CALL GIRL est un film suédois de Mikael Marcimain qui raconte un scandale politico-sexuel impliquant en Suède en 1976 des hautes personnalités qui recouraient à des prostituées parfois mineures après d’une Madame Claude locale…
Difficile de trouver un titre plus direct et évocateur que Call Girl, même s’il s’avère finalement très réducteur. Call Girl est en réalité le fruit d’une collaboration suédoise, irlandaise, norvégienne et finlandaise. On est assez loin ici des téléfilms de série B, qui racontent les plongées dans l’enfer de la prostitution de filles naïves prises au piège par un amoureux au service de réseaux, ou encore de la série Journal intime d’une Call girl. On pense probablement à Jeune et jolie de François Ozon, qui s’attelait au sujet de l’éveil à l’âge adulte d’une jeune fille choisissant de monnayer ses charmes pour de l’argent facile. Et pourtant, on s’approche plutôt de Slovenian Girl (Slovenka) de Damjan Kozole, (intitulé A call girl, à l’international) qui à travers le portrait d’une call-girl trouve un prétexte pour dresser un portrait de la société slovène certes démocratique après son indépendance puis son entrée dans l’Europe Unie, mais surtout terriblement fragile…
Certes, le thème n’est pas nouveau, mais avec Call Girl, le réalisateur va bien au-delà du traditionnel drame autour du proxénétisme et de ses affres psychologiques. Bien que cette prostitution concerne les milieux rupins et révèle les maquereaux et clients en cols blancs, on discerne aussi tout le rapport avec la corruption et des liaisons avec des milieux politiques, complices de leur développement puisqu’ils en sont les premiers utilisateurs…
Call girl, entre drame psychologique et thriller sur la prostitution mondaine
La société suédoise apparaît en général comme un modèle proche de la perfection. Comme souvent les sociétés policées en apparence les plus « propres » cachent bien des réalités sombres, des mœurs pas toujours si honorables que les valeurs prônées par les acteurs de la vie publique. Call Girl déflore ces bas fonds sordides et fait plus qu’égratigner le vernis de cette société si souvent admirée pour ses positions sociales égalitaristes. Une société qui poursuit un idéal progressiste, où les droits des femmes sont défendus dès les années 70 comme une voie vers le développement et l’indépendance économique et où l’éducation de la jeunesse est perçue comme clé essentielle contre la délinquance.
Le film nous transporte en 1976 dans une Suède permissive, en pleine décennie de libération sexuelle des jeunes, rythmée par les musiques d’ABBA, où les filles portent des pantalons patte d’éléphant, se peinturlurent le visage pour paraître plus adultes, se veulent libres voire libérées et boivent comme les garçons… Il évoque l’histoire vraie d’un scandale suédois impliquant des politiciens accusés d’avoir entretenu des relations tarifées avec des mineures ou des escort girls dont certaines étaient suspectées de pouvoir mettre en péril les secrets de l’Etat suédois livrés sur l’oreiller…
Un film censuré en Suède
A sa sortie en Suède, Call Girl inspiré de l’affaire du Bordellhärvan fut censuré, vivement critiqué et créa la polémique, car la famille d’un politicien socialiste réformateur, l’ex Premier Ministre Olof Palme, peut-être indirectement impliqué dans le scandale comme le suggérait Call Girl, porta plainte, en estimant que le film le calomniait, alors qu’aucune preuve n’avait jamais été apportée sur sa culpabilité…
Olof Palme aurait été informé par une note de Dagens Nyheter que son ministre de la Justice avait été surpris dans un bordel avec une prostituée mineure. Un passe temps vraisemblablement courant pour ce ministre mais aussi pour d’autres figures éminentes. La plainte pointait une certaine ressemblance supposée d’Olof Palme avec l’un des personnages du film que l’on voyait payer une prostituée, ce qui laissait le doute planer sur les agissements du premier ministre qui avait toujours nié être au courant des pratiques de ses ministres.
Au détour des parties fines secrètes orgiaques organisées pour le gratin, Call Girl ébranle donc l’image d’une société idyllique en évoquant à la fois les centres de réorientation sociale de mineurs difficiles et leurs nombreuses limites et des réseaux de prostituées situés tout près des centres de réhabilitation et alimentés précisément par des jeunes filles paumées qui y sont envoyées …
Au passage, on explore les sulfureux clubs privés de strip-tease mais surtout des hôtels de passe de luxe au coeur de Stockholm où le personnel ferme les yeux devant les aller-venues incessants de jeunes filles qui ne cachent pas grand chose des motifs de leurs passages…
Le film Call Girl à l’ambiance glauque est assez prenant, en dépit d’une certaine lenteur, car on y suit une enquête aux airs de thriller, visant à démanteler l’un des réseaux qui implique des clients de prostituées éminents. Tous évoluent au plus haut niveau de l’Etat suédois et beaucoup sont des politiciens bien comme il faut dont le discours public vise à donner aux femmes les droits et la respectabilité qu’elles méritent, alors que dans leur vie secrète, ils n’hésitent pas à se payer des prostituées pour se distraire…
Tout comme la nudité, jamais gratuite, les scènes de sexe entre ces femmes enfants et des vieux libidineux sont rares et filmées avec tact, le plus souvent suggérées. L’alcool, la cocaïne, tout est fait pour rendre ces gamines dépendantes, même si au fur et à mesure des nombreuses passes, le dégoût des hommes autant que celui d’elles-même devient omniprésent.
