Haha!-stan ; sous cet étrange nom se cache la première bande dessinée roumaine en français signée Alex Balasescu. Une BD sur un thème qui se veut universel et qui s’adresse au plus large public…
C’est une première que nous fait découvrir Andrei Popov.
Alex Balasescu – « Pour moi, la BD est liée à la langue française, parce que c’est ainsi que je l’ai découverte, avec « PIF ». Elle s’adresse à un public plus large que le public roumain, parce que le thème est universel. J’espère aussi que le public roumain retrouvera par ce biais le goût de la langue française. Je sais que j’ai fait des fautes de grammaire, je n’ai pas eu le temps de la revoir ».
Néanmoins, cette négligence est quelque part recherchée – les écueils de langue sont monnaie courante au « Haha!-stan », « riche pays de chaos et de hasard », imaginé par Carla Szabo et Alexandru Balasescu. Un endroit qui prête au rire, comme son nom l’indique; mais la rigolade est parfois jaune, parfois nerveuse, au fur et à mesure que le lecteur fait la connaissance des habitants de l’endroit, à travers les dessins de Carla Szabo.
« Il y a un personnage qui s’appelle « Collectible » – il aime beaucoup les objets et notamment les voitures de luxe; d’ailleurs, il en habite carrément une. Il incarne également la communauté du « Haha!-stan »; il ressemble à un lapin sans cœur, plus précisément, sa poitrine présente un trou en forme de cœur. Il est frustré par ce manque et tente de remplir ce trou par toute sorte d’objets, mais jamais par le bon. Collectible est toujours mécontent, grognon, râleur, il a beaucoup de problèmes. On rencontre aussi « Depression Boy » – le gosse dépressif depuis sa naissance. Il ne trouve pas la clé du bonheur; d’ailleurs tous ses sens et les organes qui les desservent – les yeux, le nez, la bouche etc. – sont figurés par des trous de serrure. On peut ainsi entrevoir le vide et l’obscurité qui est à l’intérieur de son être. Je suis en train de préparer d’autres personnages tels « Pudela Castra », la mère du garçon dépressif – c’est une caniche diabolique dotée d’un bistouri et d’un langage sur mesure, qui s’amuse à castrer les gens autour ».
Peuplé par ce petit monde déglingué, le « Haha!-stan » ressemble à une immense ville bétonnée, qui méprise et laisse en ruines ses anciens bâtiments. Le « NON » y est le mot d’ordre – il est défendu de glisser sur le toboggan, de se salir dans le bac à sable, de dessiner maladroitement, car ces activités sont potentiellement dangereuses pour la l’intégrité physique des habitants. Cet endroit imaginaire n’est pas sans rappeler les mœurs des Roumains et notamment le relief urbain de leur pays. Toutefois, n’importe quel Européen peut s’y retrouver. « Les aventures au « Haha!-stan » » voient justement le jour après qu’Alexandru Balasescu, anthropologue de conviction et de métier, eut sillonné le Vieux Continent et les Etats-Unis pendant une douzaine d’années.
« C’est un moyen de populariser un regard qui peut être aride s’il reste confiné à l’université. Pour découvrir le monde extérieur, il faut tout d’abord se découvrir soi-même. Lorsque j’ai commencé à observer la société roumaine d’un œil anthropologique, je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte de désir de ‘cacher’, et même de négation du passé et, par ce biais, du présent (car c’est une conséquence normale)… On ne peut pas se réinventer sans une base solide. J’ai confiance dans cet esprit de dérision de soi des Roumains. La BD a un message positif – l’action se déroule, en fait, dans la tête de « Depression Boy ». Dès qu’il se fait des amis, il trouve la clé du bonheur. Etre ensemble et avoir des amis s’est la recette du bonheur, et non les objets, les voitures etc. … Et encore moins détruire son passé pour bâtir un mirage. »
Cependant, à part le côté métaphore et portrait de société, cette première BD en français complètement « fabriquée en Roumanie » est aussi un objet très pratique. Elle est le catalogue insolite de « Haha!-stan », la dernière collection de la créatrice d’accessoires de mode, Carla Szabo. Car tous ces personnages existent pour de vrai et se déclinent en boucles d’oreille, broches, colliers, écharpes ou cravates.
« Il y avait un réel besoin de créer cette BD, parce que tous ces personnages ont quelque chose à dire sur la vie contemporaine. Son rôle est d’expliquer qui sont ces objets-accessoires de mode et pourquoi ils sont venus au monde. Ce sont des créatures complexes, qui au-delà de la forme et de leur utilité, te font affirmer quelque chose, grâce à leur histoire ».
C’est le cas de la vedette du livre et de la collection – le dénommé Herman, le guide du visiteur du « Haha!-stan ». En principe, il est un accessoire de la BD – un clin d’œil aux trentenaires roumains qui ont grandi, sous le régime communiste, avec « Pif Gadget ». Sauf que le gadget est désormais en option, car il est en argent massif et en série limitée, aux abords de 500 euros. Tête de robot Star Wars enfoncée entre les épaules, poitrine de femme, sexe d’homme, ce petit chouchou n’est pas pour toutes les bourses, mais tout le monde veut le toucher, reconnaît Carla Szabo.
« Sous sa forme d’objet, il s’appelle iHerman, comme iPod ou iPhone ; il crée une relation spéciale avec celui ou celle qui le tient dans la main. Ses parties composantes sont mobiles et, donc, le toucher y est pour beaucoup. On joue avec lui, c’est un objet antistress… Cela parce que le « Haha!-stan », ce pays induit le stress en permanence. Et s’il est hors du commun, c’est parce que iHerman est un personnage complet et complexe, symbole de la modernité – c’est une machine hermaphrodite. C’est un sentiment que j’éprouve fortement par rapport à la vie que je mène actuellement. J’ai l’impression de travailler comme un automate – en gérant mon business, je fais souvent un travail d’homme ; et pourtant je ressemble à une femme, au moins parfois…
Si j’ai un quelconque engagement dans mon art, je suis plus à l’aise de le porter à mon public avec le sourire. C’est plus facile de communiquer avec une personne qui rit, parce qu’elle s’ouvre à l’autre ».
Et pour mieux combattre le stress dans la société roumaine, Carla Szabo et Alex Balasescu réfléchissent à un iHerman grand public, en plastique, de même que la suite des aventures au « Haha!-stan » également chez ses voisins – le Fromagéstan, le Spaghettistan, le Conquistan, le Britustan ou le Turkistan. Tous des pays de Leuropa – ce continent lointain, en forme de lion assoupi, en train de faire une petite sieste.
Andrei Popov