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Chronique du Parthénon

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Parthénon

Je ne suis pourtant pas resté très longtemps en Grèce. Et si le temps m’a semblé court, j’en ai cependant retiré comme une autre perspective sur l’Europe. Un autre angle de vue, au sens propre du terme. Dans ce pays sur lequel tout le monde me demande : « Alors c’est la faillite ? », j’ai rencontré, comme partout dans le reste du continent, des citoyens qui fêtaient Noël, se répandaient bruyamment dans les rues, avec avidité de vivre, comme à l’habitude.

Les magasins étaient pleins de désirs, fondés plus encore que dans une période ordinaire sur l’accumulation et, le 24 décembre au matin, dans l’enceinte du marché central plein de bruits et de fureur, les poissonniers vantaient les trésors de la mer avec encore plus de sonorité séduisante que d’ordinaire et les bouchers tapaient sur les billots de bois avec une énergie redoublée pour fendre les demi-carcasses de moutons en autant de trésors culinaires.

Mes amis ont récapitulé pour moi toutes les recettes venues des fêtes de Noël traditionnelles, depuis plusieurs générations, tandis que trônaient sur la table les fruits de leur oliveraie et les vins blanc et rouge issus de leurs vignes.

Peu importe la crise, ni ces étendues désolées où les feux non contrôlés de l’automne dernier ont déformé le paysage en se perpétuant de colline en colline, tout autour de la capitale et en encerclant leur maison. Les oliviers qui ont brûlé comme des torches couvertes d’huile, en se creusant du dedans comme des lampes votives, n’ont pas mis à bas leur optimisme et leur joie de vivre. Et les enfants de leurs voisins albanais sont venus comme tous les enfants grecs, chanter des carols, les calandas, accompagnés par leur mère qui frappait le trigone traditionnel.

Le pain de Noël, à la croûte en croix, le christopsomo local, fourré de quatre figues et surmonté d’une noix entière, ouvrait dans la découpe du chef de famille, le premier repas suivant le carême, sur une table où jouxtaient la soupe en gelée à base de porc et d’ail, la dinde farcie de figues, de dates, de marrons, de raisins de Corinthe, les tartes feuilletées aux épinards, et des piles de gâteaux : les kourabiedes couverts de sucre glace et fleurant le girofle et les melomakarona formés en sortes de biscuits, modelés à partir de noix broyées, et parfumés de cannelle.

Les traces de l’enfer parcourent encore les flancs de l’Attique, sans que personne ne perde son sang froid, tandis qu’au bord de la mer, des vieux parents déformés par l’âge regardaient d’un air attendri leur grand enfant de quarante ans prendre un bain de mer après la longue messe de Noël.

Le pays est ancestral et capte pourtant la modernité qui le déstabilise. Tous veulent y participer et les villes semblent avoir aspiré un monde rural dont les fantômes vivent repliés sur eux-mêmes. Mais mes amis savent encore, heureusement, se déplacer entre ces deux mondes en tenant fermement l’équilibre de la balance.

Seuls les drogués qui s’amoncèlent dans les rues du centre ville, près des universités d’où sont parties les émeutes d’il y a un an et celles qui ont perpétué début décembre le souvenir de la mort de l’un des leurs, dénoncent une faille qui se creuse. Ils donnent, dans l’emploi sans vergogne des seringues et les échanges auxquels se livrent leurs mains tuméfiées et bandées, comme s’ils étaient en représentation, un sentiment que la génération qui vient à l’âge adulte doit, seule, avouer que la perpétuité des dieux semble parfois sans avenir.

S’il y a une faillite – et le système politique issu du retour à la démocratie, tant attendu et célébré dans les musiques de Théodorakis a en effet failli par sa corruption et son népotisme élevés au rang de système – c’est celle d’une génération dont les jeunes hommes n’ont plus de valeur et ne croient plus à l’avenir, au-delà de l’étourdissement passager qu’ils attendent à chaque fois qu’ils flirtent avec la mort.

Ils perpétuent cependant, dans une sorte de décadence acceptée, les rendez-vous masculins des cafés, tandis que les jeunes femmes de leur génération semblent avoir décidé de rester à l’abri, en mimant les rassemblements traditionnels des femmes autour du foyer. Sont-elles autant désespérées que les hommes ou ouvriront-elles un autre avenir ?

Si nous sommes tous, en Europe, pétris de ces contradictions, il est certain que le télescopage entre le profond sentiment d’être à l’origine de la démocratie et le profond sentiment d’un cul de sac de la modernité, apparaît ici, encore plus qu’ailleurs, une sorte d’offrande destinée aux Dieux. D’autant plus douloureuse qu’au pied du Parthénon, Athéna, guerrière victorieuse et pourtant symbole de sagesse, est toujours là. Et qu’elle semble se lamenter.

