Pour ceux qui apprécient les films à la fois émouvants et instructifs, je recommande l’excellent téléfilm produit par HBO en 2014 : The Normal heart …
Depuis les années 2010, le sida redevient un sujet à la mode au cinéma, alors que l’épidémie toujours ascendante fait moins peur en raison de la progression des traitements qui permettent de prolonger la durée de vie des séropositifs et des malades et de transformer le sida en maladie chronique presque normale dans les pays riches. Avec The Dallas buyers club, on découvrait l’organisation de certains malades pour se procurer des médicaments clandestins alors que les morts se multipliaient et les traitements tardaient à voir le jour. Dans The test, San Francisco 1985, sorti en 2015, on rencontre un jeune danseur plein d’avenir, homosexuel un peu en errance sentimentale qui se confronte au sida quand apparaissent les premiers tests de dépistage. The Normal Heart réalisé par Ryan Murphy et de facture très académique, presque datée pour une production HBO, est inspiré d’une pièce de Larry Kramer. Il traite de l’irruption brutale et l’expansion du sida au début des années 80 quand il a commencé à décimer la communauté gay aux Etats-Unis puis dans le monde, avant qu’on constate que le sida touchait également des hétérosexuels ou des transfusés.
Le coeur normal, c’est une sorte de fusion fort bien réussie entre Les soldats de l’espérance et Un compagnon de longue date sortis en 1991, avec une petite touche de Philadelphia. HBO est connu pour son audace face à des sujets tabou ou sulfureux et on ne peut que l’en féliciter! The Normal Heart aurait pu ne jamais devenir un film (techniquement un téléfilm), tant la question du sida, plus de 35 ans après son apparition, reste parfois complexe à aborder. Si Barbra Streisand en avait acquis les droits pour adapter la pièce, la chanteuse s’opposait au prisme du sida abordé à travers la communauté homosexuelle et préférait éluder l’importance de la sexualité dans la problématique du sida et supprimer toutes les scènes de sexualité explicites pour ouvrir une réflexion plus universelle. Or pour Larry Kramer, il était inacceptable de tronquer à ce point son sujet et il fallu donc attendre 2014 pour découvrir un téléfilm conforme à l’esprit de la pièce.
Pourtant, l’une des limites de la pièce et du film, commune à quasiment tous les films et téléfilms à propos du sida, c’est précisément qu’on y observe des hommes blancs, aisés, plutôt des wasp. Tous évoluent dans des milieux favorisés socialement, professionnellement et intellectuellement et ne représentent pas de la même manière tout une autre frange de population de haïtiens, d’africains ou de toxicomanes touchés par le sida et tout aussi voire plus marginalisés et victimes du désintérêt criminel du monde entier.
Larry Kramer, contaminé dans les années 80, a succombé à une pneumonie le 27 Mai 2020, en pleine épidémie de covid19. Ironie du sort. Il fut un dramaturge, auteur engagé, activiste militant homosexuel à l’origine d’Act Up et dont on se souviendra de ses méthodes déterminées, parfois jugées extrêmes, pour essayer d’attirer l’attention sur l’urgence du combat, de la prise en charge et de la prévention des malades du sida. Aujourd’hui, la pandémie de covid19 permet de regarder l’épidémie du sida, avec un recul instructif, au moins pendant la première décennie de son développement. On pourrait presque remercier le sida d’avoir permis de tirer des leçons sur la nécessité d’agir, réagir y compris en utilisant le principe de précaution et des solutions exceptionnelles pour prévenir des épidémies mondiales. Mais n’est-ce pas illusoire?
