Commençons par Kendell Geers, non point tant sa grande statue en rubans rouges et blancs que les déclinaisons de la fresque extérieure de FUCK en tous sens. La plus belle est dans un recoin caché et ne se livre qu’aux regards curieux et indiscrets; le mien fut subjugué et plein de désir. La composition des F est la colonne vertébrale de cette jeune femme en pâmoison, la chaîne des C la contient et la soumet, et la frise des K forme la bordure du dessin; avec les U à peine visible, c’est une inscription érotique et violente du mot dans sa chair même qui se décline ici. Plus évidente est la composition Fucking Heraldic Wonderland Cunt en petits bouts de miroir dessinant le même motif dans la première salle, sous l’aplomb de ce conduit de ventilation menaçant : là, c’est le corps des spectatrices elles-mêmes qui s’inscrit dans les vides réfléchissants entre les lettres de FUCK. Celles qui passent là inattentives ignorent l’empreinte qu’elles y laissent, l’idole qui ainsi se crée et que le photographe prend plaisir à capturer.
Dans cette même salle, deux sculptures d’Anish Kapoor, (I have places like these, you have places like these) attirantes et vénéneuses comme les Sirènes, fleurs-cornets dans lesquelles on voudrait plonger, se perdre, se dissoudre, sont aussi des objets d’adoration. Au centre de la salle, Il Tempo del Giudizio (le moment du jugement) de Michelangelo Pistoletto est un sanctuaire caché derrière des voiles; on parvient à l’octogone sacré en tâtonnant pour trouver l’ouverture dans ces murs de soie blanche, on s’y isole pour prier et on se retrouve face à soi-même, à sa réflexion dans un miroir. Quatre miroirs, en fait, pour quatre grandes religions, suggérées de manière plus ou moins évidentes (une statue de Bouddha, un tapis de prière, un prie-Dieu et, le plus dépouillé, les tables de la Loi) : où sont les idoles ? est-ce un renvoi à notre propre conscience ? ou une invite à voir l’autre, de biais, subrepticement dans son seul reflet ?
Temporundum Continuo de Luca Pancrazzi est un travail sur le temps et sur l’accident : des tondi, qui sont en fait des horloges, sont recouverts d’éclats de verre feuilleté, comme des morceaux de pare-brise éclaté, sur lesquels la lumière joue joliment. Le cadran est quasiment invisible, les aiguilles sont gelées, le temps est suspendu : la mort peut-être.
En entrant dans l’installation de Liu Jianhua, The boxing age, on s’attend à ce qu’un souffle de vent agite ces gants de boxe suspendus au plafond; mais, en porcelaine, ils sont trop lourds et, au premier contact, au premier round, ils vont se briser. Chacun est marqué du nom d’un pays, ce sont là des idoles nationalistes, compétitives, dont la violence induit la fragilité, dont l’engagement guerrier sera leur propre destruction : nul lecteur de ce blog ne sera surpris de ce gant-ci, à droite (cliquez).
Le fil ténu de ces ‘Idoles’ (il y a aussi, entre autres, les poupées-totems de Pascale Marthine Tayou) est la divinité proposée à notre adoration, ou, plus probablement à notre critique, à nos remises en cause, à nos déplacements sensibles.
Photos Pistoletto 1 et Pancrazzi 1 courtoisie de Galleria Continua et Agence Tilt (Luca Pancrazzi, Temporundum Continuo, 2010, verre, silicone, horloges, dimensions variables, courtesy Galleria Continua, San Gimignano / Beijing / Le Moulin. Michelangelo Pistoletto, Il Tempo del Giudizio, 2009, soie blanche naturelle, structure en fer, bois, miroir, tapis, sculpture de Buddha, prie-dieu, 300 x 1000 cm, courtesy Galleria Continua, San Gimignano / Beijing / Le Moulin). Autres photos de l’auteur.