Vivre en Chine et découvrir de l’intérieur les différences culturelles très importantes entre les Français et les Chinois sur les question d’expression.
Une anecdote rapportée dans les entretiens de F. Jullien et T. Marchaisse et une traduction écoutée avec attention me renvoient beaucoup d’images. Jullien explique que, lors de son premier séjour en Chine en 76-77, les étudiants pouvaient voyager en groupe organisé sous bonne escorte et suivre le programme alléchant qui comportait la visite de quelques musées passionnants dédiés à la Révolution.
Cet épisode me renvoie à de nombreuses situations où une certaine subtilité doit jouer dans les interactions. Souvent, en Chine et encore plus à Taïwan selon mes années d’expérience, on rencontre ce souci d’éviter l’affrontement direct, certains vous diront de ne pas froisser ou de sauvegarder la face de l’autre. Je me souviens dans les années 80 à Taipei de mes années d’étudiant où j’avais des petits boulos et lorsque selon l’employeur je ne pouvais faire l’affaire, on ne me disait jamais « non » mais on me faisait comprendre de manière douce et élégante que je n’avais pas assez de compétence. Un jour, je m’étais présenté pour être interprète sur un salon de la chaussure alors que même si je me débrouillais bien dans le chinois de tous les jours, je n’avais pas atteint une maîtrise dans « la négociation de la chaussure ». La gentille chef d’entreprise conclut l’affaire en m’expliquant qu’on me contacterait dans la semaine et qu’on cherchait un expert de la chaussure. Petit Français que j’étais, comme Julien, parfois j’avais envie d’un rapport plus direct et la semaine suivante, je la rappelai cruellement pour lui faire cracher son « non » et j’échouai.
En d’autres occasions, les termes employés ou les phrases viennent alléger le discours ou la réalité. Je m’éloigne un peu des propos des lignes précédentes mais je crois que sans faire de rapprochements hasardeux, l’expérience de lundi soir est intéressante. Profitant de quelques jours sans voyage, j’ai assisté à une conférence à Pékin donnée par un Français, Gérard Henry, qui venait parler de son ouvrage sur Hong Kong. Une interprète traduisait pour les nombreux Chinois. La traduction coupe souvent le rythme et ralentit des exposés parfois fort captivants. Quand je suis assez éveillé, je suis la traduction et m’amuse à comparer le français et le chinois et écoute comment l’interprète se sort de certaines difficultés. L’auteur, à un moment, parla des mouvements artistiques du continent et de Hong Kong. Afin d’éviter tout malentendu, après la traduction de sa description, il reprit la parole en disant qu’il ne pensait pas que la peinture de Chine était plus faible que celle de Hong Kong mais qu’en raison de l’histoire et des mouvements politiques, elles étaient différentes. J’attendais la jeune Chinoise pour voir comment elle allait traduire ce « faible » ; elle l’a rendu de manière très élégante en sortant « Je ne dis pas qui est haut ou qui est bas – littéralement, 我不说谁是高谁是底 », en d’autres termes, « Je ne les compare pas ». Bien entendu, il existe d’autres manières de traduire cette phrase de G. Henry. Le point à relever : l’interprète spontanément a gommé cette notion de faible car même si l’auteur fait une légère mise au point, on pourrait retenir le mot faible associé à la peinture chinoise et laisser encore planer le malentendu.
Quand on aborde la Chine, on a souvent tendance à réagir sans réfléchir devant des comportements qui nous laissent perplexes par leurs différences au lieu d’essayer de se taire, de regarder sans juger pour essayer dans un premier temps de comprendre de l’intérieur. J’ai écouté souvent des remarques sur les Chinois, “Ils ne disent pas ce qu’ils pensent, ils sont hypocrites”, etc. En fait, il faut d’abord comprendre leur mode d’expression et leur code, ensuite on réalisera que ce n’est pas le cas.
PS : Une phrase à méditer, souvent entendue en Chine « Les Français sont comme des enfants, ils disent facilement ce qu’ils pensent. »
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