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Cahier bleu : Histoire d’éléments …

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[tab name=’Brouillard’]

Le brouillard a tout effacé et je reste seul avec moi-même.

Les collines ont disparu, ainsi que le village et la forêt.

Il n’y a plus rien.

Rien que le murmure de la rivière, quelque part dans ma mémoire.

Je marche, enveloppé d’un voile de coton blanc.

Je marche sans savoir où je vais. 

Il fait froid, très froid.

Autrefois, la vie était ici : des oiseaux dans les arbres, des bourgeons sur chaque branche, un lièvre à l’arrêt, les oreilles au vent, affolé par un bruit insolite, ou bien encore un renard, trottinant à travers les prés, une proie entre les dents.

Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Plus de bourgeons, plus d’oiseaux. Le grand lièvre est mort et le renard a disparu.

Il a disparu dans la brume, comme les collines, comme le village, comme la forêt.

Aujourd’hui il n’y a plus rien et je marche seul dans la nuit qui tombe,

Sans savoir où je vais et sans même savoir qui je suis.

Littérature

 

 

 

 

 

 

Ce matin, le brouillard était là, un brouillard épais, qui avait grignoté le paysage. Les lointains avaient disparu et avec eux la belle forêt de hêtres qui barrait l’horizon.  La ferme au bout du petit chemin n’était plus là non plus, pas plus que les pâtures où rêvaient les chevaux.  Des haies qui clôturent mon jardin, on ne devinait que quelques feuilles, encore fallait-il écarquiller longtemps les yeux et avoir beaucoup d’imagination. Aucun bruit, aucun chant d’oiseau, rien. Tout était mort.

Quand j’ai ouvert la porte de la maison, il m’a semblé être devant un mur. On ne distinguait aucun objet à plus de trois mètres. Je me suis avancé lentement dans cette brume étrange, me demandant si je n’étais pas le dernier habitant encore en vie dans le village. Même les chats n’étaient plus là, eux qui d’habitude accouraient quand je mettais le nez dehors.  J’ai foulé l’herbe humide de la pelouse et me suis dirigé à tâtons vers la barrière. En me retournant, j’ai vu que la maison, elle aussi, avait disparu. Il me fallut garder mon calme pour continuer malgré tout. Enfin, après avoir hésité un peu, je suis arrivé près de la boîte aux lettres. Comme d’habitude, elle était vide, désespérément vide. Aucune lettre, aucune carte, rien.

Alors j’ai rebroussé chemin comme j’ai pu. En hésitant,  j’ai retrouvé la maison et son seuil. J’ai refermé la porte derrière moi et me suis assis près du feu. Les flammes brillaient dans l’âtre, comme si toute la vie du dehors s’était réfugiée là, comme s’il ne restait plus au monde que ces trois bûches incandescentes qui bientôt seraient réduites en cendres.

J’ai pris un livre que je n’ai pas ouvert et j’ai écouté le silence. Le grand silence des jours de brouillard, où même les facteurs ne trouvent plus leur chemin.

Littérature

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[tab name=’Neige’]

Neige

La neige, infiniment blanche, avait tout recouvert.

Elle avait recouvert les routes et les chemins, les plaines et les collines, les villes et les villages.

Fascinés par cette blancheur étincelante qui couvrait le monde, nous en avions oublié nos peines, celles qui se cachent au plus profond de l’être.

Comme des enfants, nous avions marché et joué dans cette neige, image du paradis perdu, jardin de l’insouciance, désert aux congères changeantes comme des  dunes de sable blanc.

Puis la pluie est revenue. La pluie et ses tempêtes qui te font si peur, mon amour.

Et avec la pluie, nos peines ensevelies sont réapparues, plus fortes que jamais. Comme si nos routes ne devaient plus jamais se croiser.

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[tab name=’Disparition’]

La neige de ce matin a disparu

Elle a fondu sous des cieux chahutés

Qui sentaient bon le vent marin

Elle a emporté avec elle

Les traces de François Villon

Autrefois poète

Aujourd’hui bandit de grand chemin.

Où est-elle partie  cette neige ?

Elle s’en est allée comme l’image de ton visage

Que je ne retrouve plus au fond de ma mémoire.

littérature

 

Credit photo : Isabelle Legault

 

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[tab name=’Nuage’]

Nuage

En ce temps-là, je sculptais des nuages

Je leur donnais des formes étranges et insolites

Des formes que personne n’avait jamais vues

Surtout pas dans des nuages

Certains ressemblaient à des îles lointaines

Perdues au milieu des flots

D’autres avaient l’aspect de vagues écumantes

Venant s’abattre avec fracas sur les rochers du bout du monde

Avec mes doigts, je pétrissais leur substance cotonneuse

La malaxant avec amour jusqu’à leur donner l’apparence de mes rêves

Et des rêves, j’en avais beaucoup à distribuer

La nuit je les guettais durant mon sommeil

Et je capturais les plus beaux

Au petit matin, j’en avais tout un tas

De beaux rêves d’amour, de poésie et de liberté

Pour ne pas les retenir prisonniers dans ma chambre

Où ils auraient dépéri  tels  des  oiseaux en cage

Je les incorporais dans l’âme des nuages

Alors poussés par le vent ils partaient à la conquête du monde

Allant dire à tous qu’il existe quelque part des îles lointaines perdues dans l’océan

Et des vagues écumantes qui se fracassent contre les rochers

A ceux qui me demandaient où se trouvaient ces îles

Et en quelle contrée on pouvait admirer de si belles vagues

Je répondais que ce pays était au fond d’eux-mêmes

Et que pour le découvrir il leur suffisait de regarder les nuages

Les beaux nuages qui traversaient le ciel, remplis de rêves

Littérature

Les nuages passaient, poussés par les grands vents atlantiques.

