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L’Espagne vue par les écrivains : histoires d’Ibères

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Denis nous convie à un voyage en péninsule ibérique à la rencontre d’auteurs espagnols qui apportent un autre regard sur l’Espagne d’aujourd’hui et d’hier, surtout après la disparition du franquisme. Coup de projecteur sur Elia Barcelo, Antonio Sole, Manuel de Prada… Des lectures instructives et intéressantes.

Quittons l’Italie et, d’un coup d’aile, traversons la Méditerranée pour atterrir en Espagne où la littérature a littéralement explosé depuis la disparition du franquisme, livrant une pléthore d’œuvres toutes plus intéressantes les unes que les autres et il nous faudra bien effectuer deux séjours dans ce pays pour apercevoir une infime parcelle de cette richesse littéraire.

Nous réserverons cette première étape à la jeune génération qui a commencé à publier après la mort de Franco et pour débuter à Elia Barcelo qui nous propose un petit roman construit avec une très grand habilité pour nous perdre dans les méandres du temps. Notre deuxième visite sera réservée à Antonio Soler auteur d’un roman fascinant qui entraîne le lecteur dans les dédales du vice. La dernière visite sera pour Manuel de Prada et son roman fleuve qu’il a publié à vint cinq ans, à peine, et qui pourrait annoncer un très grand écrivain … mais pour cela il faut renouveler l’exploit plusieurs fois. Pour nous guider au sein de cette foule d’écrivains talentueux, nous avons choisi Manuel De Lope auteur lui aussi d’un livre à la construction assez complexe qui ravira les amateurs d’histoires écrites entre les lignes.

LIRE DANS LA PENINSULE IBERIQUE

Une complicité

Manuel De Lope (1949 – …)

Restons complices de cette histoire que Manuel De Lope esquisse, plus qu’il écrit, dans un long cheminement, presque aussi long que la lecture de son récit, depuis le viol de Maria Antonia, très jeune fille qui vivait alors dans une taverne sur les bords de la Bidassoa, au moment où « cette guerre qui commençait sans savoir que c’était vraiment une guerre », jusques à l’arrivée, plusieurs décennies plus tard, de Manuel Goitia dans la maison de Maria Antonia qu’elle partagea avec Isabel, la grand-mère de Manuel. Isabel qui eut le malheur d’épouser cette même année, 1936, un militaire qui choisit le mauvais camp et mourut, fusillé par les vainqueurs, quelques mois après son mariage laissant sa femme éplorée et enceinte. Maria Antonia après avoir subi ce viol quitta sa maison pour rejoindre un protecteur attentionné qui lui demanda de venir servir Isabel isolée dans sa maison en bord de mer après le décès de son mari.

L’histoire, le destin, réunit ces deux femmes qui font partie des dégâts collatéraux de cette guerre fratricide et aveugle qui assassine et martyrise les innocents, laissant Maria Antonia violée et Isabel veuve, mettre leur malheur en commun pour construire une autre vie que l’auteur ne nous contera pas mais que nous pourrons imaginer après le récit du séjour de Manuel chez Maria Antonia pour préparer ses examens, plusieurs décennies plus tard, quand Isabel est décédée et Maria Antonia est devenue une vieille femme renfermée. Sous le regard du Docteur Castro, le voisin des deux femmes depuis toujours, l’histoire se dessine, s’esquisse, et on pourrait reconstituer la vie de ces deux femmes avec Veronica la mère de Manuel partie vivre à la ville.

Ce récit tout en allusions, suggestions, détails anodins mais explicites, nuances, couleurs, odeurs, et sons, s’il effleure l’histoire que ces deux femmes auraient pu vivre, raconte surtout la généalogie de Miguel telle que le voisin l’a vue se construire. Certes ce récit est d’une grande finesse mais il ressemble un peu trop à un exercice de style tant il fait devoir appliqué et studieux d’un premier de la classe qui veux épater son professeur. Le récit est lent et répétitif, l’intrigue est éventée et prévisible dès le début. Elle n’est d’ailleurs pas l’élément central du récit mais seulement le prétexte à une narration studieuse et étudiées sur la fatalité, les aléas de la vie que les hommes, en la circonstance plutôt les femmes, ne maîtrisent pas et surtout sur la façon dont deux être malmenés par le sort arrivent à construire un possible en mélangeant deux vies devenues impossibles dans une complicité nouée à huis clos et partagée avec le seul témoin nécessaire, le voisin docteur protagoniste passif. Une vie où « la quantité nécessaire de dissimulation et de mensonge pour que le dommage que la vie avait infligé à ces deux femmes soit d’une certaine façon compensé. »

Ce texte est aussi un message d’espoir pour tous ceux qui doivent faire face à l’injustice du sort mais qui peuvent toujours espérer voir un coin de ciel bleu dans leur avenir. Et aussi, peut-être, une réflexion sur la vérité qu’il n’est pas toujours nécessaire de connaître pour construire un avenir serein, rempli d’espoir.

