Le Yunnan offre des paysages sublimes comme les escaliers de rizières à flanc de montagnes … Les montagnes du Sud Ouest en Chine sont l’occasion de rencontrer des ethnies comme les hani, que les Han s’évertuent à repousser…
« Li-Fang et le chiffre 4, signe de mauvais présage » (extrait de « Stairways to Heaven », journal de bord)
« On quitte très vite la ville pour une montagne sèche, presque aride, et des paysages désolant de carrières et d’usines délabrées. Sur des kilomètres, la route est trouée, cabossée. Ma conductrice – la vingtaine guère plus – répond au joli prénom de Li-Fang. Elle conduit son taxi avec concentration. On tente quelques échanges, qui retombent vite dans un silence forcé. « Est-ce qu’elle a un mari ? », « des enfants ? », « combien ? » Elle me répond par signes. « Quatre enfants. En tout six à la maison ». Visiblement elle n’a pas compris ma question. Elle est l’aînée de quatre, plutôt que mère de quatre. Il est fort probable que son taxi, plus âgé qu’elle, soit aussi le taxi familial. « Est-elle déjà allée à Yuanyang ? » Elle répond de la main : « Quatre fois ». Cela devrait me rassurer, mais d’un seul coup, j’ai le vague souvenir que le chiffre « 4 » n’est pas un signe bénéfique pour les Chinois. S’ils se disent presque tous athés, ils sont tous superstitieux et le culte des ancêtres est au centre de leur vie familiale. Je sais qu’en Thaïlande, les nouveaux riches d’origine chinoise payent très cher la plaque d’immatriculation de leur voiture pour qu’y figure le chiffre « 9 » qui représente la force et la longévité. « Quatre » en chinois se prononce « si », homophone du mot « mort »… Brrr… Je ne suis plus si rassurée que ça près de l’inconsciente Li Fang. Je cherche une autre question pour vérifier ou calmer mes craintes, mais je n’ai plus d’idée et surtout plus de mots pour formuler mon interrogation. Je n’ai plus qu’à m’abandonner à la chance. C’est quel chiffre déjà ?…
Dans ma tête, je fredonne inconsciemment ce morceau d’anthologie du groupe Led Zeppelin : « Stairway to Heaven », « les escaliers du ciel ».
« Il y a une femme qui est certaine… « Que tout ce qui brille est or… « Elle achète un escalier menant vers le ciel… « Lorsqu’elle y est, elle sait que si les magasins sont fermés… « Un mot d’elle suffira pour obtenir ce qu’elle désire…. « Mais les mots sont à double sens… « Oh ! je me demande si…. « Dear lady, peux tu entendre le souffle du vent, et le sais-tu, « Que ton escalier repose sur le vent ? « Oh je me demande si… »
Quel sens donner à ces paroles chantées par Robert Plant ? Une critique du matérialisme, de l’individualisme ? Intéressant que cette chanson me revienne, ici, en Chine, mais je ne dois pas être la seule à succomber à l’ensorcellement de cette mélodie écrite par l’un des plus grands groupes de rock anglais de tous les temps.
Dans le fond d’une vallée, nichée entre montagnes minérales et rivière, une usine crache ses déchets dans l’eau du Fleuve rouge. Je fais signe à Li-Fang d’arrêter la voiture sur un petit promontoire dominant ce paysage lunaire. De la pierre, des carrières, des rochers, une usine et dans l’eau, des milliers de points immobiles dont je ne parviens pas à deviner s’il s’agit de baigneurs – les eaux sont très basses – de pêcheurs, ou d’ouvriers occupés à je ne sais quelle besogne absurde. Je sors mon appareil photo muni d’un objectif puissant et… je ne rêve pas, ce sont des centaines d’hommes – je ne vois pas de femmes – qui profitent de cet après midi de dimanche pour se rafraîchir dans les eaux du fleuve. Une station balnéaire à l’ombre des cheminées fumant une vapeur trop blanche. Mais d’où sortent tous ces êtres miniatures, habillés ou torses nus ? Je consulte ma carte du Yunnan. Il y a bien une petite ville entre Jianshui et Yuanyang, un ancien village composé d’ethnies montagnardes, devenu depuis peu, une ville artificielle avec bâtiments trop neufs, trop propres, pour ouvriers, chefs de chantiers et ingénieurs nouvellement implantés dans ce décor de nulle part.
On effectue une descente chaotique et poussiéreuse, en cédant le passage à des engins mécaniques, grues et pelleteuses excavatrices qui mordent la montagne pour en extraire pierre et minerais.
Arrêt cantine décidé par Li-Fang. Les restaurants ici, ressemblent aussi à des usines. On se rend tout d’abord dans une cuisine aux allures de hauts fourneaux. Une fumée malodorante me soulève le cœur, tout comme la vue des bacs chargés de légumes bizarres, de champignons marronnasses, d’herbes, de tofu et de chair rose de poulet, de canard ou de porc. Rien ne me tente, pourtant je suis sensée choisir viande et légumes qui seront cuits tandis que je rejoins ma table dans la salle à côté. Li-Fang salive déjà devant tant de merveilles, des trucs que je n’ose pourtant imaginer dans mon assiette. Mais si je fais la moue, elle va se sentir mal à l’aise. Fataliste, je dis « la même chose ! ». Et puis, à la grâce de Dieu !
On s’installe dans une salle cracra où cliquettent les baguettes, où l’on mange, rit, crache… tout en même temps et à toute vitesse. Un restau, ce n’est pas fait pour raconter sa vie ou discuter politique, c’est fait pour mastiquer, déglutir et repartir vers d’autres occupations tout aussi trépidantes.
Enfin c’est l’arrivée à Yuanyang…. La ville la plus romantique du monde vue du côté de la Chine ! ET enfin les escaliers du Ciel !
« Dear lady, peut-tu entendre le souffle du vent et le sais-tu ? Que ton escalier repose sur le vent » ?
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