Voyage aux îles de la Désolation est une rare et superbe bande dessinée française. L’invitation d’Emmanuel Lepage à explorer la vie dans les îles françaises du bout du monde, les TAAF grâce à de très beaux dessins et un texte qui étoffe intelligemment les dessins.
Voyage aux îles de la Désolation d’Emmanuel Lepage ; un ouvrage rare
Il faisait caniculaire quand j’ai ouvert la Bande dessinée « Voyage aux îles de la Désolation », superbe bande dessinée d’Emmanuel Lepage, qui raconte la vie dans les TAAF*.
Et quand je l’ai fermé, après avoir visité les îles Crozet, Kerguelen et Saint-Paul et Amsterdam, confettis tricolores aux confins de l’Antarctique, en compagnie de manchots et de scientifiques barbus, il faisait un froid polaire.
Ça colle assez bien, finalement, avec cette originale BD qui décrit la vie à bord du Marion-Dufresne qui ravitaille quatre fois par an les TAAF et sa bande de scientifiques, isolés dans les périphéries australes, passionnés par des choses aussi spectaculaires que les oiseaux des confins, les pucerons, les ravageurs comme les lapins (appelés là-bas, le B.L.O, ou la Bête aux longues oreilles) ou l’étude de l’air le plus pur au monde.
Le voyage n’est pas de tout repos. Le mal de mer, le vent atrabilaire qui déboule du Grand Sud, le ravitaillement qui a des hochets, la promiscuité qui détone avec l’appel du grand large, les petites histoires à bord, les mesquineries et la solidarité existantes parmi ces hommes et ces quelques femmes qui ont choisi de vivre loin des leurs, avec ses hauts et ses bas.
Ses hauts : la solitude majestueuse et mystérieuse qui enveloppe ces îles sauvages, inhospitalières et difficiles d’accès. La joie quasi mystique de vivre loin de tout. La passion de pouvoir savourer une existence différente. La solidarité de ceux qui vivent une passion dans un environnement extrême.
Ses bas : l’isolement et le mauvais temps qui confinent et exacerbent les conflits, cette curieuse manie de se forger des clans et des tribus pour échapper au moule du groupe, une nourriture lassante et monotone, le paradoxe de l’isolement qui oblige au regroupement, voire au confinement, les jours de mauvais temps.
Et ils sont légion, les jours de mauvais temps.
Emmanuel Lepage a donc partagé, en visiteur et en passeur, trois semaines parmi ces scientifiques, dont j’avais eu un aperçu quand j’avais visité moi aussi un atoll isolé battant pavillon français, Clipperton. Il décrit bien ces scientifiques, des passionnés, des très bavards ou des très misanthropes, des jaloux du partage ou dissertant sans relâche sur leur passion, du puceron au B.L.O, donc.
La BD se situe à mi-chemin entre le reportage journalistique et l’œuvre d’art. Les dessins sont souvent magnifiques, en noir et blanc le plus souvent, parfois en couleur. Ils traduisent admirablement bien la sauvagerie magique de ces îles battus par les vents, de sa faune endémique (manchots, phoques, albatros, éléphants de mer), ou malencontreusement importée (Bête à longues oreilles, chats, rats, vaches, moutons), de sa flore dépourvue d’arbres (sauf à Amsterdam).
Il ne manque pas d’humour, Emmanuel Lepage. Il pose des questions stupides, se transforme en éponge histoire de pomper l’atmosphère, vomit tripes et boyaux au début du périple, a des problèmes avec le fromage, a du mal parfois à se faire accepter par ces hivernants, même si le dessin demeure un remarquable vecteur de complicité.
Les textes étoffent le dessin. Ils apportent des informations précieuses sur les dangers de la vie quotidienne dans ces îles, l’Histoire de leur découverte et peuplement, les erreurs commises par des strates de conquérants ou de pauvres bougres qui parfois y ont laissé leur peau et leurs os.
Dans notre cuisine, nous avons la chance aussi de pouvoir consommer des produits frais. Dans leur réfectoire, ils ont souvent la malchance de ne pas pouvoir en consommer, du moins lors de ce périple. La faute au mauvais temps et à une erreur humaine laquelle a malencontreusement congelé les produits frais au départ de la Réunion. On note — avec exaspération — la manie de ces insupportables acronymes abscons qui émaillent la vie de la tribu nomade insulaire.
C’est un excellent ouvrage à offrir, un de ces trucs sympas qu’on a envie de lire les jours de mal de gorge, de vague à l’âme ou de pluie, sous la couette, au coin du feu. J’y ai appris une foule de choses intéressantes. Les dessins sont magnifiques, le texte pertinent mais la mise en page un peu brouillonne.
Si vous connaissez un dingo des îles isolées, ou une victime du syndrome austral, cher à mon ami virtuel Michel qui m’a suggéré la lecture de cet ouvrage, voilà un cadeau tout trouvé, original et peu onéreux.
Une chouette bande dessinée sur la vie des îles françaises du bout du monde. Un ouvrage rare à signaler.
Bande dessinée française – Livre de voyage :
Voyage aux îles de la désolation, Emmanuel Lepage – Editions Futuropolis, mars 2011.
*TAAF: Terres Australes et Antarctiques Françaises.
(Les dessins sont empruntés de l’ouvrage, copyright Futuropolis)
Emmanuel Lepage – interview pour « Voyage aux… par lyonbdfestival