Le secret de l’orfèvre de Elia Barcelo  ( 1957 – … )

Voilà encore une belle démonstration qui prouve avec talent que la quantité n’est pas forcément nécessaire à la qualité. En effet, ce petit livre, tout petit même, nous entraîne dans un voyage sur les pas d’un jeune ibérique devenu orfèvre de renom à New York qui, passant par son village natal, entreprend sans le savoir, a priori, un voyage dans le temps plein de surprises et de révélations. En prenant le train pour rejoindre l’avion qui le conduira en Amérique, il ne peut résister à l’envie de redécouvrir le village qui l’a vu naître, il y a bien longtemps déjà. Mais, à son réveil, il découvre avec surprise qu’il est maintenant en 1952 et qu’il vit dans son village natal comme il était à cette époque là alors que lui est désormais en 1999. Ainsi, Elia nous entraîne avec habilité, finesse et malice dans un jeu de piste où l’un va essayer de conjuguer l’avenir de l’autre avec son passé et en reconquérant la femme qui l’a initié aux plaisirs de l’amour quand il était un jeune homme encore naïf. Mais l’histoire, même quand on mélange les temps avec la plus grande adresse, est bien difficile à réinterpréter et réserve parfois bien des surprises

Les héros de la frontière de Antonio Soler  ( 1956 – … )

Une histoire qui pourrait être sordide mais que l’auteur à su rendre plutôt truculente malgré l’ambiance dans la quelle elle se déroule et malgré les événements qu’elle comporte. Un misérable qui a échoué dans un quartier populaire d’une ville espagnole fait la lecture du journal à l’aveugle du coin qui lui raconte comment, depuis sa chambre, il partage les ébats amoureux de la voisine et de son brutal mari. Il devient ainsi le témoin d’un acte criminel qui lui permet de faire chanter la belle dont il est tombé amoureux, et c’est au tour du lecteur de journal de se faire voyeur et maître chanteur jusqu’à l’éclatement du drame. Un sujet scabreux mais un roman passionnant et très habilement construit.

Les masques du héros de Juan Manuel Prada  ( 1971 – … )

Un roman fleuve dont l’intrigue se déroule dans les milieux littéraires de Madrid, dans le premier tiers du XX° siècle, où l’on peut croiser Bunuel, Dali, Garcia Lorca, Borges, Gomez De la Serna, … qui se mêlent aux personnages fictifs inventés par de Prada. Le héros, fils d’un homme déchiré par la mort prématurée de sa femme et qui laisse sa fortune s’évanouir, se réfugie dans le milieu des artistes madrilènes où il rencontre une faune baroque et déjantée qui va l’entraîner dans des aventures rocambolesques où l’auteur va laisser libre cours à son imagination débordante pour mettre en scène la rivalité qui oppose un poète doué mais miséreux à un arriviste qui rêve de faire carrière dans la littérature quitte à utiliser les méthodes les moins recommandables. Un gros, un grand roman, foisonnant de créativité et de personnages tous plus étonnants le uns que les autres, une véritable immersion dans un monde à la limite du fantastique.

