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Un portrait de Michel Houellebecq par Mathias Durand-Reynaldo

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Le 30 avril 2010, j’avais ici évoqué les mésaventures parisiennes du peintre Mathias Durand-Reynaldo qui s’était rendu dans la cour Napoléon du Louvre pour présenter au public une toile, laquelle représentait un portrait de Nicolas Sarkozy, pastiche du Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries de David (1812, conservé à la National Gallery of Art de Washington). Empêché à plusieurs reprises de montrer son œuvre par les agents de sécurité, il avait en outre fait l’objet d’une surveillance continue d’un service de police non clairement identifié, jusqu’aux abords du jardin des Tuileries où il fut fermement invité à quitter les lieux. Le tableau, où abondaient des détails aussi symboliques que malicieux, semblait alors un sujet si sensible que la presse, y compris télévisée – même les émissions supposées les plus « branchées » et « libres » –, refusa de couvrir l’incident ou de montrer « l’objet du délit » ; à part l’article publié dans ces colonnes, seul un papier de Marie Darrieussecq, dans Beaux-Arts Magazine du mois de juin suivant, relata l’affaire.

Plus récemment, et toujours avec son impeccable technique hyperréaliste, l’artiste réalisa un portrait de Benoît XVI, intitulé Electro-Pope, lui aussi rempli de symboles à décrypter, dont le thème renvoyait au silence que le Vatican entretint longtemps autour des scandales de pédophilie qui eurent lieu au sein de l’Eglise. Bien que la toile, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de l’Etude d’après le portrait du pape Innocent X de Vélasquez peinte par Francis Bacon (1953), fût fort intéressante, la presse, une fois encore, refusa d’en faire écho. Plus surprenant, aucune galerie n’accepta d’exposer ces deux œuvres. Pourtant, le réel talent de Mathias Durand-Reynaldo aurait dû militer en sa faveur mais, manifestement, ces tableaux abordaient des sujets « tabous », comme s’il devait y en avoir en matière d’art…

Dès lors, on peut s’interroger sur les raisons de cette omerta : souci de complaire au pouvoir d’alors dans le premier cas, crainte de manifestations hostiles, de risques de procès dans le second ? On ne peut l’exclure, après le tollé que soulevèrent en 2011 chez les religieux plus ou moins intégristes les pièces Sur le concept du visage du fils de Dieu et Golgota Picnic, sans parler du saccage d’œuvres picturales d’Ernest Pignon-Ernest et de photographies d’Andres Serrano.
Il y a quelques semaines, Mathias Durand-Reynaldo acheva une nouvelle peinture, plus consensuelle puisqu’il s’agit d’un portrait de Michel Houellebecq. Si sa facture reste très classique, son support l’est moins. En effet, l’artiste, après avoir lu La Carte et le territoire, résolut de se mettre un instant dans la peau du héros, Jed Martin, et de peindre le portrait de l’écrivain non pas, comme dans le roman, sur une carte Michelin, mais sur… le roman lui-même. Dans celui-ci, Jed Martin avait indiqué que les murs du bureau de Houellebecq étaient couverts de notes, de manuscrits et de papiers divers ; dans le même esprit, le plasticien décida d’exécuter son portrait sur un « mur de mots ».

Ne reculant devant aucune difficulté, il se mit à la recherche, non d’un exemplaire ordinaire du prix Goncourt, mais d’un volume signé par Michel Houellebecq, ce qui ne fut pas si simple, le romancier participant rarement à des séances de dédicace. Après avoir « cassé » l’ouvrage, Mathias Durand-Reynaldo entreprit de maroufler patiemment ses 216 feuillets sur une toile (89 x 116 cm), puis il peignit le portrait. Il est inutile d’insister sur les obstacles techniques d’un tel procédé : en raison de sa fragilité, on ne peint pas sur un papier imprimé comme on peint sur une toile ; aucune esquisse préparatoire n’est permise, l’huile ne peut convenir, on doit lui substituer l’acrylique.

« L’intégralité du tableau, confie le peintre, à été recouverte par un film plastique alimentaire pour éviter les projections d’eau et au fur et à mesure de l’avancée de ma peinture, je découpais au scalpel les parties ou je devais travailler et je cachais celles déjà exécutées. Travaillant à l’aveugle […] et ne pouvant malheureusement pas faire d’esquisses préparatoires […] le crayon à papier et la gomme ne fonctionnant pas dans ce cas-là, la gomme faisant baver l’encre d’impression, je n’avais pas le droit à l’erreur. »

Le résultat est saisissant ; non seulement l’œuvre mérite intérêt d’un point de vue esthétique, mais encore il doit probablement s’agir du premier portrait d’écrivain signé à la fois par l’artiste et le modèle… Le travail achevé, le peintre voulut, sans grand espoir toutefois, « jeter une bouteille à la mer » en adressant une photo du tableau à Flammarion, l’éditeur de La Carte et le territoire, qui la transmit à l’écrivain. Et il se trouve que le portrait plut à son modèle. Mathias Durand-Reynaldo décida donc de le lui offrir.

L’histoire aurait pu trouver ici son épilogue. Mais une sorte de scoumoune poursuit aujourd’hui l’artiste : habitant, aux Caraïbes, l’île de Saint-Martin dont la réputation de plaque tournante du trafic de stupéfiant n’est plus à faire, il redoute en effet que les services des douanes de ce territoire n’endommagent le tableau au cours des contrôles systématiques dont font l’objet toutes les marchandises sortant de l’île, ou que le support papier ne soit sali au cours des manipulations effectuées dans « de grands entrepôts […] poussiéreux où se mêle pièces détachées de voiture, caisses d’épices et billes de bois précieux couvertes de résine ». Le peintre s’inquiète d’autant plus légitimement que le transitaire lui-même s’est refusé à garantir que l’opération pourrait se dérouler sans d’éventuelles détériorations.

On peut imaginer que les fonctionnaires des douanes, même s’il ne fait aucun doute qu’ils apportent un grand soin dans leur travail, n’ont peut-être pas l’habitude de manipuler beaucoup d’objets d’art, a fortiori présentant un évident caractère de fragilité – ce qui est définitivement le cas de cette toile. Il faut donc espérer que la procédure de contrôle fera l’objet d’une attention toute particulière, car il serait regrettable que cette œuvre soit détériorée, pour le peintre, pour son modèle et destinataire bien sûr, mais aussi pour le public, si jamais il venait à Michel Houellebecq la bonne idée de la faire exposer.

Illustrations : Mathias Durand-Reynaldo, Portrait de Nicolas Sarkozy – Idem, Electro-Pope – Idem, Portrait de Michel Houellebecq, Photos © M. Durand-Reynaldo.

Thierry Savatier

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