C’est ce que crie le metteur-en-scène sur un plateau de cinéma, lorsque les acteurs et surtout le chef operateur et l’ingénieur du son sont prêts. « Action » ! C’est comme « shooting », un mot à deux acceptions : on « shoote » un film, avec une caméra, ou alors on « tire », avec une arme. Quand le mot est lancé, souvent au travers d’un haut-parleur, il n’y a plus de marche-arrière possible, l’action, donc la « prise » doit aller jusqu’à son terme. Ce n’est qu’après le « coupez » ! du metteur en scènes que chacun pourra retourner à la vie normale en attendant la prise suivante. Du moins au cinéma.
Ce qui est en train de se préparer à Bangkok. Ce vendredi ressemble fort à un film à grand spectacle dont les protagonistes sont, d’un côté, des gens simples, sans importance et de condition modeste ou très pauvres, avec parmi eux des vieillards, des femmes et des enfants, et de l’autre, des enfants-soldats qui ont choisi cette profession parce qu’elle leur assurait de quoi manger. Tout comme certains mômes choisissent (ou plutôt leurs parents choisissent pour eux) de se faire moine afin d’avoir accès gratuitement à un minimum de connaissances scolaires.
Des mesures massives de confinements ont déjà entreprises autour du quartier Rajaprasong afin que les « chemises rouges » se rendent ou évacuent le quartier. Le gouvernement a demandé aux médecins et au personnel des différents centres hospitaliers alentours, « de se tenir prêts », et il a été recommandé à tous les commerçants de donner congé à leur personnel ce vendredi. Banques et magasins seront fermés aux alentours de la zone rouge. Le clash entre protestataires et forces de sécurité est inévitable. Des tireurs d’élite sont déjà placés à des points stratégiques afin de « shooter » sur les « terroristes » qui porteront des armes. Les leaders rouges, derrière leurs barricades hurlent qu’ils ne se rendront jamais, qu’ils n’ont pas peur de mourir « Ayez foi en notre combat. Aussitôt que les troupes commenceront à tirer sur vous, des « chemises rouges » débouleront de toutes les provinces et de Bangkok pour se rassembler ici. ».
Voilà, « la tragédie est prête, il n’y a plus qu’a l’écrire » disait Corneille (je crois)… Ici, les acteurs sont en place, le scenario a été écrit et réécrit par les protagonistes des deux camps, le gouvernement, qui, comme un metteur en scène de cinéma (dont on sait qu’il ne décide jamais seul – derrière lui il y a les producteurs et les studios -) n’a plus qu’a crier « Action » ! Et le reste se jouera avec de vraies armes et de vrais morts, et non pas avec de la pellicule et des figurants. Et il n’y aura qu’une seule prise.
Lorsque j’ai pris le cliché de ce jeune soldat – dont on voit en agrandissant la photo, les gouttes de sueur, peur ou chaleur, couler sur le visage – il avait une tenue plutôt décontractée. Son chef, me voyant « armée » de mon appareil photo, lui a crié « Action ! », non pas pour tirer sur moi, parce que là, c’était moi qui « shootait », mais pour qu’il se tienne droit. En soldat. Prêt à l’action en somme.
Et ce soir, c’est à cela que je pense, à ce mot qui va déclencher l’action… et le massacre qui s’en suivra.
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