Encore un peu de sangria

Deuxième séjour en Espagne pour découvrir d‘autres auteurs un peu méconnus, certainement, comme Ramon Chao, le père de Manu Chao qui est peut-être plus connu que son géniteur, que j’ai situé ici parce qu’il est né en Galice au moment de la montée du franquisme avant d’émigrer en France et de nous raconter le voyage de la Mano Negra en Colombie. C’est surtout cette expérience que je voulais mettre en exergue. Je vous parlerai aussi de Carmen Laforet une Catalane de naissance qui a grandi sur les îles et de Manuel Rivas qui nous emmène au pays de Ramon Chao pour nous raconter une histoire liée aux exactions de la dictature. J’ai conscience d’avoir laissé de côté de grands auteurs comme le Prix Nobel de littérature, Camilo José Cela, ou Miguel Delibes, Juan Goytisolo et beaucoup de jeunes écrivains qui mériteraient une place dans cette présentation mais je reviendrai un jour vous reparler de la littérature espagnole car elle mérite, sans conteste possible, le détour. Comme le prouve ce jeune auteur que j’ai choisi pour nous accompagner dans cette seconde étape ibérique. Je n’ai pas pu résister au plaisir de vous parler de Carlos Ruiz Zafon et de son premier roman qui m’a complètement emballé, même si je n’ai pas pour principe de vanter les livres qui envahissent les rayons de librairies et que tout le monde a lu.

L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon  ( 1964 – … )

Je ne me souviens pas d’avoir dévoré un livre avec une telle voracité, je me suis jeté dessus comme un affamé. «Avant même d’avoir pu m’en rendre compte, je me retrouvai dedans, sans espoir de retour.» Et, pourtant ce roman n’est sans doute pas le meilleur que j’ai lu mais il a un côté si fascinant et l’auteur à un tel talent pour empêcher le lecteur de poser ce livre qu’il est difficile de ménager quelques pauses pour s’alimenter avant d’en avoir avalé les cinq cent vingt cinq pages.

Tout au long de cette lecture, j’ai pensé à Pascal Mercier et à son «Train de nuit pour Lisbonne», le héros de Ruiz Zafon, comme celui de Mercier, découvre, par hasard, un livre qui va complètement chambouler sa vie et même celle de son entourage. Un bouquiniste de Barcelone fait découvrir, à son fils, le cimetière des livres perdus et lui demande, selon la tradition, de choisir un livre dont il aura le plus grand soin. Le héros de Mercier avait lui trouvé un livre par hasard chez un autre bouquiniste, à Berne, qui lui en avait fait cadeau.

Après avoir lu ce roman d’une traite, Daniel, le fils du bouquiniste, veut absolument en connaître l’auteur et la vie qu’il a eue comme le héros de Mercier veut lui aussi partir pour Lisbonne à la rencontre de l’auteur de son livre. Daniel va alors, pas à pas, après moult aventures, péripéties, arias et autres dangers, reconstituer la vie de celui qui a écrit le livre qu’il admire tant et constater que cette vie est étrangement semblable à la sienne. Et si Mercier profite de l’intrigue qu’il a construite pour s’interroger sur la nature profonde de l’homme, celle que nous ne pouvons pas percevoir, Ruiz Zafon s’évertue lui à bâtir un édifice romanesque d’une grande virtuosité où il faut bien suivre les personnages pour ne pas se tromper entre les deux histoires parallèles qu’il nous livre. Mais, les parallèles ne se rejoignent qu’à l’infini et il n’est pas certain que le maître nous conduise jusque là bas.

Si ce livre est d’une grande virtuosité romanesque c’est aussi, et peut-être avant tout, un formidable de livre sur l’amour et la haine mais surtout sur la haine. J’ai rarement lu un livre où la haine est présente d’une façon si prégnante, où une accumulation de rancœur, de jalousie, d’envie, de frustration inspire un tel sentiment dans une telle démesure. L’action se situe bien sûr à Barcelone avant, pendant et après la guerre d’Espagne et, à cette époque, la haine était largement répandue dans les populations de cette ville que Ruiz Zafon nous montre plus grise, plus froide, plus humide et plus triste que n’importe quelle ville nordique sous la pluie, pour accentuer le côté sinistre de son histoire sans doute.

Car cette histoire, c’est aussi le cimetière des amours impossibles, contrariés ou non partagés mais souvent porteurs d’une haine latente, d’un profond désespoir ou d’une blessure incurable. L’amour est aussi à l’origine de la faute qu’il faut expier, souvent de la manière la plus violente, car le diable est très présent dans ce livre même s’il ne les aime pas beaucoup. Il préfère l’autodafé qui permet de détruire l’auteur et le livre en un même geste comme le dictateur détruit ses opposants et leurs écrits pour tuer toute contestation. En revanche, l’amitié est un ciment fort qui permet d’affronter la vie et ses aléas avec moins de risques.

