Et voilà, je suis depuis quelques jours au Maroc, je navigue. Je prends des photos, des notes, j’emmagasine des souvenirs, des émotions, des impressions. Je suis tombée sous le charme des yeux des enfants, pleins de l’amour de la vie. J’écoute les gens me parler de leur pays, je déguste les rires quand je tente de parler l’arabe, enfin, les quelques mots que j’ai mémorisés. J’ai retrouvé le patio, mais fleuri de l’été.
Berkane se donne des airs de fête, tant les mariages sont légion, coups de klaxons, voitures enrubannées et musique traditionnelle. Deux mondes, le notre, et celui plus oriental d’ici, se télescopent, s’épousent pour offrir une ambiance magique. Je savoure.
J’ai, dans mes carnets, des histoires à raconter : Debdou (prononcer Deubdou), son mellah, sa casbah ; un couscous en plein air dans les Beni Snassen, animé par un chanteur engagé ; une fantasia chez les nomades du plateau du Rekkam ; une ballade improbable dans une vallée perdue, loin du goudron et qui s’épanche à perte de vue en arbres nains, le paradis du bonzaï ; ou encore le premier festival des cultures immatérielles de Nador où j’ai rencontré un conteur qui habite… Grenoble. Et oui !
– Le patio –
– Un enfant du Plateau du Rekkam –
– Le mellah de Debdou –
– Cavalier de la Fantasia –
Une ligne droite, interminable, déroule ses kilomètres depuis Taourirt. Elle coupe la terre ocre, rouge parfois où s’amoncelle la caillasse. C’est un pays mordu par un implacable soleil. Peu à peu, des bouquets de lauriers s’invitent et parsèment de rose l’étendue désertique. Peu à peu, des bâtisses, comme poussées du sol, se donnent des airs de legos oubliés par un enfant désordonné. Une montagne comme une arène grandit et les arbres gagnent.
Tout au bout, là-bas, c’est Debdou, enclavée, qui laisse l’impression d’achever le monde, blottie qu’elle est au pied du plateau du Rekkam, en bordure du Moyen-Atlas. Entrer dans Debdou c’est, soudain, remonter le temps, pénétrer une civilisation ancienne, rurale et pauvre, même si l’internet et de belles autos s’affichent. De part et d’autre de la chaussée, cabossée, des échoppes édentent les murs. L’une propose des cigarettes, une autre de l’épicerie. Ici, un cabri écorché, déjà débité, entamé, achève son périple pendu à une esse. Il tournoie doucement en attendant le chaland. Le boucher chasse les mouches qui tentent de voler leur pitance. Un vieux tisserand, courbé sur son métier, travaille la laine pour en faire des tapis et autres couvre-lits. Il est sans âge, le tisserand. Au seuil de son atelier, des écheveaux dodelinent et éclaboussent de couleurs la façade lépreuse.
Mais Debdou, bien que blessée des outrages du temps, se drape de dignité, sous l’œil énigmatique de sa casbah perchée à flanc de falaise. Quand je vole la photo de cet homme, nonchalamment accoudé à son âne, parce qu’il m’aperçoit, il se redresse. Il pose et m’offre un beau cliché, sans un mot, sans rien demander en retour. Il a l’air de me dire :
« Je marche courbé par le labeur. Je n’ai parfois que du pain et du thé pour tout repas. Mais mon âme n’oublie pas que je suis fils d’un peuple fier et courageux, issu d’une cité qui enfanta une dynastie de souverains… ».
On le dirait tout droit sorti d’un péplum biblique tourné en cinémascope, ou encore de l’inénarrable « Angélique et le Sultan ».
Le mellah, l’ancien quartier juif, déserté par ses premiers habitants et fondateurs, abrite tout un monde agité. Les enfants s’amusent dans les ruelles étroites et les adultes regardent passer les rares touristes. Les portes sont ouvertes, on entend les voix des dames derrière les rideaux qui protègent l’intimité des foyers.
Tafrant
.La route étroite, sinueuse, escalade la montagne. Le panneau, presque effacé, indique la direction de la source. C’est cette route là qui conduit au plateau du Rekkam, qui prend la piste du sud jusqu’à Figuig. Un petit coin de paradis, niché, caché au milieu des pins d’Alep et des chênes verts, qu’il faut chercher, accueille le baroudeur au soir de son errance.