Dès l’aube naissante, ils défilaient, troupeaux affolés et sauvages,

Ravageant le ciel pâle.

Plus noirs que des chevaux fous, ils couraient vers des horizons improbables,

Venant des plaines océanes dont ils avaient conservé l’amertume.

Et moi, sur ce quai désert, je les regardais passer, incrédule.

Moi qui n’allais plus nulle part et qui avais raté tous les trains, je restais là,

Perdu dans ma solitude.

Je les regardais, formes éphémères et changeantes

Chargées de tous les chagrins du monde.

Parfois, je me demandais où finirait leur course,

En quels pays lointains ils déverseraient leur pluie, 

Et sur quel visage d’enfant ils feraient couler des larmes.

 

Littérature

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[tab name=’Tempete’]

Tempête

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Dans ta région aussi, sans doute. Je me dis que tu dois être chez toi, toute seule dans ta maison, à l’entrée du bois.

J’essaie d’imaginer, car ta maison, je ne l’ai jamais vue.

On s’est écrit longtemps, pendant des mois, t’en souviens-tu ? On parlait de ces vacances durant lesquelles on s’était rencontrés là-bas, le long de l’océan. Il y avait eu un orage et on s’était réfugiés dans un petit abri de pêcheur. La pluie tombait avec rage sur le toit de tôle et cela faisait un bruit infernal. Ce n’était pas facile de faire connaissance dans un tel contexte. Alors on se taisait et sans rien dire on regardait la pluie tomber. A la lueur d’un éclair, j’ai vu ton visage de profil et j’ai su tout de suite ce qui allait se passer. Je n’ai rien dit, j’ai attendu. A l’éclair suivant, j’ai senti que c’était toi qui m’observais.  Je n’ai rien dit encore. Comment parler avec tout ce bruit ? Et puis je ne suis pas du genre entreprenant  Une inconnue reste une inconnue. Mais voilà, tu n’étais déjà plus n’importe qui, je le savais.

A un moment donné, l’averse s’est un peu calmée. Bientôt nous pourrions partir, chacun de notre côté. Dommage ! Continuer à garder le silence devenait gênant. Nous étions deux, là, à trente centimètres l’un de l’autre dans cet espace exigu, et le silence relatif qui nous entourait désormais exigeait qu’un des deux parlât. Pourtant aucun son n’est sorti de ma bouche. Forcément ! Que dire, si ce n’était faire remarquer que la pluie se calmait, ce qui aurait aussitôt entraîné ton départ ? Je n’allais quand même pas te donner des arguments pour me quitter, déjà… Mais j’avais beau chercher, je ne trouvais rien d’original à exprimer. Aucune phrase sensée, aucun mot pour te faire rire, rien. J’étais paralysé.

Les secondes passaient et j’étais désespéré, redoutant le moment fatidique où tu allais sortir sous la pluie fine et te mettre à courir, sans même te retourner. Mais tu ne bougeais pas. Tu attendais.

A ce moment, un éclair suivi presqu’immédiatement d’un roulement de tonnerre fracassant  nous fit sursauter l’un et l’autre. Sans même réfléchir, nous nous sommes regardés et nous nous sommes souri. La pluie s’est mise à redoubler, accompagnée cette fois de grêle et d’un vent violent. « Je crois», dis-je, « que nous ne sommes pas près de sortir d’ici ». « J’en ai bien peur », as-tu répondu. « Ceci dit», ai-je poursuivi, « la situation n’est pas si catastrophique. Nous pourrions être sous l’averse, ce qui serait bien moins agréable. » « Vous voulez dire que vous trouvez ma compagnie agréable ? » « Non ! Enfin, si… Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! Je voulais simplement faire remarquer qu’on est bien mieux ici, au sec, plutôt que sous l’averse. » Tu m’as regardé  d’un air un peu goguenard, un petit sourire imperceptible au coin des lèvres. Déjà tu avais tout deviné : mon trouble, mon malaise, mon désir de te parler, ainsi que mon impossibilité à le faire.

Puisque la conversation était engagée, nous avons continué. C’était encore moins gênant de converser, maintenant, que de laisser un nouveau silence s’installer. On a évoqué l’orage, forcément, et cet été pourri où il pleuvait presque tous les jours. Tu as parlé d’autres vacances, en Andalousie, où tu avais eu tellement chaud que tu ne supportais plus aucun vêtement. Ta phrase m’a mis mal à l’aise. Je ne savais pas si tu disais cela en toute innocence ou si au contraire c’était une allusion voilée à la nudité de ton corps. Du coup, je n’ai pas répondu et me suis enfermé dans mon silence. C’est toi qui as repris la parole en me demandant si je venais souvent en Bretagne. Là, je me suis tout de suite senti plus à l’aise. J’avais enfin un sujet de conversation. Alors j’ai expliqué que je préférais le Sud et j’ai raconté en long et en large mes séjours en Provence, dans les Pyrénées Orientales ou en Espagne. J’étais devenu intarissable. Tout en parlant, cependant, je me demandais comment j’allais ramener la conversation sur toi, car c’est surtout cela qui m’intéressait. Pourtant, à un certain moment, j’ai remarqué que mes anecdotes te faisaient rire et cela m’a fait plaisir. En réalité je ne le faisais pas exprès, mais visiblement mes petites aventures à Caceres ou à Cordoba te plaisaient. Alors je n’ai plus pensé à rien et j’ai continué à te raconter toutes mes péripéties estivales. En passant, en évoquant le musée du Prado ou la Galerie des offices de Florence, j’ai senti que tu n’étais pas n’importe qui, mais que tu étais une personne cultivée et qui s’y connaissait pas mal en peinture et en histoire de l’art. Plus que moi, à vrai dire.  Cela ne m’a pas déplu, forcément.

