Certes, il faut aller jusqu’au Chambon-sur-Lignon, haut-lieu des Justes (et aussi, pour moi, réceptacle de bien des souvenirs personnels), il faut découvrir ce lieu dédié à la céramique et escalader la pente derrière, entrer dans cette salle d’exposition où la lumière est bleutée, les vitres ayant été recouvertes du même verre bleu que celui des bouteilles d’éther, la vision du monde extérieur ainsi chamboulée. Et là, il faut se laisser emporter, déranger, transporter.
Cécile Hesse et Gaël Romier sont des photographes qui montrent aussi des objets mis en scène dans des performances, ce sont des fabricants de fantasmes et d’improbable, ce sont des perturbateurs à l’air innocent.
Cette coupe de cristal aux contours alambiqués, ainsi nappée de bleu, évoque (et une photographie plus loin souligne le simulacre) l’obsession d’Edgerton pour l’éclatement des gouttes de lait, effet d’optique ou effet de forme. Présentée sur cette table basse encadrée de deux fauteuils (ne manque que le napperon suggestif), comme pour une ‘conversation piece’, elle contient des brèdes mafane (ou boutons du Séchuan) piquées dans des épingles de sûreté : les portant à sa langue, le visiteur, invité à goûter, décontenancé et méfiant, perçoit un picotement électrique des plus étranges. Sa vision bleuie, sa langue en overdrive, le voilà prêt à affronter les images étranges que le couple diabolique (farceur et pervers) lui a concoctées.

Ce panorama faunesque est comme une offrande de l’intimité des deux artistes, une invite à entrer dans leurs fantaisies, 
Ces deux artistes, poursuivant ce chemin de l’étrangeté à nul autre pareil, sont peut-être les dignes héritiers des surréalistes, non pas tant par la construction de leurs images que par l’univers qu’ils savent évoquer. Et si vous n’allez pas au Chambon, vous pourrez les voir aussi cet été à Mende et à Nîmes.
Photos 1 et 2 de l’auteur.