J’ai toujours été gênée par ce besoin, cette nécessite ou cette faculté à admirer qu’ont certaines personnes ou populations. Adulation pour une idole, un tyran ou un père… les trois peuvent se conjuguer à la même personne. Il y a la fascination que l’on s’impose à soi-même, pour un chanteur ou un acteur par exemple, comme ceux qui vivent dans le culte d’un Johnny Halliday ou d’un Claude François – s’entourant de photos et d’objets les plus kitch – pour moi, ça relève du fétichisme. Il y a des idoles imposées par une propagande forcenée, commençant souvent au berceau, à un âge où l’on accepte tout sans contester. Au point qu’un homme mûr, comme mon « chéri » par exemple, lorsque je lui pose certaines questions – disons gênantes – me répond : « mes lèvres peuvent te répondre « oui » ou « non »… mais mon cœur, lui, est dans l’impossibilité de formuler les mots. Il reste muet. » Je trouve cette réponse aussi pathétique que sincère et émouvante. C’est dire dans quel état de dépendance on peut mettre toute une population pour un personnage. Les images et représentations de Kim Jong Il, dieu vivant, placardées de gré ou de force dans les rues et à l’intérieur des maisons, en sont l’illustration.
Les scènes d’hystérie, orchestrées ou sincères, qui apparaissent à la télévision nord-coréenne, ont été filmées essentiellement à Pyongyang semble-t-il, la ville de l’élite, de la classe possédante et dominante, celle dont les intérêts se confondent avec ceux du régime : cadres, et membres du parti, bénéficiaires à divers titres du système instauré par la famille des Kim. « Ceux qui ne montrèrent pas d’emotion suffisamment spectaculaire à la mort du père en 1994, furent punis et accusés de s’être montrés « déloyal » envers le régime. » lit-on dans « The International Herald Tribune ».
Des millions de Coréens réduits à l’état de marionnettes. Et cette poigne de fer sur tout un peuple dure depuis six décennies. Soixante ans que la famille Kim dirige ce pays et se fait appeler « père ». La propagande étalée sur les murs de la capitale montre des soldats nord-coréens s’agrippant aux « Kim » comme des enfants à leur parent. Pathétique.
R. Myers, de l’université de Dongseo en Corée du Sud, s’est penché sur cette idéologie, cette adulation excessive et non raisonnée propre aux régimes totalitaires et il écrit : « En occident on sous-estime cette forme du culte de la personnalité et l’importance de la loyauté des coréens envers leurs dirigeants. » Mais ces démonstrations ne sont rien à côté de celles manifestées à l’occasion de la mort du précèdent chef d’état, car durant le règne de Kim Jong Il, la famine s’est aggravée et un fossé à commencé a se creuser entre les possédants et proches du pouvoir vivant à Pyongyang et les misérables mourant de faim dans les provinces.
Je suis violemment contre toute forme de culte de la personnalité ou de l’image, jamais innocente, véhiculant des idées ou des symboles (le père travaille pour vous, le père transpire pour vous, le père est fatigué de consacrer tout son temps à ses enfants). Je n’ai jamais punaisé dans ma chambre les photos de Mick Jagger, de James Dean ou du Che Guevara. Je n’ai pas pleuré à la mort de Janis Joplin ou à celle de Jimmy Hendricks. Si je me suis agenouillée devant des idoles, dans ma prime jeunesse, c’était avant que je ne commence à réfléchir par moi-même. Et puis surtout, je ne supporte pas que l’on m’impose une façon de « prêt à penser », qu’elle vienne du haut, ou du bas, des soi-disant élites ou de la rue.
J’ai approché quelques idoles de très près, et pas des moindres (politiques ou du show-biz) et je n’ai eu de cesse de trouver leur fêlure, pour ne pas tomber dans l’admiration primaire. Je regrette de ne pas avoir pris de notes à cette époque (pour la justesse du trait, ma mémoire les rendrait moins piquantes aujourd’hui), mais j’ai toujours trouvé la faille dans l’armure, le talon d’Achille dans la perfection. J’avais besoin de dénicher ces faiblesses des grands… ça me rassurait. Les peuples qui adorent sans condition, adulent sans raison, rendent un culte sans question envers qui que ce soit, sont-ils donc si confiants, n’ont-ils donc pas besoin de se sentir rassurés en remettant leur adoration en question ? (à moins qu’on ne les ait « formatés » à la naissance bien sûr). On pourrait en discuter pendant des heures, car il existe tellement d’autres formes d’asservissement (la publicité à la télévision par exemple… mais ceci est une autre histoire)
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