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En Afrique, les habitants de l’île d’Idjwi trouvent que la paix les a oubliés.

paysage ile idjwi

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Au coeur de l’Afrique, l’île d’Idjwi est un havre de paix dans un univers de guerre. Une malédiction pour sa population qui végète au jour le jour. 

embarcations ile idjwy

Kibuye, Rwanda. Juillet 1994 – La route rouge longe le lac Kivu et serpente entre les collines vides. Dans le pays le plus densément peuplé d’Afrique, les villages et les champs sont désertés. La guerre, le génocide et l’exode ont anéanti des centaines de milliers de personnes en l’espace de trois mois. Elles sont maintenant au ciel, en enfer ou en exil. 

Le paysage ignore tout de cet ignoble charnier. La voiture cahote et zigzague à travers de la beauté. Le chauffeur chantonne au gré de la cassette qui pépie de la musique congolaise.

carte ile idjwi

Je suis content d’être parti de Kigali, la capitale du Rwanda. Ici, au moins, l’air ne pue pas la mort. Il sent plutôt  la désolation et l’humus. Ça me change, c’est agréable de sentir la vie plutôt que de renifler les effluves des cadavres de la capitale.

Le lac scintille, encerclé par des eucalyptus envahis de bougainvilliers. Des fumées flottent sur une grande langue de terre marron et verte, sertie par le bleu vif du Kivu. Qu’est-ce que c’est ? Le chauffeur hausse les épaules, baisse le son : « C’est l’île d’Idjwi, elle est de l’autre côté de la frontière. Ici, on dit qu’elle est peuplée de sorcières qui vivent dans la forêt et de mauvais hommes qui viennent te tuer pendant que tu dors. Pourquoi ? Je ne sais pas. Et je n’ai pas envie de le savoir ». Il remet la musique.

Au cœur de l’Afrique, l’île d’Idjwi est la deuxième plus grande île du continent. Entre 1994 et 1996, elle accueille près de 40,000 réfugiés hutus en provenance de la province de Kibuye. Les habitants se plaignent. Les réfugiés coupent les arbres, rackettent les paysans pour se nourrir. Les organisations humanitaires s’occupent des réfugiés mais négligent les locaux. Ensuite, les réfugiés rentrent au Rwanda et l’île peut enfin goûter aux joies de la paix.

Et retomber dans l’oubli le plus total.

De nos jours. L’île d’Idjwi est un havre de paix dans un grand territoire miné par les conflits depuis 1994. Les eaux du lac Kivu la protègent. À défaut d’être expert, on s’y perd dans le pourquoi, le comment et le jusqu’à quand. Le Congo (RDC) est un vaste souk et le Rwanda qui lorgne sur ses richesses minières en profite, déstabilise les provinces du Kivu, arme des milices et des bandits. On ne sait plus qui est qui, et qui combat qui. Quatre millions de morts, des centaines de milliers de personnes déplacées, selon l’ONU. Pillages, viols, rackets, disparitions, exécutions sommaires sont souvent perpétrés par une soldatesque en guenilles ou par des guerriers Maï-Maï qui sèment la terreur. Ceux-ci s’aspergent parfois d’une potion magique censée faire couler les balles le long de leur corps. 

La paix fait paradoxalement le malheur de l’île, tout comme le pétrole peut faire le malheur des pays concernés. Personne ne s’intéresse à Idjwi et ses 220’000 habitants vivent dans une pauvreté crasse. 

Pensez donc. Déjà, on ne s’intéresse pas beaucoup aux victimes d’un conflit qui ici, dans la région des Grands Lacs, s’éternise depuis dix-huit ans et qui a provoqué plus de morts que les guerres du Vietnam, d’Iran/Irak ou du Golfe réunies. C’est en Afrique, alors ça semble perdu d’avance. Les priorités s’étiolent à mesure que l’on s’éloigne des périphéries de nos chancelleries, de nos mauvaises consciences et de nos intérêts occidentaux. Le vieil adage est toujours dans le vent : La Corrèze avant le Zambèze. Si, en plus, on devait s’occuper d’une île qui « a le bonheur » de vivre en paix au cœur du chaudron africain ! …Tsss…il ne faut pas rêver.

Toutefois, la question demeure : une victime paisible est-elle moins importante qu’une victime de la guerre ?

paysage ile idjwi

Quand on effectue quelques recherches sur l’île d’Idjwi, le mot « oubli » revient sans cesse. Les sites de la Province de Kivu ou des quelques organisations humanitaires de seconde ou de troisième zone, geignent sur le fait que l’île d’Idjwi et ses habitants sont les souffre-douleurs silencieux d’une guerre qui les a épargnés.  Idjwi : l’île oubliée.

Mais pourquoi diable les habitants de cette île de paix sont-ils si martyrs et vulnérables? Pourquoi toujours aller quémander l’aide internationale? Pourquoi ne pas essayer de se débrouiller seuls, en quasi autarcie, au lieu de sempiternellement zieuter l’assistance extérieure, laquelle est trop sollicitée et fatiguée de donner en ces temps de disette ? Ils sont en paix, qu’ils en profitent!?

Une partie de la réponse provient d’un récent rapport effectué par la Harvard Humanitarian Initiative (en anglais). L’île est pauvre, trop sous-développée pour s’en sortir toute seule. Le taux d’alphabétisation y est lamentable, les enfants ne vont pas à l’école faute de locaux et d’instituteurs sous-payés, l’accès à l’eau potable est quasiment nul, la malnutrition rampe. Surtout, le pouvoir central de Kinshasa la délaisse totalement.

enfants sur l'ile idjwi

Les enfants ne vont pas souvent à l’école. (Photo tirée du site Idjwi Education Project qui veut uniquement réhabiliter une école primaire)

Il y aurait à faire, mais la paix se vend mal.

Et les « victimes » n’y sont pas toutes gentilles. Les femmes y subissent des violences conjugales aussi régulièrement que s’abattent les averses équatoriales. Toutes les femmes pygmées affirment ainsi qu’elles ont été violées une ou deux fois dans leur vie par l’ethnie majoritaire. En quarante ans, l’île n’a jamais été aidée à long terme par des organisations internationales autres que les Eglises protestante ou catholique, et encore moins par les strates du pouvoir congolais. Dans ces conditions, la population vit au jour le jour en espérant que demain sera meilleur, mais sans se secouer le popotin pour que cela arrive.  

À quelques encablures d’Idjwi, autour de Bukavu ou de Goma, près de 80 organisations humanitaires aident aujourd’hui les proies de la guerre. Mais aucune ne se préoccupe de celles d’Idjwi. 

Tous les matins, elles se réveillent dans un des plus beaux panoramas du monde. Un lac magnifique, un ciel serein, un volcan majestueux qui explose de temps en temps, une verdure enchanteresse, un climat parfait. Bon, d’accord, il y aussi des sorcières, des mauvais hommes et des femmes battues, mais on peut faire avec. Mais les résignés d’Idjwi ne réalisent pas qu’ils vivent au paradis terrestre, un pied dans la guerre, l’autre dans la paix.

Mais le pied dans la paix fait toute la différence. 

Damien Personnaz

Damien Personnaz

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