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Voyage Chine – En route vers Yuanyang à la rencontre des hani, les « sculpteurs de montagne »

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Le Yunnan offre des paysages sublimes comme les escaliers de rizières à flanc de montagnes … Les montagnes du Sud Ouest en Chine sont l’occasion de rencontrer des ethnies comme les hani, que les Han s’évertuent à repousser…

 
 
Chaque matin, nous sommes deux ou trois à nous disputer le « International Herald Tribune ». Arrivée trop tard à la coffee-shop, mon journal favori est entre les mains d’un client ami, à  qui je dis en riant, au moment d’attraper le magazine « Elle », disponible, lui : « Ce matin ce sera du léger ! »  Et je le crois, jusqu’au premier reportage : « Crimes d’honneur à l’anglaise ». L’actrice britannique d’origine bengalie, Afshan Azad (« Harry Potter et l’ordre du phénix ») menacée de mort par son père et son frère pour oser aimer un hindou (hors caste). Il y aurait au moins 12 crimes d’honneur par an en Angleterre et ils sont en recrudescence. L’éducation, la mixité, foutaises ! Alors j’ai décidé de vous emmener dans les montagnes du sud-ouest de la Chine. Des paysages sublimes, à certaines périodes de l’année, lieu de vie d’ethnies toujours repoussées par les Han… qui, mine de rien, sont en train d’imposer le mandarin un peu partout dans le pays, au détriment d’autres langues, du cantonnais entre autre, et ce dans certaines régions du sud-est. (Toujours ce fameux « principe de Lucifer »)

«   Li-Fang et le chiffre 4,  signe de mauvais présage » (extrait de « Stairways to Heaven », journal de bord)

« On quitte très vite la ville pour une montagne sèche, presque aride, et des paysages désolant de carrières et d’usines délabrées. Sur des kilomètres, la route est trouée, cabossée. Ma conductrice – la vingtaine guère plus – répond au joli prénom de Li-Fang. Elle conduit son taxi avec concentration. On tente quelques échanges, qui retombent vite dans un silence forcé.  « Est-ce qu’elle a un mari ? », « des enfants ? », « combien ? » Elle me répond par signes. « Quatre enfants. En tout six à la maison ».  Visiblement elle n’a pas compris ma question. Elle est  l’aînée de quatre, plutôt que mère de quatre.  Il est fort probable que son taxi, plus âgé qu’elle, soit aussi le taxi familial. « Est-elle déjà allée à Yuanyang ? »  Elle répond de la main : « Quatre fois ».  Cela devrait me rassurer, mais d’un seul coup, j’ai le vague souvenir que le chiffre « 4 » n’est pas un signe bénéfique pour les Chinois. S’ils se disent presque tous athés, ils sont tous superstitieux et le culte des ancêtres est au centre de leur vie familiale. Je sais qu’en Thaïlande, les nouveaux riches d’origine chinoise payent très cher la plaque d’immatriculation de leur voiture pour qu’y figure le chiffre « 9 » qui représente la force et la longévité. « Quatre » en chinois se prononce « si », homophone du mot « mort »… Brrr… Je ne suis plus si rassurée que ça près de l’inconsciente Li Fang.   Je cherche une autre question pour vérifier ou calmer mes craintes, mais je n’ai plus d’idée et surtout plus de mots pour formuler mon interrogation. Je n’ai plus qu’à m’abandonner à la   chance. C’est quel chiffre déjà ?…

La route serpente entre montagnes et vallées, avec passages du quasi désertique à la végétation tropicale, de couleurs de sienne au vert flamboyant. Une route dangereuse parfois, sans parapet de protection au-dessus du vide, une route qui gondole, non pas façon   « tôle ondulée »  avec vaguelettes en surface, dures et rapprochées, formées par les vents du désert, non,  une route qui ondule de vagues larges et espacées, comme  venues  de l’intérieur de la croûte terrestre, des profondeurs d’une terre en éternel mouvement et qui « rit » de façon inquiétante. Parfois un morceau de montagne se détache et déboule sur la route, obligeant la voiture à faire un écart en frôlant le précipice.  Je suis obsédée par le chiffre « quatre ». Je le conjure en pensant très fort au « neuf », celui de mon mois de naissance, de mon numéro d’adresse à Paris… J’ai la bouche sèche et me dit que j’ai quand même bien fait de prendre ce taxi plutôt qu’un transport en commun. Plus facile de slalomer avec une voiture qu’avec un bus. A certains virages en descente, il m’arrive d’avoir des doutes sur les capacités de conduite de mon jeune chauffeur, surtout lorsqu’elle amorce   ses virages en laissant glisser la voiture sur les graviers.  Bon, si j’ai peur, y’a plus qu’à rester à la maison. J’ai rencontré plein de gens qui ont emprunté cette route avec des bus d’âge canonique, aucun ne s’est vraiment plaint. C’est moi, qui, oisive forcée, porte trop d’attention au décor majestueux et inquiétant des montagnes. J’essaye d’anticiper mon arrivée à Yuanyang, avec ses terrasses titanesques dont j’ai pu admirer des photos sur internet. Morte de jalousie à la vue de ces clichés surréalistes, aux lumières « fabriquées ». Impossible que la nature, travaillée par la main de l’homme depuis des millénaires, offre une telle somptuosité. J’ai hâte et j’appréhende à la fois.