 L’Antiquité, aujourd’hui : le musée de l’Acropole

Lors de mes derniers voyages, je suis allé admirer le Parthénon dans son habillage de lumière, d’un peu loin et j’ai eu également la surprise, il y a deux ans de le découvrir poudré de neige, ce qui est un spectacle rare. Cette fois, le Ministère de la Culture m’a organisé une visite nocturne du nouveau musée de l’Acropole inauguré à l’aube du dernier été. Et je dois bien avouer que parmi toutes mes surprises de cette fin de décembre, celle-ci constitue une découverte majeure.

Elle est dans doute d’ailleurs, l’ayant précédé, à l’origine du sentiment tellement puissant de présence physique des anciens héros que j’ai ressenti ensuite dans la campagne de l’Attique. Comme si le parcours du musée et le tête-à-tête avec quelques-unes unes des plus belles sculptures archaïques et classiques avait eu le don de réveiller le pouvoir des dieux.

Ce musée, à vrai dire, a été espéré de longue date. Sans doute même depuis que Lord Elgin se livra à un rapt déguisé sous forme d’achat. Entre temps, ce qui représente il est vrai quelque cent cinquante années, plusieurs musées ont vu le jour, tandis que Constantinos Karamanlis préparait un concept nouveau au milieu des années soixante dix et que Melina Mercouri proclamait à corps et à cris la nécessité du retour des “emprunts” anglais. Le résultat du concours que lança la ministre médiatique fut annulé avant d’être proposé de nouveau en 2000 selon les règles internationales en vigueur, pour aboutir au choix de Bernard Tschumi et Michael Photiadis.

Quelle réussite ! Quand le concept marque l’évidence de la médiation et raconte avec justesse comment les hommes ont pris possession d’un espace, dans l’esprit de leur temps, on fait face à un paradigme. Quand, de plus, il le raconte, tout en gardant une filiation continue des occupations successives, qu’il explique ce qu’est le germe d’une ville et comment elle devient le centre de gravité du monde démocratique, on est proche d’un modèle idéal de musée d’architecture.

Les fouilles qui avaient un moment arrêté le projet se trouvent en effet prises dans la perspective verticale d’un espace transparent où les dalles de verre tramées comme un plan d’architecte créent une liaison directe avec le faîte du musée ; la galerie du Parthénon. On y retrouve ainsi placés au sommet les métopes, les frontons et les frises, tandis que l’autre transparence, horizontale celle-là, laisse apercevoir sur la hauteur le monument lui-même. Dans la lumière du couchant ou dans la nuit, l’effet est encore plus saisissant, d’autant plus que le musée respecte la taille et l’orientation de son référent dont il embrasse à la fois l’esprit et l’histoire.

A vrai dire, je n’avais jamais pénétré vraiment l’histoire grecque à ce point. Ce n’est pas ma formation. Mes origines culturelles se situent ailleurs. Et pourtant mes références les plus fortes se sont placées là, chaque année un peu plus, grâce à de merveilleux guides, dont Jean-Pierre Vernant qui a su me secouer comme il le fallait. Dans le rapport étrange et le dialogue contradictoire de la culture du sol avec le nomadisme, dans l’opposition apparente de la sûreté du geste du sculpteur qui dessine sa déesse et les tribulation d’Ulysse, qui chaque fois se demande s’il va se marier aux Barbares, notre destin contemporain se décrypte aisément. Et non pas, bien entendu, dans la vaine analyse de l’identité nationale.

« Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont. »

En un sens, la projection nécessaire, c’est aussi le message de ce musée qui, pourtant, ne parle que de la Grèce, d’installations et de sanctuaires et célèbre les morts célèbres, les gloires, sur le même plan que les vivants. Les objets votifs, les éclats du corps guéris par les dieux, les poteries sacrées, faisant face aux lignes essentielles des Korés de terre cuite ou de marbre et des Moshophoros qui attendent calmement la défaite des Perses en portant le jeune bétail, nous attendent. Nous, en effet et personne d’autre ! Ils sont à la fois indépendants; rassemblés par le hasard des découvertes, mais comme la Vénus que j’évoquais, ils nous attendent depuis leur sortie de la terre ou leur arrachement aux décombres de l’histoire.

Non loin, les boustrophédons, ces écritures qui parcourent la pierre comme les bœufs, traçant le champ dans les deux sens, semblables à l’écrivain des origines cher à Michel Serres qui place son discours dans l’aller et le retour, résonnent sombrement de trop contempler les Cariatides de l’Erechteion, supports du ciel et de la célébration des morts, entremetteuses en un mot. Leur poids de femmes colonnes, aux nattes qui plombent leur équilibre, constituent en effet comme des ponctuations, des repères devant une écriture qui ne cesse de labourer la terre sans rien savoir de la récolte à venir. Dans la confiance !

Comme l’écrit encore Vernant, ce que nous appelons la « mythologie grecque » est certainement ce qui était raconté autrefois aux petits enfants. Et il ajoute qu’elle constitue une stratégie à l’égard de la mort. Si elle ne l’éloigne pas, elle nous en donne une image extérieure, qui nous ramène pourtant à nous-mêmes, par une sorte de réconciliation.

Ce musée est donc, en un sens, une réussite pour les petits enfants, que nous demeurons toujours, devant la force du passé.

Michel Thomas-Penette
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