C’est le refuge de Princesse Sou. Elle s’est lancée, corps et âme, avec son associé, dans cette aventure touristique : construire un hôtel au bout du monde…
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Lorsque j’ai débarqué de mon bateau, ils croulaient sous les difficultés. Tout allait de travers avec, parfois, des éclats de rire, comme le jour où le menuisier, pourtant plein de bonne volonté, a posé l’étagère à épices dans la cuisine.
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A force de sueur, de kilomètres aussi, car tout est loin ici, le lieu se pare de quiétude et la beauté d’un soleil couchant me prend le ventre. Les bungalows décorés sobrement s’éparpillent sous les arbres. Le restaurant tient table ouverte. A peine au seuil de la grande salle, les odeurs de coriandre et de cumin lèchent mes narines qui, gourmandes, frétillent d’aise.
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Et les mots cèdent la place aux images…
Je suis Debdou la Magnifique…
– Arrivée sur la Casbah par le chemin des mules-.
Une citadelle millénaire s’effrite sous le ciel. Les vents et les frimas, les canicules et les pluies ont raviné, ridé la vieille endormie. Ses fortifications, mangées par les siècles, l’enserrent encore, bien que de larges brèches l’éventrent. Ça et là, des bouts de la muraille bordent un champ, donnent de l’ombre à un âne.
Elle sommeille, la vieille, elle murmure parfois, et, l’oreille tendue, je l’écoute ressasser son flamboyant passé…
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-« Je suis Debdou la Magnifique, mère d’un royaume oublié qui s’étendait de ma casbah jusqu’à Fès. Les enfants de Rome m’ont bâtie quand les Césars dominaient le monde connu. Dans les entrailles de mes 99 grottes, des tessons de poteries retournent peu à peu à la terre dont elles furent tirées. Certaines accumulent le trésor qu’un ciel d’acier laisse parfois déborder, la richesses, la vie : l’eau. Au plus profond de mon ventre, de sombres lacs clapotent sous l’œil indifférent des chauves-souris… »-
– Vestiges des fortifications-
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-« Je suis Debdou la Magnifique, qui me suis ouverte quand les juifs d’Espagne sont arrivés, chassés par Isabelle la Catholique, comme des misérables, des gueux, des sans terre, des sans patrie. Je les ai accueillis, fils retrouvés, aimés comme mon propre peuple. Mais un jour, la bêtise des hommes, les conflits mesquins les ont à nouveau poussés sur les routes. J’abrite encore deux petits cimetières où reposent les ancêtres confiés à mon sol. Quelques fois, je me demande ce que sont devenus ces enfants là, du sang d’Ibrahim, aussi… »-
-Le cimetière juif au pied de la casbah-.
-« Je suis Debdou la Magnifique, rebâtie alors que le moyen-âge couvrait de bûchers une Europe guerrière. J’ai aimé Fatima, aux yeux de charbon, à la peau de miel, aux cheveux de soie ; Fatima ma gazelle qui dépensa sa royale dot à me rendre ma grandeur. Sur un coin de muraille, elle a écrit sa passion, son cœur immense déversé d’une brève calligraphie que l’arabe enrobe de rondeurs.
Fondatrice d’une dynastie, de ces Mérénides qui régnèrent, elle est couchée dessous les pierres tournées vers la Mecque, dans ce cimetière qui ressemble à un champ de cailloux. »-
-Le cimetière des Mérénides-.
-« Je suis Debdou la Magnifique, j’achève de me dissoudre. Je regarde le temps et j’attends… »-
-Lieu de recueillement et de méditation des Sultans de Debdou-
-Travail au champ, au pied des fortifications-
– Mohammed Dadi, 107 ans, le plus âgé des habitants de la Casbah, qui vit les français arriver, adorable personnage, généreux, rieur, vif et qui sera, je lui souhaite, doyen de l’humanité, si Dieu le veux. Inch’Allah-
Les gens d’ici
A SUIVRE…
comme il est beau mon pays .
Un superbe périple et de belles rencontres! C’est pour moi la définition de « voyager »!
Une grosse faute…pardon… »ces énergies aimantes qui nous rempliSSENT d’ émotions »…
Le trouble est bien là !!
Un superbe détour par ces terres marocaines que tu adores et ces énergies aimantes qui nous remplit d’ émotions…merci Pénélope !