Quand j’ai parlé de Venise, j’ai remarqué que tu me fixais d’une façon étrange. Alors moi, comme un idiot, plutôt que d’amener doucement la conversation sur le romantisme de cette ville et de décrire les couples d’amoureux  qui s’enlaçaient un peu partout le long des canaux, voilà que je me mets à te décrire toutes les peintures religieuses de la ville. Puis je m’embarque dans une description très longue et très animée de la « Cène » du Tintoret que l’on peut voir dans l’église de San Giorgio Maggiore. Quel idiot je fais, quand même !

A un moment donné, j’ai remarqué que tu ne m’écoutais plus. Tu ne m’écoutais plus, mais tu me regardais, moi, en train de te parler. En réalité, tu ne me regardais pas non plus, mais tu me fixais littéralement. Alors je me suis tu et nos regards ont plongé l’un dans l’autre.

« Je crois qu’il ne pleut plus depuis un petit moment » as-tu murmuré avec un sourire.  « C’est fort possible », ai-je concédé. « Dommage, finalement on était bien ici, non ? » « C’est vrai », as-tu répondu. « J’aimais bien vous écouter raconter tout cela. » Et en disant ces mots tu n’arrêtais toujours pas de me fixer. « Si vous voulez, on peut encore rester un peu, mais c’est que j’ai déjà beaucoup parlé… » « Il n’est pas toujours nécessaire de parler » as-tu fait remarquer. Alors je me suis approché de toi et c’est comme cela que tout est arrivé.

Plus tard, on s’est promené sur la plage. La nuit était tombée et la lune brillait sur la mer. Il faisait un peu froid après l’orage et tu t’es blottie contre moi. On s’est assis sur des rochers et on a regardé longtemps les vagues qui venaient mourir à nos pieds. Alors c’est toi qui t’es mise à parler et qui m’as raconté ta vie.

A la fin des vacances, il a bien fallu se quitter, mais on s’est écrit pendant longtemps. Des mails de plusieurs pages presque chaque jour. Puis les messages sont devenus plus courts, ils se sont espacés et à la fin tu n’as plus écrit. J’ai encore continué pendant quelque temps à te parler de ce que j’éprouvais pour toi, mais tu n’as plus donné suite.

Voilà toute l’histoire.

Le vent souffle en tempête, aujourd’hui.

Je pense à toi et à notre plage sous l’orage. Et je me dis qu’en ce moment tu dois être chez toi, dans la petite maison à l’entrée du bois dont tu m’avais souvent parlé. Peut-être regardes-tu, toi aussi, la pluie en train de tomber. Peut-être te souviens-tu. Ou peut-être pas.

Qui pourrait le dire ?

En attendant le vent souffle et emporte tout.

littérature

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[tab name=’Eau’]

Fleuve

Majestueux et impassible,

Coulant sous mille ponts de pierres,

Tu traverses la ville.

D’où viens-tu, fleuve aux reflets étranges

De quels pays es-tu issu ?

Tu charries, dans tes eaux brunes, des limons venus d’ailleurs

Et des terres argileuses provenant de contrées inconnues.

Sur tes eaux, flottent des troncs d’arbres déchiquetés,

Vestiges d’incroyables catastrophes.

Tu es né en amont, sur les hautes terres inexplorées,

Là bas, il y a, dit-on, des plateaux marécageux

Où vivent des animaux fantastiques,

Et des forêts profondes où nul n’a jamais pénétré.

Toi seul connais ces terres sauvages où commença le monde.

C’est leur âme que tu portes en toi

Et c’est pourquoi tu es si majestueux

Quand tu traverses les grandes villes

Et que tu coules sous leurs ponts de pierres.

Mille passants, sur la berge, te regardent avec respect

Car ils craignent tes colères.

Mais tu passes, impassible, et poursuis ta destinée

Vers les terres de l’aval,

Là où le ciel et la mer, paraît-il, se rejoignent à l’horizon.

Littérature

 

 

Paris, la Seine en crue

 

 Océan

« – Quelquefois je me demande ce que nous sommes en train d’attendre

Qu’il soit trop tard, madame. »

Alessandro Baricco, « Océan mer »

 

Joli roman que celui-là, plein d’images saisissantes, comme ce peintre qui passe ses journées devant la mer avec son chevalet, et qu’il faut aller récupérer le soir dans une barque, au moment de la marée montante, alors que sa toile est restée désespérément blanche. Il est vrai qu’au lieu de peinture, il n’emploie généralement que de l’eau de mer ! Il y a aussi des enfants qui savent lire dans les rêves des grandes personnes ou un célibataire qui écrit chaque jour une lettre à la femme qu’il espère rencontrer un jour. Le jour où il la trouvera, il a l’intention de lui montrer ces centaines de lettres, empilées dans une boîte, et il ne doute pas qu’elle tombera amoureuse à l’instant-même.

