissais par en rêver.

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[tab name=’Chapitre 3′]

Chapitre III

J’ai peut-être imaginé ce qui n’existait pas, je ne sais pas. Mais ce regard féminin me poursuivait. Dans les histoires que je me racontais, la jolie assistante sociale a fini par prendre toute la place. J’imaginais qu’elle venait ouvrir ma porte en pleine nuit pour me permettre de fuir. Avant de m’élancer vers la liberté, je me retournais et nous échangions un long regard troublant. Certes, c’étaient là des histoires à l’eau de rose complètement idiotes et je savais bien que je les avais inventées pour me permettre de tenir le coup, mais à la fin je n’étais pas loin de croire que cette fille éprouvait des sentiments pour moi. Peut-être, d’ailleurs, n’était-elle pas tout à fait indifférente, je ne le saurai jamais.

Ce qui est certain, c’est qu’un jour qu’elle me rendait visite, je ne suis plus parvenu à faire la distinction entre mes rêves et la réalité. Pendant qu’elle me demandait comme d’habitude si tout allait bien, j’ai tendu la main vers elle et j’ai touché son visage. Elle a eu l’air surpris et s’est reculée en me regardant d’une étrange façon. Je n’ai pas eu le temps de déchiffrer son expression que déjà les deux colosses qui l’accompagnaient me tombaient dessus. Ils me maintinrent au sol pendant qu’un infirmier accourait pour m’administrer une piqûre. Quand ce fut fait, un des gardiens me donna plusieurs coups de pieds dans le ventre. Je me souviens des cris de la femme, qui lui hurlait d’arrêter. Après, c’est le trou noir. Je ne me suis réveillé que le lendemain vers midi. J’avais mal aux côtes, à cause des coups reçus, mais surtout j’avais un mal de tête abominable. Manifestement, ils avaient mis une triple dose dans leur fichue piqûre.

Personne n’est venu pour le déjeuner ni pour le dîner et il a fallu attendre vingt-trois heures pour que la porte s’ouvrît enfin. C’étaient les deux gaillards de la veille. Ils m’ont traîné jusqu’à une autre cellule, sans fenêtre celle-là, et m’ont ligoté sur le lit avant de recommencer avec leurs piqûres. Je ne parvenais plus à bouger et de rage j’en ai mordu un au bras. Cela a encore fini par des coups et une deuxième piqûre.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, puisque je n’ai plus aucun repère. Je n’entends ni les voitures sur la nationale ni la cloche de l’école. Ils ont sûrement insonorisé les murs, les salauds. Ou alors je suis dans une cave, ce qui est encore bien possible. L’assistante sociale n’est plus jamais revenue. Il fallait s’y attendre. Celui qui m’apporte à manger une fois par jour me l’a bien dit. Détraqué comme je suis, il paraît, plus aucune femme n’approchera de ma cellule. C’est déjà bien assez d’avoir assassiné ma sœur. J’ai essayé de lui expliquer que j’étais complètement innocent du crime qu’on me reprochait, mais il n’a rien voulu entendre. « L’agression » contre l’assistante sociale ne faisait que confirmer ce que tous les médecins pensaient et le fait d’avoir voulu mordre un gardien prouvait à suffisance que j’étais un malade dangereux.

Alors je reste là, en attendant je ne sais quoi. Comme il ne m’est plus permis de rêver, je m’interroge sur moi-même. J’en arrive presque à me demander si je ne suis pas un peu responsable de ce meurtre qu’on me reproche. Certes, j’ai toujours dit que c’était le petit ami de ma sœur qui l’avait tuée lorsqu’elle avait mis un terme à leur relation, parce que c’était un jaloux, un fou furieux, un véritable malade. Mais à la fin, je ne sais plus, je ne suis plus sûr de rien. Je n’arrive même plus à me souvenir du nom de ce gars-là. Si ça se trouve il n’a jamais existé que dans mon imagination et c’est à moi que ma sœur aurait dit que c’était fini. Si ça se trouve, ce sont les médecins qui ont raison : je suis un pervers incestueux. Il faut dire qu’ils ont avancé tellement d’arguments pour me convaincre de mon ignominie que j’ai fini par les croire, du moins en partie.

En réalité, je ne sais plus où j’en suis. Entre ces piqûres qui m’assomment et qui me brouillent l’entendement et cette pièce sombre sans aucun repère dans laquelle je vis, il m’est difficile de retrouver mon équilibre. Je reste des jours entiers sans aucune pensée, assis dans un coin, les bras repliés autour des genoux. Je suis devenu un mollusque, une larve, une limace, ce que vous voudrez. Je n’existe plus. Mais parfois j’ai un sursaut et ma dignité reprend le dessus. Alors les idées se mettent à tourner dans ma tête à une vitesse vertigineuse. Je revis les événements les uns après les autres. Ma sœur qui me téléphone et qui m’annonce sa rupture. Son ex-petit ami qui débarque chez moi et qui me demande les clefs pour aller récupérer ses affaires. Et puis la police qui me réveille au matin et qui m’apprend le meurtre. Le chagrin immense qui s’empare alors de moi et l’idée, oui, que je suis coupable par imprudence. Ensuite, on me conduit au commissariat et on me parle des clefs qu’on a retrouvées sur la porte. Que dire ? Comment avouer que c’est moi qui les ai données ? Sans penser à mal, pour rendre service, pour que cet énergumène de petit ami que je détestais par-dessus tout reprenne vite ses affaires et disparaisse à jamais de notre vie, à ma sœur et à moi… C’est vrai qu’on était fort proches, alors quand les psychiatres sont venus lire leur rapport à la barre, je n’ai pas été trop surpris par leurs propos. Et puis ici ils m’ont achevé. Finalement leurs dires sont cohérents, plus que les miens. Ce n’est peut-être pas la vérité, mais l’histoire qu’ils racontent a un sens. Le poids des mots l’emporte toujours sur la vérité, les romanciers savent bien cela. A force de les écouter, tous ces médecins, j’ai fini par douter de la vérité. La culpabilité que j’avais enfouie au plus profond de moi a ressurgi et a tout envahi. J’en suis à me demander si ce n’est pas moi qui ai ouvert la porte avec la fameuse clef, si ce n’est pas moi qui me suis approché de ma sœur pour lui reprocher d’en aimer un autre. Peut-être ont-ils raison, finalement. De toute façon, ils ont toujours raison. Qu’on n’en parle plus.

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