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Blancanieves de Pablo Berger : hommage à la magie du cinéma, morale d’un geste

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De fait, on ne ressent aucune envie de traduire le titre. Il est castillan, andalou et tout à la fois universel. Il appartient au monde entier et s’est insidieusement accroché dans un secteur de notre cerveau la première fois où l’histoire nous a été racontée. Pour ma génération, Walt Disney était certainement le coupable et je me suis refusé de remplacer les premières images de mon enfance en laissant Tarsem Singh et Julia Roberts coloniser une place intime aussi bien protégée.

Dans ce repli du cerveau, il est question de la Beauté majuscule, de la Jalousie absolue, de l’Eternité fantasmée, de la Mort prolongée dans l’attente d’un Baiser, de trois gouttes de Sang dans l’hiver, de la protection des Nains, de la lente initiation à la Sensualité et du Fruit défendu.

« Dame la reine, ici vous êtes la plus belle, mais Blanche-Neige l’est mille fois plus que vous. » Que ne m’a-t-on parlé de tout cela, de tout cela qui s’est accroché pour n’en plus partir ?

Le film de Pablo Berger est une merveilleuse histoire, une histoire tragique, un conte initiatique. Il montre une larme sur le visage d’un paralytique et le sourire d’une petite fille aux dents majuscules, une célébration de la danse et un tribut porté au geste parfait, à l’élégance et à la légèreté du vainqueur, mais il constitue aussi une métaphore du triomphe pesant de l’alliance de la force brutale et du mal absolu.

Le film de Pablo Berger est une symphonie où la musique parle au nom de personnages qui cherchent à prendre possession d’une toile d’araignée géante ou à éviter le poison de Méduse, qui font face à la brutalité majeure en cherchant à lui opposer le tourbillon d’une danse, qui reviennent en permanence à l’enfance, faute d’avoir pu grandir ou faute de pouvoir se réveiller.

Le film de Pablo Berger prend en compte toutes les histoires que nous avons construites depuis que la légende des hommes inquiets a commencé à raconter la succession des saisons, à célébrer l’histoire de la vie et de la mort et de la recherche des moyens d’atteindre l’éternité et à chercher de sortir enfin à tout jamais du rythme inéluctable des générations qui se succèdent en croyant qu’il est possible de prendre possession de la Terre.

L’image est d’une honnêteté scrupuleuse en colorant d’un noir et blanc somptueux la rencontre improbable de la fille d’une danseuse et d’un toréador avec six toreros minuscules qui la sauvent d’une mort annoncée, mais renoncée, qui l’éloignent de la haine d’une belle-mère arrivée au sommet de la cruauté et de la perversité et qui la soutiennent dans sa passion de lingère pour qui des draps blancs deviennent la cape de la rédemption.

Il atteint la perfection absolue dans la maîtrise du silence le plus sonore qui soit en ne cessant jamais de tourner, de vibrer, d’enlacer les figurants qui se transmettent leurs destins de main en main. Mains tenant le sort des uns et des autres, comme celui du taureau dans l’arène, de père en fille, de mère en fille, dans l’iris des dieux.

Et toujours, ce qui nous bouleverse : la senteur des fleurs en pots accrochés sur les murs blancs, la sensualité des broderies ajourant le fin tissu de coton, l’ombre portée du corps sur le sable qui éblouit tous les regards, les lampes de fête qui tressent une guirlande à la nuit, la dentelle noire qui flirte avec le mauvais sort, l’élan tellurique des bras qui désignent le destin, les feux d’artifices qui cisaillent l’espace et la pointe de l’épée brûlante qui va percer le cuir noir perlé de sang de la Bête.

L’histoire du monde dans un tourbillon, un tourbillon dans le regard du diable, le diable qui détourne son regard de la mort, la mort qui renonce devant l’amour et la beauté, la beauté qui transcende la laideur des monstres, les monstres épris de la poussière de la route, la route qui nous mène vers le destin, le destin qui se perd dans le tourbillon de la danse, la danse qui nous conte l’histoire du monde.

Il était une fois le sourire épanoui d’une enfant, le malheur répété d’une vierge en costume de mariée, la conquête du monde, l’héritage muet du père et le lent glissement d’un corps de femme dans l’habit masculin de lumière. Le monde à l’envers, le monde qui se concentre dans le globe d’une pomme.

Et puis la vierge éternelle qui rejoint le sort de Pinocchio dans la caravane merveilleuse d’un bonimenteur nommé Mangefeu qui montre des marionnettes et prétend détenir l’avenir. Le conteur, celui qui parle, celui qui prétend attendre le miracle, celui qui trompe et qui raconte que la vie peut renaître d’un baiser.

Mais nous savons déjà tous parfaitement que la vie naît toujours d’un baiser, mais pas tout de suite, pas quand on le souhaiterait.

Ce n’est pas seulement un film, ce n’est pas seulement un film muet, ce n’est pas seulement un hommage à la magie du cinéma quand il ne demandait encore qu’un échange de regards et la morale d’un geste, c’est une œuvre dont chaque trait est dessiné au fusain, un hommage chaque fois renouvelé à la gravure, à Goya, à Velasquez, à Picasso et au moment unique et miraculeux où l’image a commencé un jour à battre, dans le regard du sourd.

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