Arles met à l’honneur la photographie. Quelques expositions monographiques dont celle de Mario Giaomelli au Méjan savent ravir l’oeil… Au Musée Réattu l’expo photo de Pierre Jahan mérite aussi le coup d’oeil.
Il y a, au milieu du fourre-tout arlésien, quelques expositions monographiques qui laissent pantois, qui réjouissent l’oeil et le coeur, dont on ne voudrait pas se détacher. Commençons par Mario Giacomelli au Méjan (on passera plus vite par l’expo Klasen à l’étage).
Pierre Jahan Plain-chant
J’avais vu son exposition à la BNF et je m’en souviens comme d’hier; il y a ici plus de photographies, plus de richesse et de variété. On retrouve les paysages touchant à l’abstraction, on retrouve les séminaristes jouant dans la neige et les tragiques vieillards de l’hospice, les placettes de sa petite ville et les habits noirs la hantant, mais on découvre des tableaux plus abstraits, comme cette panoplie inquiétante, mystérieuse et symphonique de crochets de fer accrochés sur un mur blanc, des séries plus complètes, des scènes plus intimes comme ce couple s’étreignant dans la prairie (Un Uomo, una Donna, un Amore), en pendant avec le baiser tendre des deux vieillards (Scanno). C’est un travail dépouillé, presque aride et pourtant si fécond. Très beau livre, à feuilleter longtemps après.
De là, on va au Musée Réattu pour l’exposition de Pierre Jahan, ses reportages (la Libération de Paris en bas de mon immeuble), ses nus audacieux (Plain-Chant, sur des poèmes de Cocteau) et les scènes étranges qu’il sait parfois capter : pendant l’Occupation, on déboulonne les statues pour récupérer leurs métaux et voici le digne Monsieur Thiers flottant dans les airs vers sa destruction. A la Libération, les tableaux reviennent au Louvre et voici, le 17 juin 1945, le dévoilement de la Joconde, une redécouverte, une repossession : le conservateur épluche délicatement de la main gauche l’enveloppe protectrice et le sourire apparaît dans un rayon de lumière.
Quand le 6 novembre 1948 son atelier brûle, il retrouve des photogrammes où des graminées étaient venues s’inscrire sur le corps féminin à demi brûlés et décide de les exposer tels quels, témoignages étranges et symboliques, conjuguant l’action de l’homme, de la lumière et du feu, extrêmes expérimentations involontaires. Jahan, adepte du montage surréaliste, réalise aussi des photographies publicitaires et certaines sont pleines d’humour; ci-contre une image pour un médicament contre l’angoisse.
Ailleurs dans le Musée Réattu au bord du Rhône, entre les corridas d’Alechinsky, les dessins de Picasso (”un peu Matisse” écrit-il au dos de l’un d’eux, le 3 février 1971) et les installations sonores et vibrantes d’Hanna Hartman, on peut découvrir ce grand photogramme au cyanotype de Nancy Wilson-Pajic, Morrigane (Les déesses), étrange reproduction photographique d’une robe diaphane, venue là pour Christian Lacroix.
Dans l’église Sainte-Anne, certes désacralisée depuis la Révolution, l’anti-clérical argentin Léon Ferrari, 90 ans, s’en donne à coeur joie. Sa fameuse Civilisation occidentale et chrétienne trône à la place du crucifix ecclésial et les transepts sont pleins d’objets religieux, comme ce magnifique grille-pain avec Christs bondissants, ou Spectacle, l’ex-voto ci-dessous où les apôtres se détournent de la Cène pour regarder Fanny callypige. Ce ne serait que de la provoc’ amusante s’il n’y avait là un vrai art du collage, une utilisation du montage pour exprimer la force d’un message, que ce soit contre Hitler, le pape, Bush ou Videla, dans la droite ligne de John Heartfield. Ferrari détourne les dogmes, la vénération des martyrs et des héros, mais il détourne aussi les signes : des photographies sont recouvertes de textes, et certains de ses textes sont en braille. On voudrait toucher, déchiffrer, comprendre, et c’est bien sûr impossible. Poèmes d’amour* ou citations bibliques, nous ne pouvons savoir (Union Libre). A noter dans un autre lieu une exposition des ‘tableaux vivants’ que son père Augusto composait et photographiait pour se préparer à peindre des fresques religieuses; le fils a mal tourné !
Après ces trois expositions muséales, il faut aller voir, dans l’église des Frères Prêcheurs, la collection de Marin Karmitz, qui raconte que, photoreporter à ses débuts, il s’arrêta le jour de la mort de Pierre Overney (événement marquant pour toute une génération). L’église est divisée en ‘chapelles’, chacune présentant un échantillon du travail d’un photographe; la scénographie est somptueuse et labyrinthique. Le travail de certains artistes se prête fort bien à cette découpe; par exemple, la chapelle Annette Messager (pendant de la chapelle Christian Boltanski) est superbe, avec cette installation d’Histoire de traversins on ne peut plus suggestive, comme une vulve accueillante au fond de laquelle reposent des petits secrets. Mais ce dispositif dessert, à mon sens, des artistes au travail plus sériel, comme Patrick Faigenbaum : le ’sampling’ de trois fruits, deux portraits, un autoportrait et une famille noble napolitaine ne rend pas justice à son travail, qui ne peut bien s’apprécier que dans la durée, la série.
Voici, toujours dans cette collection, une belle série de Chris Marker, Crush Art, seize visages d’une femme douce et pensive aux yeux brillants, photographies d’abord froissées, puis rephotographiées, sur lesquelles la lumière joue comme une flamme; la Vierge, peut-être, comme un vecteur de dévotion. J’ai aussi revu avec plaisir la poignante série d’Antoine d’Agata sur Jérusalem, et je conclus avec ce magnifique portrait flegmatique au cigare (Cadaquès 1963) dû à Christer Strömholm, que vous reconnaîtrez tous.
*”Ma femme aux fesses de printemps.
au sexe de glaïeul
ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
ma femme au sexe de miroir
ma femme aux yeux pleins de larme”
André Breton, Union Libre
Photos de l’auteur : Jahan 4 et 5, Ferrari 1 et 2, Messager, Marker et Strömholm. Photo Ferrari 3 (Spectacle) courtoisie du service de presse des Rencontres d’Arles.
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