The Normal Heart, entre militantisme et combat pour l’amour
Quand Les soldats de l’espérance And the band played on, premier film chorale à aborder l’histoire du sida, racontait le combat pour identifier ce nouveau virus, la bataille juridique pour sa paternité et l’incapacité des pouvoirs publics à admettre la gravité du problème sanitaire, Un compagnon de Longue date apportait la touche sentimentale sans sensiblerie en montrant comment un groupe d’amis était frappé de plein fouet par ce qu’on appelait le « cancer gay » et voyait ses membres mourir les uns après les autres…
Dans The Normal heart, on retrouve le traitement didactique et proche du documentaire des soldats de l’espérance. On suit la bataille éprouvante et pleine de contradictions, de quelques militants pour faire prendre conscience de la tragédie du sida (pas encore nommé), même si tout le monde ferme les yeux sur une maladie qui dans un premier temps s’avéra très discriminante … L’aveuglement du système américain et de l’administration Reagan qui attendra 1985 pour prononcer le mot AIDS pour la première fois, est aussi bien mis en évidence que dans les Soldats de l’espérance, mais le prisme est plus engagé. On l’apprécie du point de vue des malades victimes du rejet et de la discrimination et non de celui des chercheurs confrontés en réalité aux mêmes problèmes en raison du manque de fonds. Le fait d’explorer un petit groupe de gays d’un excellent milieu social permet de comprendre aussi toute l’hypocrisie de la situation, quand on apprend comment certains puissants, à l’instar du maire de New York, ne veulent absolument pas entendre parler du sida tout simplement pour ne pas avoir à révéler qu’ils sont homosexuels et susceptibles d’être aussi touchés.
On comprend également qu’il n’est jamais simple face à un sentiment écrasant d’impuissance de choisir la méthode du combat. Vaut-il mieux la violence de la révolte et du désespoir qui pousse parfois à des provocations nuisibles à la lutte ou la diplomatie et la patience, visant à gagner une reconnaissance capable de repousser la mort sociale qui résonnait avec le sida à l’époque? Continuer sa libération sexuelle au risque d’en mourir ou préférer l’abstinence, la fidélité ou les rapports protégés, c’est la réflexion qui est au coeur du militantisme de l’association Gay Men’s Heath Crisis dont l’action servit de modèle à AIDES en 1986. L’un des personnages phares, Ned Weeks, écrivain new yorkais, intellectuel et activiste fougueux, adepte de la violence et inspiré de la personnalité de Larry Kramer, représente le côté moralisateur et probablement dans le vrai puisqu’il avait anticipé ce que deviendra l’épidémie du sida. Viré par ses amis de ses fonctions en 1983, il n’aura de cesse de
Si je n’ai pas trop aimé Dallas Buyers Club, je ne peux que vous encourager à le voir ou le revoir car finalement, les deux films s’avèrent complémentaires sur la question des pouvoirs publics… En apprenant le sujet auquel s’attaquait Dallas Buyers club, je reconnais que j’en attendais beaucoup au niveau du traitement de certaines questions que j’ai trouvées un peu éludées volontairement ou pas (je ne sais pas) par le réalisateur. Comme The Normal Heart, Dallas Buyers club aborde la surdité de l’administration et des services sanitaires américains et la capacité qu’ont eu une poignée de malades à s’adapter pour trouver des alternatives pour les soins. A ce niveau là, The Normal heart évoque plutôt l’activisme des débuts, amorcé dans l’urgence sans réflexion sur ses objectifs, ses limites intellectuelles et pratiques et les difficultés à trouver la bonne manière d’attirer l’attention sur un drame sanitaire qui n’a pas été anticipé.
L’approche de The Normal heart est surtout issue de l’expérience de Larry Kramer qui prônait une forme de violence dans son militantisme pour forcer les pouvoirs publics à admettre la réalité du fléau afin de mieux le combattre en évitant la propagation du virus par une prise de conscience des enjeux et des conséquences de l’inertie … Il y a donc un engagement très différent, probablement aussi plus intellectuel que dans The Dallas Buyers club, où le pragmatisme domine puisque les malades veulent surtout sauver leur peau coûte que coûte et se remplir vite les poches malgré leur mort imminente probable en profitant de l’inertie et des contradictions des lobbies pharmaceutiques…
Bien que le parti pris dans la mise en scène dans The Normal Heart ne permette pas toujours une complète empathie avec les personnages, on ne peut que se laisser émouvoir par quelques scènes bouleversantes et la belle histoire du couple Ned Weeks (Mark Ruffalo) et Felix Turner (Matt Bomer). Ces scènes s’avèrent plus rares finalement qu’on le supposerait en regardant le 1er tiers du film, mais en définitive, ce n’est pas plus mal, car elles frappent mieux encore le téléspectateur et sont si représentatives de l’esprit d’une société face aux victimes du sida.
