« Comme je descendais des fleuves impassibles ».(*)
1ere partie
Beaucoup aurait souhaité se trouver à mes côtés dans le camp de Maela ce samedi 2 juin 2012 car Aung sang Suu Kyi représente bien plus que l’espoir pour son peuple fait de dizaines d’ethnies différentes : Birman, Shan, Karen, Mon, Rohynghia, Kachin, Shin et de toutes confessions : bouddhiste, animiste, musulman, chrétien, catholique… elle est aussi devenue un symbole pour le monde entier. Une femme forte, déterminée, patiente, intelligente, maligne et pleine d’humour ou d’inconscience qui déclarait, alors qu’elle était reçue par la crème de la crème des politiques thaïlandais lors du sommet du Forum Economique Mondial à Bangkok : « Je vais vous observer piller mon pays ». Mise en garde aux investisseurs étrangers et à leur « optimisme sans borne », observation qui n’aurait pas été bien accueillie par les proches de Thein Sein à Rangoon (eux pensent d’abord au fric j’imagine) !! Une icône aussi sans doute, mais ça, c’est le côté anecdotique véhiculé par le cinéma.
Camp de Maela
Je ne suis pas journaliste, même si mes pas m’ont parfois amenée près de ceux qui font ce métier pour un journal ou une chaîne de télévision. Je ne représente donc que moi-même. Electron libre, sans obligation de compte-rendu à un directeur de rédaction,. Curieuse sans avoir à tenir compte d’une ligne éditoriale. Aventureuse et n’appartenant a aucun bord, je ne suis qu’une femme libre qui se débrouille avec ses propres moyens, en se laissant guider par son instinct, mais avec une belle obstination et un clin d’œil complice à la chance. Mais la chance seule n’a aucun sens si elle n’est soutenue par une volonté et un désir plus fort que tout. Et puis j’ai une autre chance que les journalistes n’ont pas, en général : j’ai le temps de raconter, tandis qu’eux sont poussés par des évènements nouveaux dont ils doivent rendre compte chaque jour.
J’avais été informée par U Agga Nya Na, moine ayant participé à la révolution safran de 2007 en Birmanie et refugié aux Etats-Unis de la visite de Aung San Suu Kyi à la clinique Mae Tao de Mae Sot. J’avais prévu cette visite au Docteur Cynthia Maung pour lui apporter ma modeste participation à son dispensaire, je me contentais d’avancer ma venue de quelques jours.
Dispensaire de Mae Tao
Ma première vraie rencontre avec des Karens de Birmanie a eu lieu il y a environ sept ans, à Mae Sariang. Ils étaient refugiés, sans en avoir le statut officiel, juste tolérés par les autorités thaïlandaises grâce à l’argent extorqué quasi journellement par une police locale qui y trouvait son compte, j’en ai été témoin. Leur professeur américain venait de partir. Je passais à ce moment-là. Voilà comment les choses arrivent parfois, hasard et chance et défi toujours. Car ce fut un défi pour moi d’accepter l’offre de Xavério, le responsable charismatique de ce groupe d’adultes Karen. Xavério, un jeune leader fluet et résistant comme une lame, dont j’ai fait un des personnages de mon roman à paraître :« Là où s’arrêtent les frontières » aux Editions de la Fremillerie. Défi parce que je ne m’imaginais pas vivant plusieurs mois dans cette petite bourgade de Mae Sariang. Mais je me suis entendue dire « oui ». Et voilà comment je suis entrée dans la vie des Karens et surtout comment ils sont entrés, eux, définitivement dans la mienne.
Avec Xaverio dans la maison qui accueilliat les Karens a Mae Sariang
Donc, Mae Sot il y a quelques jours…. Avec l’espoir d’approcher peut-être celle que tout le monde attend et espère, mais surtout pour sentir battre le cœur des refugies à l’approche de celle qui représente l’espoir. Respirer cet espoir infini avec eux, etre le temoin de leur émotion et qui sait, mêler la mienne à la leur.
Je n’ai jamais pu entrer dans un camp de refugies en dépit de mes nombreuses tentatives. A l’hotel ou je suis descendue à Mae Sot avec mon compagnon, j’aperçois sur la liste des arrivants, le nom de Cyril Payen. Je connais ses exploits avec Grégoire Deniau chez les Hmongs du Laos – il me racontera sa folle virée de 2 semaines de marche dans la jungle – j’ai lu ses articles mais ne l’ai jamais rencontré. Je laisse ma carte à son intention à la réception de l’hôtel. Un peu comme une bouée à la mer, car j’imagine le journaliste très pris avec l’arrivée de Aung San Suu Kyi. Cependant il m’appelle le soir dans ma chambre et m’invite à se joindre à sa table au restaurant où il dîne avec son cameraman et un autre journaliste américain basé à Bangkok. Entre deux bouffées de cigare, ce baroudeur me dit qu’il n’a pas d’accréditation non plus et que c’est très bien comme ça. Oui, mais, il a une carte de journaliste quand même ! Il me fait un tableau rapide de la situation et trouve moyen de me dire : « Marcel Jullian, un des derniers seigneurs de la télévision. J’étais jeune mais je n’oublierai jamais ce qu’il déclarait – probablement à une émission de Bernard Pivot – « la poésie m’a toujours aidé à vivre ». Puis : « je serai demain au camp, vers 5 heures du matin, l’heure où les gardes dorment encore à moitié ».
Moi je ne sais pas comment je vais faire… et de toute évidence, dans ce contexte brouillonesque, c’est chacun pour soi. La veille, avec mille difficultés j’étais parvenue avec mon compagnon thaïlandais à entrer dans les abords du camp pour voir les préparations de la réunion pour le lendemain, près du terrain de football, mais comment imaginer entrer dans le camp avec la folie securitaire qui entoure la venue de celle que tout le monde attend ?
La suite de mon aventure demain…
L’espoir, fragile comme cet oiseau entre les mains d’un jeune réfugié du camp de Maela
* Au début de chaque « essai » micro de nos émissions radio à France Inter, Marcel Jullian récitait ces premières lignes du « bateau ivre » de Rimbaud
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