L’exposition à la Galerie In Situ du couple Joana Hadjithomas / Khalil Joreige est d’abord l’occasion de voir la continuité de leur travail récent sur les Images Latentes>, images invisibles sur une guerre impossible à conter, corpus d’images non développées, et dont on ne peut avoir qu’une description textuelle sommaire, des mots au lieu des images, seul vecteur possible de l’horreur.
On pense bien sûr au Rwanda Project d’Alfredo Jaar qui, lui non plus, ne peut (ne veut) montrer les photos du génocide et se contente d’exposer les boîtes qui les contiennent.
Mais ici, au prix de la fiction du photographe Abdallah Farah, les images, non développées, n’existent pas, restent latentes et non pas dissimulées, et l’impact n’en est que plus fort. Un livre d’artistes reprend ces textes, préfacé par Pierre Ménard (l’auteur du Quichotte), bien sûr.
C’est aussi l’occasion de voir à Paris la séries Faces, affiches délavées de visages de martyrs, images emblèmes en voie de disparition, que j’avais vue à Sharjah. Une série plus récente, Two suns in a sunset, consiste en montages et surimpressions de vues de Beyrouth, prises d’endroits proches à des moments différents. L’image est floue, incertaine, déroutante, incohérente : encore une impossibilité de saisir le réel, de cerner l’histoire.
Il faut aussi écouter la longue vidéo ‘Aïda Sauve-moi’, une lecture-performance qu’ils donnèrent à Schaerbeck (où Aïda se nommait Amale) et qui, au prétexte d’un incident rocambolesque à propos de leur film A perfect day, est une excellente introduction à leur travail. Mais il y a aussi des travaux plus anciens, que j’ai découverts ici. Les équivalences, photographies d’immeubles en ruine, font perdre tout repère, s’attachant à des éléments de ruine mis en scène comme des sculptures, impossibles à appréhender dans la réalité et devenus de purs objets formels : ainsi de ce crochet de métal sur un fond de couleurs délabrées.
La série des Bestiaires reprend des morceaux de réverbères tordus par les bombes: on peut y voir des formes animales, cobra, hippopotame, lapin ou éléphant, une manière familière d’apprivoiser ces traces de mort. Mais le hasard qui a présidé à ces déformations, hasard d’un missile israélien ou d’une rafale milicienne, a créé ainsi des sculptures involontaires quasi surréalistes elles aussi. A leur propos, les artistes citent Mahmoud Darwich “La forme d’une forme qui n’a pas de forme”. Il faut poursuivre la citation : “parce que l’avenir reste indécis, parce que la certitude y est passagère, parce que la durée y est provisoire”. Si on doit se retirer de la représentation impossible du réel, c’est en abolissant l’image, en oubliant la forme, en tentant d’arriver à son essence même, à sa latence inexprimée.
Photos courtoisie de la galerie.