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Littérature russe : relire « Guerre et paix » de Tolstoï

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leon tolstoi

Roman de Lev Nikolaévitch Tolstoï, Guerre et Paix est considéré comme la plus grande oeuvre de la littérature russe et une des plus importantes de la littérature universelle. En effet, la vie russe y est décrite d’une façon si complète et placée sur un plan d’une « si haute humanité », que ce roman peut être envisagé comme l’un des plus beaux monuments de la civilisation européenne.

Guerre et Paix en Folio
Guerre et Paix en Folio

Il a été écrit par son auteur en cinq ans et publié en 1878, ce dernier ayant pris pour fond historique la campagne napoléonienne de 1805-1806 avec Austerlitz et celle de 1812-1813 avec Borodino et l’incendie de Moscou, l’ensemble de ces événements étant vécus dans le complexe de deux familles appartenant à la noblesse : les Bolkonsky et les Rostov. Le comte Pierre Bézoukhov, avec lequel l’auteur s’identifie, en est le personnage central bien qu’il n’occupe pas toujours la scène. Le vieux prince Bolkonsky, qui fut général au temps de la grande Catherine, est un voltairien intelligent mais despotique. Il vit dans ses terres avec sa fille Marie qui n’est plus ni très jeune, ni très belle, mais dont le regard d’une pureté rayonnante et la nature discrète laissent deviner la bonté et la spiritualité. Son fils, le prince André, est un officier intelligent, conscient de sa supériorité mais désabusé et cherchant en vain à utiliser ses dons ; il sera blessé une première fois à la bataille d’Austerlitz et retournera à ses foyers pour assister à la naissance de son premier enfant et à la mort de sa femme. Plus tard, il tombe amoureux de la très jeune et exubérante Natacha Rostov qui lui apparaît comme un idéal de beauté et de pureté. Quand celle-ci se laisse séduire par les avances douteuses du mondain et superficiel Anatole Kouragine, le prince André tombe dans un véritable désespoir et a la prémonition de sa mort. En effet, il sera blessé gravement à la bataille de Borodino et rapatrié au moment où la population quitte Moscou menacé par la grande armée de l’empereur français. Il mourra d’ailleurs auprès de Natacha à laquelle il aura pardonné.

La belle Natacha
La belle Natacha

La figure attachante de Natacha illumine le livre. C’est une des plus belles créations de Tolstoï et l’une des héroïnes les plus humaines, les plus fascinantes de la littérature mondiale. Natacha  extériorise sa nature pleine de joie, capable d’influencer ceux qui l’entourent par sa sincérité. Elle possède cette lucidité du coeur qui est mieux que l’intelligence, le don inné de comprendre et de partager. La disparition de son jeune frère, tué sur un champ de bataille, marquera un tournant dans l’existence de la jeune fille. A l’instar de la princesse Marie Bolkonsky, elle deviendra une épouse et une mère exemplaire. Quant à la destinée de Pierre Bézoukhov, elle trace une ligne médiane entre la destinée du prince André et celle de Natacha. A la tête d’une immense fortune à la mort de son père, il n’en profitera nullement pour se complaire dans le luxe d’une vie oisive. De nature méditative, il est enclin à considérer les choses avec une simplicité primitive, aussi est-il moqué dans le milieu qu’il fréquente. Le prince Basile Kouraguine parviendra à abuser sa naïveté et à lui faire épouser sa fille, la belle mais extravagante et superficielle Hélène, dont il se séparera et qui le dégoûtera à tout jamais de ce milieu futile. Aussi, lorsque Napoléon entre à Moscou, Pierre se sent-il désigné par le destin pour tuer le tyran et se tient-il prêt à sacrifier sa vie et, cela, d’autant plus facilement qu’il la juge inutile. Il est arrêté par les Français avant d’avoi pu réaliser son projet et, en prison, sera en contact avec des hommes simples comme Platon Karataïev dont la foi sincère et spontanée le touchera au coeur. Sa femme étant morte, il se rapproche de Natacha qui, mûrie par ses souffrances, lui est devenue singulièrement proche. Il l’épousera et ils essaieront d’oublier ensemble les douleurs de la guerre et d’accomplir un parcours en tous points conforme à leurs aspirations.

