Christopher Marlowe est né à Canterbury d’un père cordonnier, en 1564, la même année que Shakespeare. A l’image de son temps, une époque dont la vision du monde change radicalement, Marlowe, à travers ses pièces et à travers le peu que l’on sait d’une vie trop brève (il meurt à vingt-neuf ans), Marlowe, donc, apparaît comme un génie fulgurant, un érudit débauché, homosexuel et athée. (voir l’original)
Christopher, avec sa personnalité tourmentée, est buveur, homme de taverne comme le chante Aragon, mais aussi intrigant de la cour d’Elisabeth, et bien plus homme de toutes les passions, des livres et de la chair…
Il est cet homme du XVIe siècle qui ne craint plus le bûcher de l’Eglise, qui sait que la Terre tourne autour du Soleil, qui aspire, au-delà de toutes les contradictions, à la Connaissance, dont l’école est le plaisir, perversion et amour de la beauté à la fois.
Seulement, Marlowe a trop conscience, et de la force des Grands, et de la roue de la Fortune, pour ne pas être un révolté, en marge, au-delà même de son cynisme.
Edouard II n’est pas une pièce sur l’homosexualité. Une telle notion, à supposer qu’elle ait un sens aujourd’hui, n’en a aucun par rapport aux valeurs de l’époque élisabéthaine.
Ce qui est vrai, c’est qu’Edouard, roi d’Angleterre entre 1307 et 1327, a aimé Gaveston, roturier, étranger, et efféminé.
La pièce ne raconte pas seulement le drame de cette passion homosexuelle impossible, entre Edouard et Gaveston, mais aussi les conflits qu’elle a déchaînés entre les autres personnages. Par exemple, Isabelle, la Reine, qui ne trouvant plus de répondant chez Edouard, se reporte sur Mortimer, et l’amène à accepter la mort de son époux.
Les barons s’opposent à cette passion entre les deux hommes et Mortimer en tête qui déclare : «Ce ne sont pas ses mœurs légères qui me peinent.» [acte I, scène 4] Alors quoi ?
L’état de mignon du roi est une donnée brute, brutale de l’intrigue. Il semble qu’on n’y puisse rien reconnaître du « sexe » ni de la « nature » au sens où notre époque croit les comprendre.
Les barons sont outrés mais non choqués, parce qu’il y va de l’honneur et de l’argent. La question de l’homosexualité est sans aucun doute secondaire. Ce n’est pas à cause d’elle que le roi est sanctionné mais parce que sa passion l’amène à délaisser ses responsabilités. Peu importe qu’il couche avec Gaveston, la chose était d’ailleurs assez traditionnelle, mais ce que les barons n’acceptent pas c’est qu’on les spolie et qu’on les déshonore en distribuant les plus hauts titres du royaume à un parvenu.
Edouard II apparaît alors comme l’état d’une passion, comprise aujourd’hui dans ses moments de fulgurance, d’une violence inouïe, qui pervertit allègrement les symboles (ceux de l’armée, de la noblesse, de la religion, de la virilité…) et les rouages du Pouvoir.
Tous les personnages sont entraînés par l’amour fou d’Edouard pour Gaveston. Isabelle, la reine qui, déchirée dans son désir contrarié d’un roi qui la rejette, s’écrie : «Je ne veux pas d’autres bijoux autour de mon cou que ces bras, Majesté.» [acte I, scène 4], puis cède aux plans de Mortimer bien vite, quant à lui, séduit par le Pouvoir qui est goût du sang.
Comment ne pas être séduit et troublé par la tragédie d’un roi blessé qui aima jusqu’à la mort son mignon, la catin grecque [acte II, scène 5] des barons ?
■ Editions Gallimard, Collection Le Manteau d’Arlequin, 1996, ISBN : 2070746453
Lire sur le net, la pièce Edouard II dans une traduction moderne de Claire Duvivier
Lire un extrait de cette pièce sur ce blog