Les acteurs de Call Girl sont tous très convaincants. Pernilla August que j’avais aperçue il y a longtemps dans Fanny et Alexandre de Bergman officie avec talent dans le rôle de Dagmar Glanz, comme mère maquerelle, tantôt faussement maternante, tantôt cynique et implacable quand il s’agit de défendre les intérêts de son commerce. Son personnage sournois et trouble est probablement le plus intéressant. On découvre comment Dagmar Glanz repère les futures proies au service de son réseau, tisse sa toile à l’aide son compagnon et développe un redoutable service qui fait glisser non sans cynisme les filles dans la prostitution presque à leur insu, quand celles-ci ne sont pas convaincues que leurs services sont nécessaires au meilleur fonctionnement des hautes sphères du pouvoir et donc de la société en général.
Un seul moment entrouvre la porte à un peu de compassion pour ce personnage, quand on comprend que Dagmar ne fait jamais subir que ce qu’elle a vécu un jour. C’est alors qu’elle sonne à l’appartement voisin du sien pour voir son bon à rien de fils, qui réclame de l’argent tout en rappelant à sa « putain » de mère qu’elle lui doit bien ça, avant de lui claquer la porte au nez sans mot dire! Pour éviter que son réseau soit percé à jour et faire tourner sa petite boutique, elle invite ses « call girls » à venir faire du baby sitting, ce qui en dit déjà long sur la perversité de ce système, qui laisse entendre que les femmes sont forcément libres et volontaires.
Sofia Karemyr, dont la photogénie est loin d’être le seul atout, fait ses premiers pas d’actrice dans un rôle difficile ; celui d’Iris, une adolescente de 14 ans placée en foyer sur les conseils d’une assistance sociale. Ses fugues nocturnes à Stockholm sont l’occasion de côtoyer une jungle noctambule de jeunes et moins jeunes, dans les rues et les clubs, où sexe, drogue, boisson constituent un cocktail détonant et mortifère dans une société qui plaide pour les nouvelles libertés des femmes… Bluffante, Sofia Karemyr promène son spleen d’adolescente à la marge dont les drames et les excès échappent à l’institution et aux éducateurs qui sont censés redonner du sens à sa vie. Bien que son rôle soit plus discret, Josefin Asplund, l’amie d’Iris, l’accompagne dans cet enfer avec tout autant de justesse. On sent à travers ces deux portraits de jeunes filles un mélange de sentiments confus, alternant entre insolence, naïveté, crédulité et désir d’émancipation, clairvoyance et impuissance…
L’approche de Mikael Marcimain, dont la mise en scène est distancée et relativement maîtrisée pour un premier long métrage, s’avère très réaliste sans être jamais misérabiliste. L’esprit des années 70 au niveau des décors, des costumes, des musiques, y est retranscrit avec un vrai souci de crédibilité. On s’y croirait, d’autant que le choix du grain d’image accentue cette impression! La musique sourde très présente, dérange et renforce le malaise que produit le cheminement intérieur des filles qui prennent conscience de leurs actes et de leur désir d’y mettre fin, sans parvenir à se défaire de leurs liens avant l’explosion médiatique du scandale.
Si le début mêle peut-être trop d’informations disparates dont on ne saisit par toujours les ramifications et manque de clarté, le dernier tiers un peu longuet se révèle trop prévisible. Néanmoins, on apprécie un film qui ne se résume pas à une version de Madame Claude à la sauce suédoise… On sort du visionnage avec un sentiment mêlé de rage et de désespoir face à ces systèmes du pouvoir, solidaires, qui se protègent pour échapper aux condamnations et abandonnent les victimes pour protéger les puissants, leur réputation et leurs intérêts. Enfin, Call Girl interroge sur les limites et les illusions de la liberté dans une société résolument sociale-libérale et libertaire qui a fait des droits des femmes une priorité sans toutefois refuser la marchandisation de leurs corps pour le plaisir des hommes…
Le film a reçu le prix Fipresci de la découverte et le prix du meilleur réalisateur d’un premier film au Festival de Toronto en 2012.
Vous pouvez visionner Call Girl : voir l’introduction sur Youtube.