Avec Trésor des Médicis, le musée Maillol à Paris présente une exposition d’art, d’histoire et d’histoire de l’art consacrée au règne des Médicis et à l’impressionnant trésor d’oeuvres d’art qui constituent un véritable musée universel … Une exposition riche et passionnante qui permet d’explorer l’histoire d’une époque, à travers les rapports entre art, politique et pouvoir…
Peut-être ne faut-il pas aller voir l’exposition Trésor des Médicis au Musée Maillol (jusqu’au 31 janvier 2010) avec un oeil d’historien d’art sourcilleux, peut-être est-ce plutôt une exposition sur les rapports entre l’art et le pouvoir, et sur la découverte du monde, davantage qu’une classique exposition dite scientifique, et c’est tant mieux. Mieux vaut être équipé d’un arbre généalogique de la famille et de quelques éléments historiques pour s’y retrouver, car l’exposition, conçue par Maria Sframeli, directrice du Museo degli Argenti, couvre plusieurs siècles, de Cosme l’Ancien, né en 1389, à Jean-Gaston, mort en 1737. Ce qui ressort d’abord de cette exposition, c’est l’utilisation de l’art comme outil de pouvoir et de rayonnement, par les souverains de ce petit état pas très puissant militairement ou géopolitiquement, mais dont l’importance culturelle fut inégalée. Je ne redirai pas ici leur histoire, ni la manière dont la France, grâce à Catherine et à Marie, s’ouvrit à la culture italienne et antique, mais je veux d’abord seulement évoquer quelques oeuvres d’art emblématiques de ce rapport au pouvoir.
C’est ainsi que les Médicis, marchands roturiers anoblis, veulent ancrer leur histoire, et celle de Florence, dans l’Antiquité : le duché couvrant à peu près le territoire de l’Étrurie antique, cette statue de l’Orateur devient, plus qu’un objet d’art, un symbole national (anticipant l’archéologie nationale de Napoléon III, de Guillaume II ou des sionistes). La noblesse majestueuse de l’orateur, la primauté ainsi donnée au verbe, le respect montré ainsi à la culture ancrent aussi les Médicis dans une Renaissance éclairée.
Une des démonstrations les plus éclatantes de cette soumission de l’art au pouvoir politique est cette statue de Michel-Ange : celui-ci, plutôt sympathisant de la République de 1527, dont il est commissaire général aux fortifications, sculpte alors un David populaire et républicain. Quand les Médicis reviennent au pouvoir, Michel-Ange, soucieux de se réconcilier avec le pouvoir et tremblant pour sa vie, transforme sa statue en un Apollon tirant une flèche de son carquois (1525/1530) : statue bien gauche, mais si éloquente.
Les deux papes Médicis, Léon X et Clément VII, contribuèrent aussi grandement au rayonnement de la famille. Le bibliothécaire de Léon X, le cardinal Tommaso Inghirami (surnommé Phèdre à la suite de sa brillante improvisation théâtrale dans ce rôle) souffrait d’un strabisme fort enlaidissement. Son portrait par Raphaël (1510) est si vivant, si plein de mouvement que son handicap passe inaperçu, le bibliothécaire semblant chercher l’inspiration au ciel.
Cette exposition met aussi fort bien l’accent sur ce premier musée universel que fut le trésor des Médicis. On est surpris d’y trouver des oeuvres d’art venant d’Asie, des Amériques et d’Afrique. Ce vase chinois Longquan en céladon, aux lignes si pures et à la facture si dépouillée, paraît presque incongru aux milieu d’autres orfèvreries somptueuses.
On voit aussi, dans le studiolo du duc François 1er, des cuillères du Bénin, un collier Taïno, cet inquiétant masque en jade Teotihuacan du Mexique, et ce somptueux manteau de plumes Tupinamba du Brésil. L’ouverture des Médicis au monde, leur dimension universaliste, leur intérêt pour de tels objets non seulement d’un point de vue esthétique mais aussi leur curiosité presque ethnologique sont une des grandes découvertes de cette exposition.
Il y a aussi, et de plus en plus vers la fin de la dynastie, des objets scientifiques (avec Galilée en particulier) et des objets religieux. Parmi ceux-ci, j’ai aimé cette Âme damnée en cire de Gaetano Giulio Zumbo (1691/1695) aux petits démons très réalistes, et ces autres démons dans une explosion de feu dans une peinture sur pierre de Vincenzo Mannozzi, L’enfer (détail).
Enfin, parmi les objets qui suscitent l’étonnement, une composition en pierres dures, or, émaux, diamants et bronze doré des orfèvres Cosimo Merloni et Jonas Falck, est un Ex-voto du grand duc Cosme II en prière devant Saint Charles Borromée l’implorant de rétablir sa santé, en vain : Cosme II mourra en 1621, à 31 ans, avant l’achèvement de cette pièce grandiose et kitschissime.
L’exposition se clôt sur ce minuscule Berceau, oeuvre d’un orfèvre hollandais, porteur des espoirs que la dernière des Médicis, Anna Maria Luisa, ait un héritier. Une énorme perle baroque tient lieu d’enfant emmailloté. Mais il n’y eut pas d’héritier, et la dernière duchesse légua en 1743 le Trésor de la famille à la ville de Florence, à condition que les collections y restent et soient ouvertes au public. Le collectionnisme des Médicis devint ainsi une des bases du musée moderne, exactement cinquante ans avant le Louvre, et c’est à cette grosse perle que nous en sommes redevables, en quelque sorte.
Photos 4, 5, 6, 7 et 8 de l’auteur.