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Des flamands très roses

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La porte de sortie d’une visite est souvent ouverte par un chauffeur de taxi. Il faisait aussi froid ce matin à Perpignan qu’il y a quinze jours à Syracuse. C’est peut être le deuil de la défaite de l’équipe de rugby catalane contre les Toulousains hier soir qui est responsable de cette étrange atmosphère et de cette inversion climatique Nord-Sud. Ces grands baraqués qui ont logé dans le même hôtel golf que nous, se sont affrontés à la fin d’une journée flamboyante et les grands frères de la montagne ont battu les petits frères de la mer. Grands et petits, parfois dans les deux sens, en échangeant les rôles, le combat est éternel. Mon grand père invitait ses cousins, des Hautes Pyrénées aux Pyrénées orientales lorsque les affrontements avaient lieu dans les années cinquante dans le cadre du stade olympique de Colombes, où nous habitions. Je m’en souviens. Les accents se mélangeaient pour mon plus grand étonnement de Francilien.

Le taxi longe la mer. Nous parlons rugby bien entendu – le chauffeur est encore sous le coup de l’émotion – et il me demande si on joue au rugby dans mon pays. Je lui parle de la victoire de « nos » champions cyclistes pour donner une image plus valorisante du Grand-Duché. Voilà, que je deviens chauvin. Heureusement je peux célébrer avec lui la victoire de l’équipe de France sur celle du Luxembourg. Une consolation !

Le train lui aussi longe la mer. La surface maritime est également triste, saisie sous une pluie fine, malgré le nom évocateur des arrêts : Rivesaltes, Port la Nouvelle, Agde, Narbonne, Béziers… Comme un deuil un peu doux. Le ciel est descendu très bas, au point de gentiment caresser la surface des étangs. Les oiseaux, si joyeux et si nombreux dans les obliques du couchant, avant hier, quand je suis arrivé, ont du trouver abri dans les jonquières.

Des flamands roses de timidité ! Seules les mouettes gardent le goût du vol. Une situation de conte de fées, en fait. Je ne vais pas me plaindre de la somptuosité d’une vision qui n’a que deux jours : hérons lourds, comme des avions de reconnaissance au-dessus des flamands perchés, penchés sur les carapaces favorites des limicoles. J’ai apprécié, voire goûté la beauté et le symbole.

Mais ce matin, il n’y a que moi pour penser croiser des souvenirs. Mes compagnons de train ont pris leur vélo, leur sac à dos et des casques musicaux qui les isolent du monde. Ils vont parcourir les plages, s’entraîner sur des chemins de traverse. Ils descendront avant moi puisque je remonte vers la vallée du Rhône.

Je regarde la Méditerranée, comme je l’ai regardée au large de l’Afrique, sur la côte adriatique et en la survolant depuis Rome ces dernières semaines. C’est la même. Et je reste bien entendu dans l’attente qu’elle soit bleue. Mais finalement le gris métallique me va bien aussi.

J’ai partagé une fois de plus la Méditerranée comme perspective au cours d’une journée de réunion. En discours. En une série de discours d’intention souvent redondants. Et j’ai ajouté le mien à ce concert unanime. Rien de grave donc. Juste un peu de frustration, car je voudrais commencer à écrire : « Il était une fois la Méditerranée ». Et en effet ce serait salvateur. Mais je vais revenir bientôt sur les écrivains voyageurs…

Nous avons certes parlé des aspects communs, des racines communes, des stratégies communes. Mais j’ai tellement besoin de comprendre. De me déplacer et de regarder toutes les côtes, toutes les îles dans l’ordre alphabétique s’il le faut !

Aujourd’hui Sciascia et Pirandello m’accompagnent, dans le silence admiratif de Vincenzo Consolo. J’ai lu Sciascia la semaine passée, dans la subtilité du « Jour de la chouette. Je vais chercher les autres ouvrages. Et Pirandello, Leopardi ?

A propos de la jarre, en dialecte sicilien, Pirandello est ainsi commenté : « ‘A giarra est une comédie apollinienne et ergoteuse, de la saison de l’huile qui donne de la saveur – et du savoir – et qui donne de la lumière. L’olivier sarrasin, un olivier du Chaos, imaginé, rêvé, réapparaîtra in limine, dans la nuit qui précède la mort, sur la scène de la scène, en un troisième acte jamais écrit, pour tenir un rideau-linceul devant lequel on jouera la dernière fable. L’arbre à la forme tourmentée, à la forme de l’agonie, d’où l’âme aspire à sortir, à se consumer en brûlant, comme l’huile dans une lampe, apparaîtra : pour revenir, en s’annihilant, dans la nudité, dans la vérité, dans le flux infini. »

Je me retourne aussi vers l’arbre sacré. Je replace une fois de plus Consolo sur un piédestal, traîné avec moi dans un fond de valise. Et ainsi le cycle méditerranéen va recommencer.

Vincenzo Consolo. De ce côté du phare. Voyages en Sicile. Le Seuil, 2005.

Photo : Île de Favignana, Italie.

 

 

 

Michel Thomas-Penette

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