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Iles

Tous les jours il regardait la mer et les vagues infinies.

Tous les jours il contemplait l’horizon et les bateaux qui voguaient vers des îles inconnues, des îles dont personne, jamais, ne revenait.

Tous les jours, du haut des falaises, il respirait les vents du large, chargés d’embruns salés et de saveurs épicées.

Alors il croyait voir d’immenses plages dorées où des enfants nus jouaient sous les soleils des tropiques. Derrière les grandes dunes blondes s’étendaient des forêts incroyables, où, depuis mille ans, des arbres exotiques embaumaient l’air de parfums troublants et poivrés. Parfois, il lui semblait apercevoir, couchées dans des pirogues noires, des femmes dolentes et lascives qui évoquaient Gauguin. Plus loin, dans des cases de palmes, leurs sœurs donnaient de l’amour à des guerriers féroces venus oublier, sous leurs caresses tendres, les blessures des combats.

Et lui restait là, sur la falaise, contemplant les nuages en déroute qui traversaient le ciel, s’imaginant parfois que c’étaient là les voiles d’un immense bateau en partance pour ces îles dont personne jamais ne revenait.

 

Littérature

Mer

Il aimait la mer comme d’autres aimaient les femmes et trouvait dans les immensités océanes ce que d’autres cherchaient dans des yeux bleus ou verts.

La grande plaine liquide, ses vagues ondulantes, ses senteurs troublantes, tout le fascinait, jusqu’aux tempêtes rageuses qui parfois venaient se fracasser contre les rochers, les enlaçant dans des remous redoutables.

Le va et vient des marées, surtout, l’intriguait et il cherchait à comprendre quel plaisir la nature trouvait à ce jeu sans cesse recommencé. La mer avançait, conquérante et lascive, pour toujours revenir en arrière, avant de repartir à l’assaut de ces rivages inaccessibles qu’elle semblait vouloir posséder sans y arriver jamais.

Souvent, il s’asseyait sur le sable et regardait dans le ciel pur le vol des cormorans, dont les cris plein de désespoir convenaient bien à son âme sombre et ombrageuse.

Ou bien il parcourait la plage infinie, rêvant à changer de vie, et ses pieds, sur le sable humide, laissaient des traces qui s’effaçaient aussitôt.

A l’horizon, dans des lointains improbables, passait parfois un bateau, seule présence humaine dans cette immensité. Alors il songeait à des voyages lointains, se demandant soudain si la mer, sous d’autres cieux, avait la même couleur, cette couleur verte ou bleue que d’autres trouvaient dans les yeux des femmes.

 

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[tab name=’Bateau’]

Le grand bateau blanc

LittératureIl y avait bien longtemps qu’on n‘avait plus vu de bateau par ici, vraiment longtemps. Quand il y en a, ils passent très loin au large des côtes. C’est à peine si on peut les distinguer par beau temps, alors en plein hiver, vous pensez bien qu’on ne risque pas de les apercevoir…. En plus, ce sont souvent des chalutiers de pêche, qui appartiennent à des gens comme nous, en somme. Qu’est-ce que vous voulez qu’ils nous apportent ? Ils ont la même vie que nous. Par contre, le gros navire qui est entré dans la baie ce matin, ça c’est autre chose ! Il est apparu comme cela, subitement, balloté par les flots en furie, sortant du néant et de la tempête comme d’un rêve. Il est immense et mesure bien soixante-cinq mètres de long. Un véritable monstre. En plus, il est tout blanc, vraiment superbe. Ce doit être un yacht de croisière et ça, je peux vous dire que c’est bien la première fois qu’il y en a un qui se perd par ici.

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Dès qu’il a actionné sa corne de brume pour signaler sa présence, tout le monde est sorti des maisons et en moins de cinq minutes le village entier était sur le quai. On a aussitôt mis trois bateaux de pêche à la mer pour « accueillir » le visiteur comme il se devait. Une fois à portée de voix, les nôtres se sont mis à crier. Ils ont expliqué comme ils ont pu, à travers les bourrasques de vent, ce qu’on explique toujours à ceux qui ne connaissent pas le coin. A savoir qu’on ne peut pas entrer directement dans le port à cause des bancs de sable. On ne les voit pas, mais il y en a, ainsi que des rochers. Ces derniers sont à fleur d’eau et ils sont terribles car ils déchirent toutes les coques. Généralement, quand ils entendent cela, les capitaines ne se le font pas dire deux fois : ils donnent des ordres pour changer immédiatement de cap. Alors on leur explique qu’ils doivent aller jusqu’au piton rocheux qui ferme la baie, puis virer de bord et entrer dans le port en oblique, en longeant les falaises.

