On dit que les thaïs (oublions la sémantique, je veux dire par là, les habitants de la Thaïlande) sont le peuple de l’eau, ils ont cette capacité, comme l’eau, de s’adapter aux circonstances avec grâce et fluidité, sans faire de remous. Traversez une foule compacte de thaïs, vous ne serez pas bousculé, on ne pourrait pas en dire autant des foules parisiennes. Nous serions plutôt l’inverse absolu des thaïs,en tout cas sur ce plan.
De tout temps, et surtout dans les plus anciens, les thaïs vivaient sur l’eau, plus précisément sur les canaux, ces khlongs qui faisaient jadis le charme de la Venise de l’Orient… vous n’aurez pas forcément reconnu Bangkok car le béton y a coulé à la place de l’eau et les voitures ont remplacé les petites embarcations sillonnant fleuves et khlongs depuis le nord du pays jusqu’à leur embouchure sur le golfe de Siam…. La rivière Ping traverse Chiang Mai, la Wang traverse Lampang, la Yom, Phrae et la Nan, Phitsanulok. Elles se rejoignent et s’unissent pour devenir la mère des rivières, la majestueuse Maee Nam Chao Phraya.
Est-ce que les thaïs savent nager pour autant ? Apparemment non. Un de mes grands-pères a bien fait son service militaire dans la marine sans savoir nager !
Il y a quelques jours, alors que j’étais encore en France, mon ami thaï m’a raconté une aventure qui aurait pu se terminer aussi mal pour lui. Elle a été fatale à un policier.
Alors qu’il se trouvait sur les bords de la Nan grossie par les pluies de mousson, mon ami est témoin d’une scène de vol. Un homme s’est saisi du sac d’une femme. Il est poursuivi par un policier. Pour lui échapper, le voleur se jette à l’eau, dans la Nan précisément, fleuve qu’on traverse pratiquement à pied habituellement mais en période de pluies elle est grosse et tumultueuse. Le policier se jette à son tour dans le fleuve sans prendre le temps d’ôter ses chaussures (pas facile lorsqu’on porte des brodequins). Il est vite pris dans un tourbillon. « Je l’entendais crier » me dit mon ami et de loin, je ne voyais plus que son bras au bout duquel il tenait son arme. Mon ami n’est pas champion de natation mais il se débrouille plutôt bien, Il ôte son jean et se débarrasse de ses chaussures et se jette à l’eau. Mais le policier a disparu, happé par le courant. A plusieurs reprises, mon ami plonge sous l’eau boueuse. « Cette eau est claire habituellement » me raconte-t-il, « mais en période de mousson, elle charrie la terre rouge des montagnes en amont. « Je ne voyais rien, j’étais aveuglé par le sable. J’ai essayé encore et encore mais en vain. Si j’avais été plus jeune j’aurais peut-être pu le sauver mais j’ai manqué de souffle » Je dois ajouter que mon ami est sujet à de très graves crises d’asthme. Le corps du policier ne sera retrouvé que quelques jours plus tard, lorsque l’armée aura mis une centaine d’hommes à sa recherche. Le corps est dragué et remonté à la surface à l’aide d’une pelleteuse.
« Pourquoi le policier a-t-il plongé » je demande. « Il n’était pas très bon nageur » « Le devoir du policier est de rattraper les voleurs » me répond mon ami, « il ne s’est pas posé de question ». Ce policier avait 35 ans, une femme enceinte de deux mois.
Plus tard, à l’occasion de sa crémation, le secrétariat du roi a envoyé de l’argent à la famille pour la cérémonie. Si le policier avait eu l’occasion de tirer, il l’aurait fait, s’il avait pu atteindre le voleur avec son arme il l’aurait fait, s’il l’avait blessé ou tué, on lui aurait remis une médaille. Il est mort, le roi marque sa compassion en s’occupant des funérailles.
Autre pays, autres mœurs. Il y a toujours des voleurs en Thailande, mais au moins savent-ils ce qu’ils risquent s’ils commettent des vols ou des effractions. Etre voleur, c’est prendre des risques
non ? Ou alors c’est devenu un métier comportant moins de risque qu’un autre ?
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