A Venise le cinéma est une seconde nature. Je n’en veux pour preuve que sa Mostra, doyenne des rencontres du genre, qui réunit chaque fin d’été un prestigieux jury et voit affluer des quatre coins de la planète les cinéphiles.
Venise occupe, dans le domaine du 7e Art, une suprématie historique, puisque son Festival fut le premier créé au monde. L’édition inaugurale remonte à 1932 avec en ouverture Dr Jekyll and M. Hyde ; cette année-là les prix n’existaient pas encore et le festival, lié à la Biennale d’art, avait pour but essentiel d’attirer un public plus diversifié. Le film de René Clair A nous la liberté ( 1931 ) avait recueilli tous les suffrages. Tributaire de la Biennale, le Festival attendit 1934 pour connaître sa seconde édition, mais le succès en fit un rendez-vous annuel à partir de 1936. Interrompue pendant la guerre, la Mostra reprend véritablement en 1946 et décerne le convoité » Lion d’or » depuis 1948. Depuis lors, son exigence de qualité, comme les choix audacieux de ses jurys, en font un des rendez-vous incontournables des cinéphiles.
Les toutes premières images animées de Venise remontent au temps des pionniers. Elles sont l’oeuvre d’Albert Promio qui fixe la Sérénissime sur la pellicule en 1896, un an à peine après la naissance de ce qui allait devenir le 7e Art. Depuis cette époque, Venise est devenue une des divas les plus courtisées du grand écran, et, ce, pour le meilleur et le pire.
En 1935, Mark Sandrich y tourne sa célèbre comédie musicale Le danseur du dessus, avec les inoubliables Fred Astaire et Ginger Rogers, alors que Francesco Pasinetti brosse un portrait de la cité des Doges vue de l’intérieur dans une série de documentaires parmi lesquels se détachent Venezia minore et La Gondola .
Les années 1950 voient la naissance de films tels que Une nuit à Venise de Georg Wilhagen ou Ombre sur le Canal Grande de Glauco Pellegrini. 1954 sera une année particulièrement faste en ce qui concerne les longs métrages tournés dans la Sérénissime : c’est l’année de deux chefs-d’oeuvre : Senso de Luchino Visconti ( voir ma critique en cliquant ICI ) et Roméo et Juliette de Renato Castellani qui eut pour décor, non Vérone mais Venise et reçut le Lion d’or cette année-là, alors même que David Lean favorisait la rencontre entre Rossano Brazzi et Katharine Hepburn qui tourneront ensemble Vacances à Venise. Enfin en 1958, Alberto Sordi campe un gondolier peu vraisemblable dans une comédie de Dino Risi ( que l’on connut plus inspiré ) intitulée : Venise, la lune et toi. Par contre la chanson tirée du film sera un véritable » tube » en Italie.
En 1969, Luigi Comencini évoque l’enfance et les années de formation de Giacomo Casanova qu’incarnent deux acteurs, Leonard Whiting et Claudio de Kunert, dans Un adolescent à Venise . L’année suivante, Enrico Maria Salerno réalise une bouleversante histoire d’amour Anonimo Veneziano dans laquelle les destinées des protagonistes se mêlent à celles des personnages vénitiens. Quant au célèbre roman de Thomas Mann intitulé La mort à Venise, il inspirera à Visconti son second chef-d’oeuvre vénitien tourné en partie au Lido avec pour acteurs principaux Silvana Mangano et Dirk Bogarde. ( Voir ma critique en cliquant ICI ) En 1967, ce sera au tour de Federico Fellini de se mesurer cinématographiquement à une cité des Doges dont il donne une vision on ne peut plus personnelle avec son fameux Casanova Ombre sur le Grand Canal , incarné de façon fort peu conventionnelle par Donald Sutherland. La même année Dino Risi décide de situer à Venise, plutôt qu’à Turin, l’action d’ Ames perdues, tiré du roman de l’écrivain italien Giovanni Arpino, avec Vittorio Gassman et Catherine Deneuve. En 1979, Joseph Losey choisit de tourner dans les villas paladiennes de la Brenta une version filmée du chef-d’oeuvre de Mozart, Don Giovanni. Si l’on peut oublier les acrobaties de Belmondo dans Le guignolo de Georges Lautner ( 1980 ), où l’on aperçoit quelques palais et l’hôtel Danieli, on se souvient qu’un autre grand maître du cinéma italien Antonioni dans Identification d’une femme promena ses protagonistes et sa caméra en bateau sur la Lagune, emprunta le Grand Canal et pénétra dans le fastueux hôtel Gritti.
Venise, qui a su se prêter aux évolutions de James Bond, ne saurait s’offusquer de la présence d’Indiana Jones puisqu’en 1988 Steven Spielberg fit de l’église San Barnaba une bibliothèque, avant d’imposer à Harrison Ford une balade dans les égouts. Huit ans plus tard, Woody Allen prend pour décor les quartiers populaires et moins connus de la Cité pour sa comédie musicale Tout le monde dit I love you ( 1996 ). Mais ce sont surtout les films à costumes que Venise inspire : après le joli conte quelque peu licencieux La Vénitienne de Mauro Bolognini, l’anglais Christopher Hampton y situe quelques scènes de Carrington( 1994 ), l’histoire des amours scandaleuses de l’écrivain Lytton Strachey. Quant à Jean-Luc Guillemou, il réalise en 2005 Antonio Vivaldi, un prince à Venise, évocation musicale de la destinée du » prêtre roux », réunissant au générique Michel Serraul et Michel Galabru.
Mais la plus charmante réusssite de cette période est sans doute à mettre à l’actif du cinéaste Silvio Soldini avec Pane et tulipani ( Pain, tulipes et comédie – 2000 ), un film délicat dans lequel les personnages promènent leur douce excentricité à travers une Venise authentique, vidée de ses touristes.