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A la recherche du petit pan de mur jaune

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Entre Delft et Strasbourg, début juin. Je viens de quitter ce matin du 3 juin un canal tout en douceur pour atteindre dans la soirée l’étendue d’eau qui, devant chez moi, traverse le barrage Vauban et s’enfonce sous les ponts couverts en irriguant les deux bras de l’Ill. D’un paysage pictural à l’autre. Du petit pan de mur jaune aux dessins de Hansi. Les références sont dans nos têtes et elles nous jettent sans qu’on le veuille forcément dans les bras de l’histoire.

J’ai en effet quitté avec regret la lumière de Delft. La vie y est pleine de miracles. Mon petit miracle à moi poussait entre les petits rectangles de brique qui dessinent les berges des canaux comme des parquets de château royal. Ici et là, le mot terre, peint en bleu de Delft, dans plusieurs langues d’Europe, puis un peu plus loin le mot route, toujours aussi multilingue, réplique les briques et indique au sol la route de la céramique. Voilà un nouveau champ de découverte qui m’est offert. Même si j’arrive à la fin d’un programme européen de redéploiement urbain des villes pour lesquelles la céramique a été un élément structurant, je crois que je vais vivre une nouvelle histoire en suivant au moins un temps l’itinéraire qu’elles veulent construire. Limoges, Stocke-on-Trent, Faenza, Castellon, Aveiro, Sevilla, Cluj (peut-être), des azulejos aux fines porcelaines de la reine Victoria, des céramiques populaires aux composants industriels. Les maires sont tous là. Ils regardent l’étrange réveil d’une ville hollandaise qui cherche à créer le plafond d’une nouvelle gare un peu avant-gardiste, comme le Parc Guëll, avec des tessons de céramique de toute l’Europe. Un futur itinéraire syncrétique ?

De quai en quai le soleil fait fleurir des roses à l’angle d’une maison, maison dont la fenêtre est ouverte sur la rue, malgré ses guipures entre lesquelles l’intérieur se devine. La fenêtre comme une vitrine où un masque indonésien fait basculer l’imaginaire vers les tropiques. Le climat est tropical en effet et les nénuphars se répandent sur l’eau calme comme des berceaux. Bleu de Delft, Bleu de Chine, Bleu d’Orient. Il manque une perle à l’oreille de la femme aimée, adorée, sanctifiée. La vierge profane de Vermeer, ancrée dans le paradis terrestre de la ville serpentine, labyrinthique. Une ville piège. J’avoue que là aussi je n’étais plus revenu depuis que mon père m’y a amené. Les élus me regardent d’un air étrange quand je leur fais cette réponse d’un siècle précédent. Je leur avoue, pas seulement pour leur faire plaisir, qu’ils ont su garder l’atmosphère de mes vingt ans parfaitement intacte !

Depuis Rotterdam et son fleuve, comme une mer, et le port d’Anvers, nostalgie de Brel. Brel qui s’égosillait, pissant la bière devant le fleuve, comme une créature maritime. J’avais seize ans ! L’autoroute s’écoule comme le fleuve. Les voitures surfent en faisant la queue. Il fait si beau qu’elles se déversent dans la mer. Des raffineries partout. Et des Hollandais, et des Belges qui cherchent en masse Gand et Bruges et le sable qui semblera aujourd’hui à leurs pieds brûlés, dans la lumière pesante d’un été précoce, comme un semblant de désert.

La blonde Ilse de ma jeunesse plane entre Bois-le-Duc, Hertogenbosch, où le peintre devenu prisonnier du Prado a parcouru l’enfer, et Westmalle où les moines n’ont cessé de brasser le houblon et l’orge depuis les années soixante. J’ai peut-être failli m’installer là. J’avais presque vingt ans !

Michel Thomas-Penette

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