Et, pour revenir vers Mercier qui croit si fortement au hasard, Ruiz Zafon confie, lui aussi, le début de son intrigue au hasard, mais il semble faire quelque peu marche arrière et croire plus en la destinée en inscrivant la vie de son héros dans la trace de celui qu’il recherche en le confiant à un destin bien établi. «… Les hasards sont les cicatrices du destin. Le hasard n’existe pas, … Nous sommes les marionnettes de notre inconscience.». Sur ce point les deux livres divergent sensiblement, Mercier entreprend une démarche plus philosophique alors que Ruiz Zafon sacrifie plus aux bonnes normes des romans à succès qui exigent le respect de certaines règles qui ne déstabilisent pas trop le lecteur.

Je ferai grâce à Carlos de ces concessions car son livre est comme un opéra de Verdi emporté dans une grande envolée épique qui emmène le lecteur dans un monde de rêves, de fantasmes et d’émotions dont il émerge difficilement. Et, il a un tel amour des livres qu’il traite avec une véritable sensualité, qu’on ne peut que l’aimer. «Je pensais que si j’avais découvert tout un univers dans un seul livre inconnu au sein de cette nécropole infinie, des dizaines de milliers resteraient inexplorés, à jamais oubliés. Je me sentis entouré d’un million de pages abandonnées, d’univers et d’âmes sans maître, qui restaient plongés dans un océan de ténèbres pendant que tout le monde qui palpitait au-dehors perdait la mémoire sans s’en rendre compte, jour après jour, se croyant sage à mesure qu’il oubliait.»

Un train de glace et de feu de Ramon Chao  ( 1935 – … )

Ramon Chao c’est le papa de Manu, le Manu de la Mano Negra qui connut le succès sur les scènes rock de France et d’Amérique latine au début des années quatre-vingt-dix et qui, en 1993, accompagna l’épopée de ce groupe et d’une bande de saltimbanques hirsutes, tatoués et percés au cœur de la Colombie.

A la suite de la tournée «Cargo 92», un des membres du groupe avait remarqué «Partout je voyais des rails, mais jamais de trains… Les locomotives tournaient. Cependant, depuis 1979, aucune n’avait roulé. Des centaines de villages auparavant desservis par le train vivaient désormais reclus, rackettés à la fois par l’armée, les narcotrafiquants et la guérilla … Alors, pour qu’on parle d’autre chose que de la terreur en Colombie, j’ai imaginé ce train avec un spectacle réconciliant ces deux ennemis héréditaires que sont le feu et la glace.» Et Ramon, au jour le jour, va tenir la chronique de cette folle aventure entre Bogota et Sant Marta.

L’île et ses démons de Carmen  Laforet   ( 1921 – 2004 )

Née à Barcelone, Carmen Laforet a passé sa jeunesse sur la Grande Canarie et c’est là qu’elle situe ce roman, l’histoire de la rencontre d’une jeune fille qui a conservé l’innocence et les rêves de son adolescence dans une île paradisiaque, avec des adultes, de la famille, qui fuient l’Espagne et la guerre franquiste. C’est la confrontation entre ces deux univers qui va lui faire prendre conscience d’une autre dimension de la vie, de son corps, de ses désirs, de son besoin d’indépendance, de son envie de partir, de voir autre chose, de voir comment c’est ailleurs. L’histoire d’une jeune fille innocente qui percute un jour le monde des adultes en proie à de sanglants conflits et qui passe un peu brutalement de l’adolescence à la maturité. Un roman écrit avec beaucoup de délicatesse et de pudeur par une grande dame des lettres espagnoles.

Le crayon du charpentier de Manuel Rivas  ( 1957 – … )

Herbal, gardien de prison à Saint Jacques de Compostelle au moment où Franco a fait interner un grand nombre de prisonniers politiques, surveille, parmi beaucoup d’autres, un artiste qui dessine, avec un gros crayon de charpentier, le porche de la célèbre cathédrale orné du visage de ses collègues détenus. Mais, Herbal ne se contente pas de garder les prisonniers, il participe aussi régulièrement à l’élimination de certains et quand l’artiste est exécuté, en catimini comme les autres et comme d’habitude, il récupère le crayon qu’il met comme un charpentier sur son oreille. Alors, le crayon va lui dire ce que sa conscience ne lui a pas dit jusque là et, avec la voix de l’artiste, il va le guider sur la voie de la rédemption en lui montrant comme le monde est beau quand on n’obéit pas aveuglément aux tortionnaires et qu’il existe une autre voie pour mener une vie plus juste.

Denis Billamboz
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