Ils obéissent toujours. Le plus dur, c’est de se faire entendre, car on est toujours en pleine tempête, alors, avec le bruit du vent et des vagues, il faut s’égosiller pas mal dans les porte-voix. Aujourd’hui cela allait encore. Le capitaine a tout de suite compris ce que nos hommes tentaient de lui dire. Il est vrai qu’ils hurlaient fort et qu’ils accompagnaient leurs paroles de toute une série de gestes. Se rendant compte que l’affaire était sérieuse et qu’il courait à la catastrophe, le capitaine a donc immédiatement changé de cap. Ensuite, nos bateaux ont encerclé le yacht, pour bien le guider et surtout pour qu’il n’aille pas se diriger vers la zone « maudite ». Malgré le mauvais temps, tous les passagers étaient sortis de leurs cabines et lançaient aux nôtres des signes amicaux. Ils étaient bien une bonne cinquantaine, ce qui veut dire qu’avec les membres de l’équipage ce navire transportait au moins quatre-vingt personnes. C’était peu pour un bateau de cette taille, mais pour nous c’était une chance inespérée. On n’avait jamais vu autant de monde dans la région. Il allait enfin y avoir de l’animation dans le bourg ! Et pas mal de travail en perspective !

En attendant, il n’y avait pas une minute à perdre. Les femmes étaient déjà rentrées chez elles et elles en ressortaient les unes avec de longs filets de pêche, les autres avec d’anciennes voiles, d’autres encore avec de grandes bassines en fer blanc. Ils allaient être bien accueillis les touristes ! Ils n’avaient certainement jamais vu des gens aussi empressés de les recevoir ! Cela allait être la fête. Déjà les femmes, au grand complet, se précipitaient vers la plage avec tout leur attirail : les gamines, les jeunes filles, les presque mariées, les mères de famille, les épouses adultères, les filles-mères, les déjà veuves et jusqu’aux aïeules, qui pour une fois avaient abandonné les grosses chaussettes en laine qu’elles sont habituellement occupées à tricoter. Elles étaient toutes là à courir le plus vite possible afin d’occuper les meilleures places. Les ancêtres, il est vrai, traînaient un peu en arrière, mais elles parvenaient tout de même à suivre les autres et même à emprunter le petit chemin qui, à flanc de falaise, donnait accès à la mer. Malgré les bourrasques de vent et la pluie qui redoublait, on les voyait qui progressaient tout en se tenant au rocher du mieux qu’elles pouvaient.

Pendant ce temps, le yacht était arrivé devant le piton tout au bout de la baie, là où les remous sont terribles, même par beau temps. Tout se passa alors très vite, comme d’habitude. Au moment où il voulut virer de bord pour se diriger vers le port, les trois petits bateaux de pêche lui barrèrent le passage. Le capitaine fit aussitôt couper ses moteurs pour ne pas les percuter, tandis qu’avec sa corne de brume il lançait des avertissements sonores. Mais il était déjà trop tard pour lui. Déstabilisé par sa manœuvre, le grand navire se trouva pris dans le courant violent qui passait entre la falaise et le piton rocheux. Comme ses moteurs étaient à l’arrêt, il ne parvint pas à garder le cap. Il se retrouva perpendiculaire au courant et prêta alors le flanc à la houle. Celle-ci, déchaînée comme elle était, vint le frapper de plein fouet et le poussa irrémédiablement vers la falaise. Après un dernier coup de sirène désespéré, le beau bateau blanc alla s’écraser contre les rochers dans un bruit épouvantable.

Les hommes n’avaient pas encore regagné le port que les femmes étaient déjà sur la plage où elles commençaient à ramasser les premiers trésors provenant de l’épave. La mer en furie venait tout jeter à leurs pieds, et outre des débris de métal et des poutres de bois, elle amenait aussi des valises, des meubles, des matelas, de la nourriture et des tissus. Il y avait même des bijoux. Pour ceux-ci, il suffisait de se baisser et de dépouiller les premiers corps qui commençaient à joncher le sable.

Il n’y a pas à dire, un bateau comme celui-là, on n’en avait jamais vu sur notre île. Avec le mauvais temps qui dura tout l’hiver, nous coupant complètement du monde, ce fut une vraie aubaine. Que serions-nous devenus sans lui ?

 

Bleu marine

page_norbert_falaises.1220248799.jpg Toi qui dors nue au milieu de tes rêves,

Toi qui lis toute la nuit sous la lune bleue

Et qui entends la mer battre les falaises du monde,

A quoi songes-tu quand la marée monte

Et que le désir te submerge dans l’ombre,

Tandis que les vagues, dans les lointains,

Se retournent avec fracas sur les rochers noirs ?

 

Toi qui dors nue au milieu de nulle part,

Toi qui rêves de la lune et de tous les départs,

Et qui entends battre ton cœur chaque fois que la marée monte

A qui songes-tu dans ton grand lit sombre,

A quel marin parti vers de vagues lointains,

Tandis que la lumière d’un grand phare

Eclaire subitement tes beaux cheveux noirs ?

 

Toi qui rêves nue au milieu de la nuit,

Toi qui écoutes la mer au pied des falaises bleues

Et qui dors dans un lit balloté par les vagues,

Pourquoi songes-tu à tous ces marins, à tous ces départs,

A tous ces navires perdus et sans phare,

Tandis que la marée monte le long des rochers noirs ?

