Intrigué par mon allure studieuse au petit-déjeuner, un australien, chargé d’un rapport à l’Onu sur « les enfants des rues en Thaïlande » – en particulier aux frontières birmane (Mae Saï) et laotienne (Chiang Saen) – s’est invité à ma table. C’était il y a quelques mois. De retour à Chiang Mai, Simon et moi avons tout naturellement renoué une conversation laissée en suspens…. sur le problème du trafic d’enfants, d’origine birmane, laotienne et cambodgienne sur le territoire thaïlandais. A trois ans, ils vendent des fleurs dans les restaurants et sur les marchés, partout où il y a des touristes.
Je ne savais pas…
J’en rencontre tous les jours au « night bazar ». Etonnée de les voir traîner à 11 heures ou minuit, j’ai demandé un nombre incalculable de fois : « Maee you naï ? » (Ta mère est où) ? Immanquablement, l’enfant m’indiquait un vague endroit qui signifiait « par là ». Alors, rassurée, je lui achetais une rose ou une guirlande de jasmin pour 20 bahts…et lui s’éloignait dans la nuit, petite silhouette aux pieds nus, sourire timide, et regard implorant… vers une autre table, d’autres touristes, d’autres farangs au bon cœur…. 20 bahts plus 20 bahts qui souvent vont dans la poche de trafiquants d’enfants. « Maee », « mère » est un terme générique. Les enfants appellent « père », « mère », toute personne ayant l’âge d’être leur père ou leur mère, question de politesse. Lorsque je demande l’addition à un garçon ou une fille dans un restaurant, je ne crie pas « garçon ! », mais « nong », « petite sœur », ou «petit frère », question de politesse toujours. J’aurais dû savoir que « maee » ne voulait pas forcément dire la vraie mère. Dans les bordels, les salons de massages, les bars, la responsable des filles s’appelle bien « mamasan » (mère maquerelle). J’aurais dû savoir. Mais il y a tellement de choses qu’on ne sait pas. Qu’on ne cherche pas a savoir, que l’on n’a pas envie de savoir. Et combien même saurait-on, partirait-on pour autant en guerre contre les trafiquants de chair humaine ? Ça rapporte plus que la drogue paraît-il… Les roses, la drogue (colle, puis « yaa baa »), la prostitution… c’est le cheminement habituel de ces laisses-pour-compte, avec, au bout de la chaîne, le sida…D’où viennent ces enfants ? De familles absentes, père ou mère en prison ou morts. Mômes ayant fuit la violence d’un père alcoolique, la brutalité d’un beau-père et j’en passe. Livrés à eux-mêmes. Livrés à la rue. Les trafiquants de chair humaine, les trafiquants d’âme, eux, sont à l’affût et proposent protection à leurs jeunes proies. Ils deviennent leur nouveau père, leur nouvelle mère. Selon mon ami Simon l’australien, la condition des enfants thaï s’est beaucoup améliorée ces 20 dernières années, le problème aujourd’hui ce sont ces enfants sans identité, le plus souvent en provenance des pays limitrophes, ou les enfants des ethnies de montagne vivant parfois depuis des centaines d’années sur le territoire thaï, mais n’en possédant pas l’identité. (je reparlerai de ce problème lorsque Simon me donnera de plus amples informations)
En démarrant cette note, j’avais l’intention d’aborder un autre sujet : celui de la censure en Thaïlande contre laquelle Simon l’australien – à qui j’expliquais le contenu de mon blog – cherchait à me mettre en garde. Il n’y a pas d’urgence. Je lui suis reconnaissante d’avoir eu peur pour moi et de m’avoir fait parvenir des documents en provenance de journalistes qui se battent pour la liberté de la presse en Thaïlande. Je les traduirai prochainement. Ça me donne quelques frissons rétroactifs ! En attendant, je vais me barder de mes appareils photo et interviewer quelques « chemises rouges » Na kha !
« Si les rouges gagnent en crédibilité » écrit l’éditorialiste du « Nation », « leur leaders devront formuler exactement ce qu’ils pensent que la nation devrait faire pour évoluer. Suivre le modèle occidental du nord où l’état prend soin de ses citoyens, de la naissance jusqu’à la mort ? Mais accepteront-ils de verser cinquante pour cent de leurs revenus en taxes ? Thaksin a été reconnu coupable de fraude et d’évasion fiscale, peut-il être le modèle d’un peuple qui réclame une vraie démocratie » ?
La démocratie a un prix. La liberté a un prix. Savoir, faire savoir a aussi un prix apparemment.
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