L’importance de Guerre et Paix s’explique non seulement par la grandeur du cadre et l’ampleur de la vision de l’écrivain, mais surtout par ce que d’aucuns ont appelé l’élément moral ou philosophique, ce qui est tout ensemble de portée universelle et de conception typiquement russe. L’élément universel est la philosophie de l’histoire propre à Tolstoï. Selon lui, ce n’est ni l’esprit de pénétration des généraux et des dirigeants, ni la tactique des Etats-Majors qui doivent être considérés comme les facteurs décisifs dans les grands événements, c’est l’esprit des masses populaires, leur héroïsme, leur relative passivité et la force de volonté des âmes pures unies dans un commun effort.
Par ailleurs, l’écrivain est convaincu que cette philosophie trouve sa meilleure expression dans l’âme populaire russe. Les représentants les plus authentiques en sont le soldat Karataïev et, sur un plan plus élevé, le général Koutousov. Karataïev avec sa prière vespérale :  » Seigneur fais-moi dormir comme une pierre et me lever comme le pain  » – exprime la soumission profondément religieuse de l’homme face à l’absolu qui le gouverne. En lui s’énonce déjà le principe de la non résistance au mal qui, hélas ! conduira plus tard le peuple russe à se soumettre à l’effroyable dictature communiste. Quant à Koutousov, il est le représentant éclairé d’une conception mystique, dont seul ce peuple, contemplatif et patient, peut, selon l’auteur, porter le message au monde – et il est probable que la Russie n’a pas fini de nous surprendre. Koutousov, considérant l’invasion des troupes françaises avec l’intuition d’un villageois, subodore que l’effort de Napoléon est déjà épuisé et destiné à s’évanouir dans l’immensité monotone des steppes. Refusant l’affrontement, dont il prévoit que son armée ne sortira pas victorieuse, et ne voulant en aucun cas la sacrifier, il incite l’empereur à s’enfoncer toujours plus avant dans le pays, supposant que l’hiver russe refermera sur lui, ses officiers et ses soldats, ses mâchoires de neige et de glace. Aussi ne se préoccupe-t-il pas de se livrer à des batailles rangées ; il attend avec confiance l’heure de la grande retraite. Cette conception, Tolstoï ne craint pas de la développer avec vigueur. L’oeil clair et rêveur de Pierre, ami de la famille Rostov, joue le rôle d’un écran sur lequel se reflète le monde dirigé par une fatalité latente, mystérieusement sage. S’initiant à la contemplation, Pierre restera toutefois impuissant devant l’absolu. Grâce à ces rapports incessants entre le relatif et l’éternel, qui tantôt se révèlent dans l’intimité de la personne, tantôt se manifestent dans la foule des hommes et dans le cadre qui les entoure, un livre comme Guerre et Paix prend rang parmi les oeuvres épiques, plus proche de l’Iliade qu’aucune autre de la littérature européenne moderne. Dans la période complexe que nous vivons, il est intéressant de le relire, pour nous mieux convaincre qu’à toute action de la vie quotidienne correspond, sur le plan supérieur, son double magnifié, en mesure d’ouvrir à chacun une issue spirituelle. « Ainsi Tolstoï parvient-il à retrouver les valeurs fondamentales et à les restituer intactes et riches de promesses à notre monde condamné à se débattre entre les pôles d’un formalisme et d’un naturalisme brutal et irrémissible, plaçant son oeuvre dans une parenthèse de réflexion entre les origines du temps et les fins dernières ».

Sources :  Dictionnaire des Oeuvres – Laffont/ Bompiani  ( 1952 )

« Guerre et Paix » de Léon Tolstoï en collection de poche, chez Folio : Deux tomes, soit plus de 2000 pages…. pour environ 15 €

Guerre et paix : Tome 2

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Armelle Barguillet Hauteloire

1 commentaire pour “Littérature russe : relire « Guerre et paix » de Tolstoï”

  1. Bonjour Madame
    Merci pour cet article très intéressant.
    J’ai lu La guerre et la paix il y a des années et je recherche en vain dans le livre une partie concernant un voyage en traîneau de Napoleon et d’Alexandre 1e.
    Me le suis-je imaginé (ou lu ailleurs?) ou bien y a-t-il bien dans l’ouvrage la narration d’un tel voyage?
    Merci de votre aide
    Cordialement
    Nadège Puljak-Ehrmann

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