A fond de cale
C’est à cause de mon jeune âge, que je me suis retrouvé à fond de cale, c’est évident. Les marins, là-haut, avaient tous plus de quarante ans et Ils avaient déjà fait au moins quinze fois le tourdu monde. C’étaient de vieux loups de mer, aguerris à la vie sur les bateaux. Alors, vous pensez bien, quand ils ont vu un jeune mousse de seize ans débarquer, ils s’en sont donnés à cœur joie.J’ai eu droit à toutes les blagues idiotes que l’on fait dans ces cas-là : le lit en portefeuille, les vêtements qui disparaissent, les planches du pont qu’il a fallu récurer avec une brosse usée, le laxatif dans le potage et j’en passe. Bon, c’est de bonne guerre et il faut bien subir tout cela si on veut un jour être reconnu comme un vrai marin. J’ai donc supporté toutes ces petites mesquineries avec un certain humour, même si ce fut parfois très dur. Imaginez-le jour où, à l’aube, je me suis retrouvé tout nu en haut du grand mât, tentant d’attraper mes vêtements qu’on avait attachés là. Imaginez surtout ma honte quand l’équipage au grand complet a surgi sur le pont, complètement hilare…

Bref, tout cela n’est pas bien grave, ce ne sont finalement que de petites taquineries. Mais le coup du tonneau de rhum, ça c’est autre chose ! Bon, c’est vrai que j’avais bien essayé une fois ou deux de boire un petit verre, histoire de faire comme les autres, mais c’était tellement fort que je n’y avais plus jamais touché. Les marins, par contre, ne s’en privaient pas. Il y avait trois tonneaux dissimulés au fond de la cale, mais tout le monde connaissait la cachette, vous pensez bien ! Discrètement, à tour de rôle, ils descendaient sans bruit et buvaient une ou deux rasades ou plutôt trois ou quatre. Bref, quand le premier tonneau fut vide et que le capitaine s’en aperçut, il mit des cachets de cire sur les robinets de sortie, avec le sigle de la marine royale. Briser un tel sceau, c’eût été un acte grave qui aurait pu vous mener aux galères, aussi, dans un premier temps, personne ne s’y risqua.

Mais la soif donne des idées et bientôt un des marins trouva une solution. Il perça un petit trou à l’arrière du deuxième tonneau, qu’il colmata avec un bouchon de liège. La légalité était donc respectée. Les insignes du Roi avaient beau protéger le précieux nectar, le tonneau n’en fut pas moins vide après une semaine. Alors, les marins usèrent du même stratagème avec le troisième tonneau, qui ne dura pas plus de cinq jours. Malheureusement un des hommes, passablement ivre et vacillant complètement,se prit les pieds dans un rouleau de cordages qui traînait sur le pont et il alla s’affaler juste devant les bottes du capitaine. Celui-ci, qui trouvait déjà que l’humeur de ses marins était anormalement joviale, fit immédiatement le rapprochement avec les tonneaux de rhum. Il courut à la cale, brisa les sceaux royaux, ouvrit les robinets et dut bien vite se rendre à l’évidence : les tonneaux étaient vides ! Il n’y avait plus une goutte de rhum à bord !

Alors il entra dans une colère olympienne. Lui d’habitude si posé et si digne, il se mit à injurier tout l’équipage en des termes que je n’oserais retranscrire ici. Puis il chercha un coupable. Un grand silence se fit. Personne ne voulait dénoncer personne, évidemment ! Un marin ne trahit pas un autre marin… Coupables, ils l’étaient tous et il était donc impossible de livrer un camarade plutôt qu’un autre à la colère du capitaine. Pourtant celui-ci continuait à exiger un nom. Les hommes se regardèrent, chuchotèrent quelques mots entre eux et l’un deux s’avança. « Le coupable, c’est le mousse. On l’a vu souvent descendre dans la cale, mais on n’a rien dit pour lui éviter des ennuis. » Là, j’en suis resté sans voix ! Il n’y avait que moi qui n’avait rien bu ou si peu et voilà que c’était moi le coupable ! Je compris immédiatement leur raisonnement : d’abord je n’appartenais pas encore à leur monde de marins, je n’étais qu’un apprenti. Ensuite, ne buvant pas, ils se vengeaient des reproches qu’on leur faisait en accusant la seule personne sobre de l’équipage (autrement dit, le groupe faisait bloc contre l’innocent, pour se protéger). Enfin, ils devaient se dire que je n’étais qu’un gamin et donc que le capitaine se montrerait relativement clément pour « mon » étourderie, vu mon jeune âge. Ce ne fut pas vraiment le cas. Il fut décidé, puisque j’aimais tellement descendre dans la cale, que j’y resterais enfermé jusqu’à la fin de la traversée, soit environ cinq semaines.

Les premiers jours furent très durs. Coupé du monde, dans une obscurité totale, j’ai vraiment eu l’impression d’être au fond d’un tombeau. Mais on s’habitue à tout. Petit à petit, je me suis mis à être attentif à tous les bruits du bateau et je parvins ainsi à me faire une idée de la vie qu’on menait là-haut. Une fois par jour, on venait m’apporter un peu de nourriture. Le marin qui descendait avait toujours l’air embêté, sachant bien que j’étais innocent et sachant aussi que si je croupissais là, c’était notamment à cause de lui. Aussi essayait-il de se montrer le plus aimable et le plus gentil possible. Moi je ne disais rien et je me drapais dans ma dignité. Comment aurais-je pu entamer une conversation avec un des mouchards qui m’avaient envoyé dans cette geôle ?En plus j’étais aveuglé par sa lampe tempête et les yeux me faisaient mal.