Pour ne rien gâcher, au-delà de ses producteurs prestigieux comme Brad Pitt, The Normal Heart est servi par un casting assez remarquable pour un téléfilm. Julia Roberts incarne le Dr. Emma Brookner, un médecin clouée dans son fauteuil roulant par la polio depuis son enfance qui dès l’apparition de ce nouveau cancer jongle entre recherches et gestion médicale et humaine des cas. Militante guidée par un véritable humanisme plus que par une idéologie gay friendly, elle se trouve en première ligne pour représenter le camp des chercheurs finalement aussi démunis que les patients confrontés à des médecins qui refusent de les prendre en charge. Bien que paralysée par sa maladie, Emma Brookner bouge dans tous les sens pour essayer d’expliquer aux homosexuels comment le virus pas encore nommé sida pourrait être freiné s’ils consentaient à reconsidérer leurs modes de vie et pratiques, pour expliquer aux pouvoirs publics l’urgence de lancer des recherches, et faute de mieux accompagner vers leur mort les malades dont personne ou presque ne veut s’occuper. Julia Roberts livre une prestation efficace et tout en justesse, bien éloignée des rôles glamours ou romantiques qui ont fait sa renommée.
Mais imaginez donc que le seul argument à l’époque du sida pouvait être de renoncer à ce que l’on est, tout simplement si l’on veut pouvoir vivre sans avoir à subir une maladie pour laquelle le taux de mortalité s’élevait à 100%. Qu’est-on prêt à accepter pour vivre par temps d’épidémie de sida quand on est homosexuel? Renoncer à son mode de vie, renoncer à avoir des relations sexuelles (du moins non protégées) et de renoncer à d’éventuelles futures rencontres faute de pouvoir savoir si la personne était sainte ou malade, alors que les homosexuels, à la fin des années 70, semblaient avoir trouvé des espaces de libération.
Matt Bomer est probablement pour moi la révélation. L’acteur lui-même gay a récemment effectué son coming out et révélait à quel point il avait été bouleversé par son rôle. Il faut dire que la destinée de son personnage permet vraiment à l’acteur de ne pas se distinguer que par son physique avantageux. Mark Ruffalo, avec sa fougue souvent teintée de désespoir, lui rend la réplique de manière très convaincante. Chaque personne a son moment dans le film. Cela peut apparaître comme une limite de la mise en scène, mais cela permet aussi d’apprécier la réussite du film « chorale ».
En conclusion. Il faut voir The Normal Heart pour comprendre ce que furent les tentatives d’actions, préludes aux grandes associations comme Aides et Act up pour attirer l’attention sur le sort des victimes du sida. Comment attirer l’attention quand personne ne semble vouloir voir, ni entendre ce qui se jouait? La dénonciation de l’inertie des médias et des pouvoirs publics politiques et sanitaires est cinglante, mais aurait manqué de courage si elle s’était limitée à des discours. Pour Kramer, elle s’est traduite tout au long de sa vie. Il en ressort une conviction : le pragmatisme face à ce genre d’attitudes d’indifférence voire de mépris scandaleux consiste à utiliser les méthodes provocatrices et points de vue plus extrêmes pour frapper les esprits et parvenir à déclencher une mobilisation en faveur des malades. Un choix toujours contesté, mais qui mérite au moins d’être entendu.
Vous êtes convaincu de visionner The Normal Heart de Ryan Murphy?
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Si vous avez envie d’aller plus loin pour comprendre l’histoire du SIDA :
- La bataille du sida, documentaire consacré aux chercheurs qui ont contribué à décrypter le VIH
- Les soldats de l’espérance : and the band plays on ; film sur l’histoire de l’apparition du sida