Depuis le début des années 2000, les films de Tim Burton n’ont plus la même saveur, le goût n’est plus celui des premiers jours, des premiers essais qui ont fait sa notoriété. Le cinéaste continue de régaler, car son talent de metteur en scène est intacte, mais il a du depuis dix ans autant décevoir une partie de ses fans qui ne se satisfont pas de l’univers coloré qu’il développe maintenant, que séduire de nouveaux aficionados. Preuve que Burton n’a rien perdu de sa popularité, ses films sont attendus et cartonnent au box office.
Burton n’a pas toujours été populaire et il en a souffert. Il est un personnage excentrique, qui s’est épanouit devant les films de monstres et de SF, qui a cultivé son amour pour la bizarrerie, s’est pris d’affection pour les personnages marginaux qui ressemblaient au jeune homme qu’il était. Son univers noir et cynique, allié à son talent de conteur génial, ont fait de Burton un réalisateur passionnant et atypique au sein de l’industrie Hollywoodienne. Burton a vaincu la malédiction de sa solitude en épousant en 2001 son actrice Helena Bonham Carter, bientôt maman de ses enfants. Coïncidence ou pas, c’est à partir de cette même période que Burton est devenu un cinéaste différent, moins cynique, plus enclin à la poésie et à un humour positif dans un monde coloré et enchanté. Les univers de Burton depuis l’amorce des années 2000 sont des endroits paradisiaques et merveilleux qui se répondent et se ressemblent : de la fabrique de Willy Wonka au pays des merveilles d’Alice, en passant par le monde imaginaire d’Ed Bloom. Sweeney Todd aura été une tentative de retour au baroque qui aura illustré de façon assez cinglante, cette incapacité pour Burton à renouer complètement avec la noirceur de ses débuts.
Alice au pays des merveilles est un film qui illustre parfaitement les contradictions qui assaillent le cinéaste et le mouvement entre ces différents univers. Les personnages de Burton restent marginaux et singuliers. Alice (Mia Wasikowska) est exactement ça, une adolescente qui, au contraire du chemin parcouru par Burton, ne veut surtout pas rentrer dans le moule. Elle est une rêveuse qui se complet dans le rêve et trouve le monde réel et ses gens tous plus inintéressants.
Burton a transformé le roman initiatique et philosophique de Lewis Caroll pour livrer une histoire étrange dans laquelle Alice va seulement se révéler en tant qu’héroïne. Alice est revenue du pays des merveilles ou elle s’était évadée enfant, sans en conserver la moindre réminiscence. Devenue adolescente, Alice se retrouve bientôt de nouveau à Wonderland ou elle est apparemment attendue en messie. Une prophétie annonce qu’elle seule pourra mettre fin au règne tyrannique de l’impitoyable Reine Rouge (Helena Bonham Carter). La dimension philosophique du récit de Caroll est complètement élaguée au profit d’une quête héroïque relativement classique.
Si Alice au pays des merveilles rend compte des diverses facettes de la personnalité de Burton, c’est parce que le pays des merveilles, bien qu’il soit très coloré et chatoyant, recèle de nuances qui nous ramènent régulièrement à une véritable noirceur, qu’il s’agisse des états d’âmes de certains personnages, celui du Chapelier fou par exemple (incarné par un Johnny Depp qui pour l’occasion s’est approprié les dents du bonheur de son épouse à la ville Vanessa Paradis), ou plus simplement parce que la tyrannie exercée par la Reine Rouge pèse vraiment et menace le bonheur qui est sensée être établit dans les moindre recoins de Wonderland.
Néanmoins, c’est bien l’aspect positif qui domine tout le long. Alice au pays des merveilles est le film qui plus que jamais intègre de façon définitive Tim Burton au monde merveilleux de Walt Disney. Au début de sa carrière, Burton était un mouton noir de la compagnie à qui on ne faisait pas confiance et dont l’univers créatif effrayait. Alice est une production Disney qui ramène à lui toutes les valeurs chères à l’oncle Walt. Le film est un spectacle grandiose, impressionnant, de part l’exceptionnelle qualité des décors, la virtuosité de la caméra de Burton, mais aussi un spectacle familial, une récréation dans laquelle l’humour est omniprésent qui devrait séduire largement. La magie visuelle de Burton fonctionne à plein, mais le film est peut être aussi celui qui achèvera de façon définitive l’histoire d’amour que les fans de la première heure s’attachaient à entretenir encore. Alice est un film innocent et inoffensif, plaisant et rassembleur, qui ne prend pas le risque d’être trop excentrique ou trop fou. Ca, Burton y a renoncé en même temps qu’il s’est épanouit. Ces films n’ont donc plus la même saveur, même si le goût est bien là et toujours très appréciable…
Benoît Thevenin
Filmographie de Tim Burton :
1982 : Vincent (c.m)
1984 : Frankenweenie (c.m)
1985 : Pee-Wee Big Adventure
1988 : Beetlejuice
1989 : Batman
1990 : Edward aux mains d’argent
1992 : Batman, le défi
1994 : Ed Wood
1996 : Mars Attacks!
1999 : Sleepy Hollow
2001 : La Planète des singes
2003 : Big Fish
2005 : Charlie et la chocolaterie
2005 : Les Noces funèbres
2008 : Sweeney Todd
2010 : Alice au pays des merveilles
Alice au pays des merveilles – Note pour ce film :
Acteurs de doublage (Voix originales) : Michael Sheen, Alan Rickman, Stephen Fry, Barbara Windsor, Michael Gough, Christopher Lee, Paul Whitehouse, Timothy Spall, …
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