Une fois le marin remonté sur le pont etla lourde trappe refermée sur ma solitude, je reprenais peu à peu mes repères habituels : le frottement de l’eau contre la coque, les pas sur le plancher supérieur, les voix des hommes qui montaient au grand mât… Même le claquement sec des voiles gonflées de vent me parvenait, m’indiquant que le navire allait à toute vitesse vers sa destination. Tout allait bien, donc. Il ne me restait plus qu’à attendre, à accepter ma destinée, et à rêvasser à un monde meilleur. Alors, rassuré, je cherchais à tâtons la gamelle de pommes de terre bouilles qu’on avait bien voulu me donner et je mangeais, savourant comme un gourmet ces produits de la terre ferme. Cela peut paraître incroyable, mais je n’ai jamais rien mangé de si bon que ces repas frugaux dégustés dans le noir : un jour du potage de légumes, le lendemain du chou cuit à l’eau, le troisième jour de nouveau des pommes de terre fades, accompagnées parfois d’une tranche de lard (ce qui m’indiquait mieux que n’importe quel calendrier qu’on était un dimanche et qu’une semaine déjà s’était écoulée). Ce n’était pourtant pas là des menus de premier choix, mais je dégustais ces mets avec délectation, comme si le fait d’être dans l’obscurité avait exacerbé mes papilles gustatives. Il faut dire que je n’avais rien d’autre à faire et que ces repas constituaient le meilleur moment de la journée.

Des jours et des semaines se passèrent ainsi. A un moment donné, j’ai su, au tangage accentué du navire, que nous abordions le cap Horn, de sinistre mémoire. Pourtant, il n’y avait pas d’autre moyen de gagner la côté chilienne, où nous nous rendions, et cela, c’était un fait connu depuis le départ de La Rochelle. On m’avait raconté tellement d’horreurs sur cette traversée du cap Horn, que j’en frémissais à l’avance, alors même que je n’avais pas encore quitté le sol de France. Et maintenant,voilà nous étions en plein dedans. Le bateau bougeait dans tous les sens et des objets mal amarrés se promenaient dans la cale, ce qui ne me rassurait pas du tout. Parfois, quand le bateau plongeait au creux d’une vague, un seau ou un morceau de bois venait soudain me frapper à l’improviste. J’en avais des coups partout et je commençais à avoir sérieusement peur. Pourtant, mes vraies craintes commencèrent quand j’entendis un grand choc sourd, suivi d’un long craquement de planches particulièrement impressionnant. Catastrophe ! Manifestement, nous avions été projetés contre un écueil. Sur le pont, ce fut le branle-bas de combat. Ca courait dans tous les sens, ça criait, ça hurlait. Je n’arrivais pas à distinguer le sens des ordres qu’on donnait, à cause du bruit des vagues qui s’abattaient sans prévenir sur le navire, le faisant quasiment chavirer, mais l’angoisse que je percevais dans ces voix qui s’égosillaientme faisait suffisamment comprendre que l’heure était grave.

Après un petit quart d’heure de ce remue-ménage, je perçus un bruit métallique, comme si on avait déroulé des chaînes, puis ce fut un nouveau raclement le long de la coque. Il y eut encore quelques ordres épars, puis plus rien. Rien que le fracas des vagues qui n’en finissaient plus de se ruer contre le bateau pour tenter de le submerger. Je m’interrogeais sur ce silence étrange, cette absence de voix humaines, quand soudain la vérité m’apparut dans toute son évidence : les marins avaient mis le canot de sauvetage à la mer ! Ils avaient tous quitté le navire en perdition et m’avaient oublié ! Mon sang se glaça instantanément, une sueur froide courut le long de mon dos et je me mis à trembler de tous mes membres. Affolé, je parcourus comme je pus et dans l’obscurité la distance qui me séparait de l’échelle, que je gravis tant bien que mal. Quand j’arrivai à la trappe qui fermait la cale, je me mis à frapper de toutes mes forces et à hurler. Rien à faire ! Après un quart d’heure de panique et d’agitation frénétique, je dus me rendre à l’évidence : j’étais seul, désespérément seul dans ce bateau en perdition qui prenait l’eau et que tout le monde avait abandonné ! Je redescendis l’échelle comme je pus, car mes jambes continuaient de trembler sous moi, jeretraversai la longueur de la cale, non sans heurter l’un ou l’autre objet, et j’allai me recroqueviller dans un coin, attendant la mort.

Alors, les yeux fermés, dans le noir absolu, je me suis mis à écouter les bruits qui m’entouraient. Curieusement, ils me semblaient familiers. J’essayais de me souvenir, mais je n’y arrivais pas. Pourtant, j’étais persuadé d’avoir déjà connu un environnement semblable. Certes, je n’avais jamais été abandonné dans un navire en train de sombrer, mais ces bruits, ces craquements, ainsi ce tangage et ce roulis permanents, ne m’étaient pas inconnus. Ils évoquaient une époque lointaine, très lointaine et avaient curieusement quelque chose de rassurant. Alors j’ai oublié la tempête et le péril où je me trouvais pour essayer de remonter le temps, aux sources de ma mémoire. Quand avais-je déjà connu cela ? Cela remontait à loin, à l’enfance, à la petite enfance même, plus loin encore peut-être… J’ai fermé les yeux de toutes mes forces, je n’ai plus pensé à rien, et me suis laissé bercer par tous ces bruits qui emplissaient mon être.

