Petit-fils de berger pyrénéen, fils d’une correctrice de presse et d’un concessionnaire Simca à Toulouse, Paul Blick est d’abord un enfant de la Ve République. L’histoire de sa vie se confond avec celle d’une France qui crut à de Gaulle après 58 et à Pompidou après 68, s’offrit à Giscard avant de porter Mitterrand au pouvoir, pour se jeter finalement dans les bras de Chirac.
Et Paul, dans tout ça ? Après avoir découvert, comme il se doit, les joies de la différence dans le lit d’une petite Anglaise, il fait de vagues études, devient journaliste sportif et épouse Anna, la fille de son patron. Brillante chef d’entreprise, adepte d’Adam Smith et de la croissance à deux chiffres, celle-ci lui abandonne le terrain domestique. Devenu papa poule, Paul n’en mène pas moins une vie érotique aussi intense que secrète et se passionne pour les arbres, qu’il sait photographier comme personne.Une vraie série noire – krach boursier, faillite, accident mortel, folie – se chargera d’apporter à cette comédie française un dénouement digne d’une tragédie antique. Jardinier mélancolique, Paul Blick prend discrètement congé, entre son petit-fils bien-aimé et sa fille schizophrène.
Si l’on retrouve ici la plupart des » fondamentaux » de Jean-Paul Dubois – dentistes sadiques, femmes dominatrices, mésalliances et trahisons conjugales, sans parler des indispensables tondeuses à gazon -, on y découvre une construction romanesque dont l’ampleur tranche avec le laconisme de ses autres livres. Cet admirateur de Philip Roth et de John Updike est de retour avec ce roman dont le souffle n’a rien à envier aux grandes sagas familiales, dans une traversée du siècle menée au pas de charge.
Voilà un livre tout à fait étonnant. La vie d’un homme de l’enfance à l’âge mur est contée tout en prenant comme repères le contexte historique et politique qui accompagne sa progression Ce qui frappe dans ce gros et beau roman, c’est l’écriture qui s’adapte au fil de l’évolution de Paul. Son adolescence en 1968, ses improbables études, ses aventures amoureuses et son mariage relatées d’une façon assez drôle, puis l’âge adulte, l’aboulie du héros, sa passion pour la photographie alliée à sa solitude, son état de spectateur du monde mais aussi de ses proches… tout cela est raconté dans un style, un langage qui se modifie subtilement et qui, petit à petit, fait basculer le récit vers le drame puis la tragédie.
Cet homme qui avait trouvé une sorte de bonheur paisible en vivant non pas en dehors du temps mais en témoin détaché va voir sa vie d’abord bousculée puis pulvérisée par des événements funestes.
On peut noter en passant les très réjouissants et cruels commentaires sur les hommes politiques dont aucun ne trouvent grâce aux yeux du narrateur.
Ce livre m’a enthousiasmé. C’est à la fois une chronique familiale, une puissante saga et un roman intimiste. Je ne suis pas loin de parler de chef d’œuvre et je resterai longtemps marqué par cette histoire passionnante qui allie émotion, intelligente description de l’évolution de notre monde et intensité romanesque.
Un livre indispensable !
- Le Montespan de Jean Teulé : un mari trompé au temps du Roi-Soleil - Juil 5, 2014
- L’Ombre du vent de Carlos Ruiz Zafón - Juil 5, 2014
- Dix Femmes de l’industriel Rauno Rämekorpi d’Arto Paasilinna (Littérature finlandaise) - Juil 5, 2014