Qu’en était-il du rapport entre les arts, la littérature et le régime communiste en Roumanie? Découvrez le « réalisme socialiste », ce courant artistique imposé par le stalinisme puis par Ceasescu.
Le qualificatif de «totalitaire» attribué au régime communiste est facile à comprendre pour celui qui est déjà familiarisé avec sa théorie et sa pratique. Après son installation au pouvoir, le régime communiste ne s’est pas contenté d’accaparer tous les leviers économiques et politiques, il a aussi voulu transformer l’être humain du point de vue culturel, moral et comportemental. Après 1945, en Roumanie – comme dans tous les pays d’Europe de l’Est entrés sous la domination soviétique – l’art en général et la littérature en particulier ont été soumises à un véritable bombardement idéologique auquel peu d’écrivains consacrés ont résisté.
Cristian Vasile est historien de la littérature et des arts, spécialiste de la période communiste. Il aborde, dans ses livres, l’esthétique du « réalisme socialiste » – terme utilisé à l’époque pour désigner le courant imposé par le régime. Les communistes ont introduit, dans le domaine culturel, toute une structure de subordination, dont la mission était de veiller à ce que la politique officielle y soit appliquée.
Le dernier livre de Cristian Vasile – «La littérature et les arts pendant les années du stalinisme» – est consacré au fonctionnement de cette structure. Il résume, au micro de RRI : « Ce livre apporte des éclaircissements sur le fonctionnement de cet appareil de propagande communiste, des mécanismes de la censure. Nous connaissons, en grande mesure, leur fonctionnement, le degré de subordination des unions de création – des plasticiens, des écrivains et des compositeurs – vis-à-vis du parti communiste, de la Section de propagande, devenue par la suite la « Direction propagande et culture ». Les Unions mentionnées faisaient partie de ce mécanisme et elles instituaient leur propre filtre de censure. J’ai jeté une lumière sur ces rapports institutionnels – entre les écrivains, les artistes et le pouvoir – sur la façon dont fonctionnaient les organisations du parti communiste à l’intérieur des institutions de culture. C’est par le biais de ces institutions qu’étaient imposées les relations de subordination vis-à-vis du parti-Etat. Durant la première décennie, le modèle appliqué fut celui soviétique. Pas tellement le modèle qui prit contour entre 1917 et 1921, mais plutôt celui raffiné, de propagande, auquel on avait abouti après 1944-45, soit le modèle jdanoviste ou stalinien tardif. »
La professeure Ana Selejan, de l’Université de Sibiu, auteure de plusieurs livres sur le proletcultisme, se rapporte au climat dans lequel était née la nouvelle littérature et à la contribution des jeunes et des vieilles générations d’écrivains à son apparition: «La nouvelle littérature s’est définie après 1948, donc plus de 3 ans après l’arrivée au pouvoir des communistes. Durant cette période, les artistes étaient invités à pactiser avec l’idéologie, à consacrer leur talent aux soi-disant problèmes que seul le parti communiste pouvait gérer. Ceux qui n’ont pas réussi à intégrer cette formule artistique ou ont refusé de le faire, ont été exécutés de manière exemplaire. 1948 a été l’année des grandes campagnes de presse contre l’élite artistique. Dans mon livre « Rééducation et oppression », j’ai donné quelques exemples d’écrivains attaqués et j’ai également parlé du groupe artistique « Flacăra » (La Flamme). Le réalisme socialiste est apparu en 1949. La jeune génération de l’entre-deux-guerres a eu la vanité de construire une nouvelle littérature, les autres, les anciens, étant considérés comme difficiles à éduquer. C’était une ambition de démolir un modèle pour en construire un autre. Attaqué en justice, avant 1949, pour son volume « Cent un poèmes » et pour la série d’articles contre la littérature engagée, Tudor Arghezi revient en 1954-1955 avec « Hymne à l’être humain » et une œuvre poétique totalement au goût de l’idéologie communiste. Le grand poète romantique Alexandru Philippide, lui aussi ennemi de l’enrégimentation des arts, accepte l’honneur que lui fait le nouveau régime de le nommer membre de l’Académie. Et la liste peut continuer. »
De l’avis de certains auteurs, des œuvres de valeur ont vu le jour à l’époque, en dépit des orientations officielles qui régissaient la création littéraire et artistique. Ana Selejan, professeure à l’Université de Sibiu: «La valeur de ces œuvres-là n’existe pas. Non seulement on a affaire à une idéologie politique. Une thèse politique, religieuse ou de tout autre nature, introduite dans l’art, élimine la spontanéité, la pureté et l’émotion artistiques. Les réussites secondaires ne comptent pas.»
Le réalisme socialiste dans la littérature et l’art a marqué les années 1950, appelées « l’obsédante décennie ». Bien qu’éliminé dans les années ’60, ce courant a laissé un héritage – disparu complètement à peine en 1989, avec la chute du régime qui l’avait inventé.
Christine Leşcu, Steliu Lambru; trad.: Ileana Ţăroi, Dominique