Dans ma tête, je fredonne inconsciemment ce morceau d’anthologie du groupe Led Zeppelin : « Stairway to Heaven », « les escaliers du ciel ».

« Il y a une femme qui est certaine…  « Que tout ce qui brille est or… « Elle achète un escalier menant vers le ciel… « Lorsqu’elle y est, elle sait que si les magasins sont fermés… « Un mot d’elle suffira pour obtenir ce qu’elle désire…. « Mais les mots sont à double sens… « Oh !  je me demande si…. « Dear lady, peux tu entendre le souffle du vent, et le sais-tu, « Que ton escalier repose sur le vent ? « Oh je me demande si… »

Quel sens donner à ces paroles chantées par Robert Plant ?   Une critique du matérialisme, de l’individualisme ?  Intéressant que cette chanson me revienne, ici, en Chine, mais je ne dois pas être la seule à succomber à l’ensorcellement de cette mélodie écrite par l’un des plus grands groupes de rock anglais de tous les temps.

Dans le fond d’une vallée, nichée entre montagnes minérales et rivière, une usine crache ses déchets dans l’eau du Fleuve rouge. Je fais signe à Li-Fang d’arrêter la voiture sur un petit promontoire dominant ce paysage lunaire. De la pierre, des carrières, des rochers, une usine et dans l’eau, des milliers de points immobiles dont je ne parviens pas à deviner s’il s’agit de baigneurs – les eaux sont très basses – de pêcheurs, ou d’ouvriers occupés à je ne sais quelle besogne absurde. Je sors mon appareil photo muni d’un objectif puissant et… je ne rêve pas, ce sont des centaines d’hommes – je ne vois pas de femmes – qui profitent de cet après midi de dimanche pour se rafraîchir dans les eaux du fleuve. Une station balnéaire à l’ombre des cheminées fumant une vapeur trop blanche. Mais d’où sortent tous ces êtres miniatures, habillés ou torses nus ?  Je consulte ma carte du Yunnan. Il y a bien une petite ville entre Jianshui et Yuanyang, un ancien village composé d’ethnies montagnardes, devenu depuis peu, une ville artificielle avec bâtiments trop neufs, trop propres, pour ouvriers, chefs de chantiers et ingénieurs nouvellement implantés dans ce décor de nulle part.

On effectue une descente chaotique et poussiéreuse, en cédant le passage à des engins mécaniques, grues et pelleteuses excavatrices qui mordent la montagne pour en extraire pierre et minerais.

Arrêt cantine décidé par Li-Fang. Les restaurants ici, ressemblent aussi à des usines. On se rend tout d’abord dans une cuisine aux allures de hauts fourneaux. Une fumée malodorante me soulève le cœur, tout comme la vue des bacs chargés de légumes bizarres, de champignons marronnasses, d’herbes, de tofu et de chair rose de poulet, de canard ou de porc.  Rien ne me tente, pourtant je suis sensée choisir viande et légumes qui seront cuits tandis que je rejoins ma table dans la salle à côté. Li-Fang salive déjà devant tant de merveilles, des trucs que je n’ose pourtant imaginer dans mon assiette. Mais si je fais la moue, elle va se sentir mal à l’aise. Fataliste, je dis « la même chose !  ». Et puis, à la grâce de Dieu !

On s’installe dans une salle cracra où cliquettent les baguettes, où l’on mange, rit, crache… tout en même temps et à toute vitesse. Un restau, ce n’est pas fait pour raconter sa vie ou discuter politique, c’est fait pour mastiquer, déglutir et repartir vers d’autres occupations tout aussi trépidantes.

Enfin c’est l’arrivée à Yuanyang…. La ville la plus romantique du monde vue du côté de la Chine ! ET enfin les escaliers du Ciel !

« Dear lady, peut-tu entendre le souffle du vent et le sais-tu ? Que ton escalier repose sur le vent » ?

Michèle Jullian

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