Il appartenait à la Nouvelle Vague mais il restait inclassable. Eric Rohmer, qui vient de nous quitter, était le marivaux du 7e Art, quelqu’un chez lequel l’intelligence avait pris le pouvoir sur le sentiment et l’énoncé du verbe sur l’image.
Aux Cahiers du Cinéma dont il fut le rédacteur en chef de 1957 à 1963, Rohmer partageait avec Doniol-Valcroze et Pierre Kast un goût proche pour le marivaudage cinématographique. Tous trois nés en 1920 étaient les aînés des jeunes turcs : Rivette, Chabrol, Godard et Truffaut nés entre 1928 et 1932. En tant que critique, Rohmer allait s’attacher à réfléchir à la nature de l’imaginaire cinématographique et au cinéma comme art de l’espace. Une fois derrière la caméra, il placera néanmoins la parole au coeur de son oeuvre et fera de celle-ci un long journal intime, journal d’un séducteur toujours repris par le démon de la fidélité.
Admirateur de Hitchcock sur lequel il écrira un ouvrage avec Chabrol en 1957, de Hawks, de Rossellini, de Renoir et de Mizoguchi, il sera un défenseur du cinéma classique et un opposant de fait au cinéma moderne. Convaincu que la Grèce est le berceau et le centre de la civilisation mondiale, nous proposant un modèle de beauté insurpassable, il voit en Hollywood ce que la Renaissance italienne fut au monde des arts. Passionné de pédagogie, Rohmer travaillera pour la télévision scolaire de 1964 à 69, réalisant des émissions sur la littérature, l’urbanisme et l’architecture, ainsi qu’un documentaire sur les films Lumière, sous forme de conversation entre Henri Langlois et Jean Renoir.
Son oeuvre composée, pour l’essentiel, de séries avec Les six contes moraux ( 1962-1972 ), Les comédies et proverbes ( six films de 1981 à 1987 ), Les contes des quatre saisons ( 1990 – 1998 ) fait de la conversation ordinaire ou érudite ( Ma nuit chez Maud – 1969 ), l’enjeu narratif de ses films. Les dialogues d’une grande pureté littéraire révèlent à eux seuls un authentique talent d’écrivain au point que leur lecture provoque déjà un réel plaisir. Ce cinéma de la parole entrepris avec des moyens minimalistes explore la relation entre un texte épuré et des images étincelantes et aborde à l’écran des sujets peu habituels : la religion catholique, le puritarisme, le pari de Pascal, sans pour autant verser dans une quelconque affectation.
Ce cinéma est, par ailleurs, celui de la tentation ( L’amour l’après-midi, Le genou de Claire ), du renoncement, du passage à l’acte attendu et non accompli par fidélité à des valeurs, à un code moral, à une conviction spirituelle. Contrairement à ses amis de la Nouvelle Vague, il connaîtra le succès tardivement grâce à Ma nuit chez Maud( 1969 ), son film le plus accompli avec Jean-Louis Trintignant et Françoise Fabian. Il se consacrera, plus tard, à des recherches picturales innovantes avec des films comme Perceval le Gallois ( 1978 ), La marquise d’O ( 1976 ) ou L’anglaise et le duc ( 2001 ).
Proche de Bresson de par son goût de l’épure et de la pureté, il s’en éloigne par son attirance prononcée pour les beautés de la chair, l’éclat du corps de jeunes filles ravissantes et une certaine perversité maîtrisée. A la façon d’un Henry James, il fait du non-dit, de l’implicite, du malentendu, la dramaturgie de ses films. Dans le cinéma français, il tient une place à part, celle d’un cinéaste chez lequel l’intelligence a pris le pouvoir sur le sentiment et l’énoncé du verbe sur l’image.
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