LittératureOui, c’était il y avait longtemps. J’étais bien. Il faisait chaud. Un doux roulement de gauche à droite me berçait. Un bruit monotone et régulier de basse me faisait vibrer toutes les deux secondes. Je percevais comme le chuintement d’un liquide qui se répandait, qui coulait dans des canalisations. C’était aux origines du monde, aux débuts de ma vie. Parfois j’entendais une voix, une voix aigüe mais pourtant douce et rassurante. J’adorais l’entendre. Quand elle se taisait, il y avait un grand silence, comme quand les marins avaient quitté le navire, tout à l’heure. Ce silence me faisait mal, me faisait peur. J’aimais trop cette voix, je voulais l’entendre encore.Mais voilà que des grognements se manifestaient, d’abord discrètement, puis de plus en plus forts. Des bruits sauvages qui m’effrayaient et qui ressemblaient au frottement des flots le long de la carène. C’était un bruit étrange, comme des borborygmes qui n’en finissaient pas.

J’étais là, au fond de la cale, dans le noir absolu, replié sur moi-même dans un coin comme un petit enfant et j’essayais de me souvenir. Soudain, cette image de mon être recroquevillé sur lui-même me rappela un dessin que j’avais vu autrefois dans un livre et qui représentait un fœtus dans le ventre de sa mère. Alors tout me revint avec une évidence incroyable. Le bruit du cœur, puissant, régulier, et puis cette voix douce qui me plaisait tant et qui était celle de ma mère ! Quant aux borborygmes impressionnants, ils étaient provoqués par tous les viscères en action, avec tous leurs liquides qui se déplaçaient par à coup. Je me souvenais maintenant avoir été ce fœtus dans le ventre de sa mère, entouré de bruits, mais pourtant bien au chaud et protégé à l’intérieur de ce ventre de femme. Rassuré par ma découverte, je m’apaisai et finis par m’endormir, certain que rien de fâcheux ne pouvait m’arriver.

Quand je revins à moi, on donnait des coups sur la trappe d’accès à la cale. Bientôt un peu de jour se fit entre deux planches, puis la lumière devint aveuglante. Un homme descendait par l’échelle, une lampe tempête à la main. Quand il me vit, il laissa échapper un tel cri de stupeur qu’il faillit laisser tomber sa lanterne.

On me fit monter sur le pont et là, à la lumière du jour, je compris ce qui était arrivé. Le bateau, à moitié démantelé, s’était échoué sur des récifs, à une vingtaine de mètres du rivage. Il n’avait donc pas sombré. Pendant que je dormais tranquillement dans l’utérus de ma génitrice, il avait poursuivi sa route, balloté par les flots et était venu s’encastrer entre deux gros rochers, qui l‘avaient maintenu en équilibre. Je l’avais échappé belle ! Je pris une profonde respiration et regardai les falaises impressionnantes qui étaient devant moi. Je venais d’aborder en Amérique, sur cette pointe qu’on appelle la Tierra del Fuego.

 

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[tab name=’Promenade’]

Il y avait la mer, qui n’en finissait pas de se briser.

Il y avait les nuages, qui n’arrêtaient plus de s’accumuler.

Il y avait le vent, qui soufflait en tempête.

Il y avait nous deux, qui marchions en silence

Et nos pas derrière nous, qui déjà s’effaçaient.

Il y avait ton visage et tes lèvres fermées.

Il y avait ces mots, que je redoutais et qui ne venaient pas.

Il y avait mon cœur qui déjà battait la chamade

Et qui se brisait, silencieux, au milieu des tempêtes.

Il y avait la mer et le vent.

Il y avait surtout tes lèvres,

Que jamais plus je n’embrasserais.

 

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La cahier bleu

C’était un cahier bleu avec des pages blanches.

Des pages toutes blanches que je voulais remplir.

Dehors, de grands oiseaux tournoyaient dans l’infini des cieux

De grands oiseaux de mer qui venaient de très loin.

Sur ma table était posé un stylo à l’encre bleue

Une encre bleue qui ressemblait à la nuit.

Dans mon cœur il y avait les souvenirs des jours passés

Les jours passés à aimer.

Dans ma tête se pressaient tous les rêves

Ces rêves qui ouvrent les portes du lendemain.

Derrière moi, se trouvait une bibliothèque

Une bibliothèque où s’entassaient la plupart des écrits du monde.

 

J’ai ouvert le cahier à la première page

La première page toute blanche

J’ai regardé l’oiseau qui volait dans le ciel

Le ciel infini et bleu.

Dans ma main je tenais mon stylo

Ce stylo qui avait tant écrit déjà.

 

Ce jour-là pourtant je n’ai trouvé aucun mot

Aucun mot digne de figurer dans le cahier bleu.

J’ai regardé encore l’oiseau et le ciel

Le ciel rempli de rêves et de souvenirs.

 

Alors derrière moi j’ai pris un livre

Un livre qui parlait de la mer et de la nuit

Je suis resté longtemps à écouter le silence

Le silence qui régnait dans mon cœur.

Dehors le bel oiseau blanc était parti

Parti à jamais dans l’obscurité de la nuit.

 

J’ai déposé mon stylo, j’ai refermé le cahier

Le cahier bleu avec ses pages blanches. 

 

littérature

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