Roger Kowalski ( 1934 – 1975 ) serait-il davantage le poète des aubes que des crépuscule, allez savoir ? Toujours est-il que sa poésie est imprégnée du clair-obscur de ce qui commence ou de ce qui finit. Son nom n’apparait qu’au cours des années 60 dans les pages de La Licorne, puis du numéro 12 du Pont de l’Epée, la revue de Guy Chambelland, réputé talentueux et révélateur du talent des autres.
Le poète-éditeur l’avait présenté à ses lecteurs à la façon chaleureuse et bourrue qui lui était habituelle. Néanmoins, lorsque le poète lyonnais mourut en 1975 à l’âge de 41 ans, sa disparition passa inaperçue dans le monde des lettres. Historiquement parlant, son oeuvre n’avait pas eu sa chance. Elle avait traversé les courants sans se laisser happer par eux, belle, fuyante, intemporelle, si pareille à son créateur. Certes, Kowalski n’était pas un bateleur génial comme Cocteau, il ne s’était pas drapé dans l’épopée de la résistance ( et pour cause il n’avait que 11 ans en 1945 ) comme René Char, il n’avait pas le verbe haut et prophétique d’un Saint-John Perse. C’était un jeune homme silencieux, venu d’un royaume où tombait la neige et où voletaient des colombes. Il était rare qu’il fasse allusion à notre monde contemporain, non qu’il le méprisât mais simplement parce qu’il avait oublié de l’habiter : forcément il demeurait ailleurs…dans la chambre secrète, parmi les roses de novembre. Charmons l’ombre écrivait-il, et, ce faisant, que faisait-il d’autre que de nous charmer ?
LA CHAMBRE SECRETE
Que j’entre dans le songe et qu’à tes pieds, licorne mâle,
tremble un fil de brume !
Il faut donner au feu quelques sarments d’hiver,
l’ombre de nos demeures et maints poèmes ;
il faut aussi que tu me comptes parmi celles-là de tes
créatures qui ne sont plus de ce monde,
et qu’à travers le hêtre, loin derrière l’écorce, tu devines
mes chambres les plus secrètes, celles que moi-même
je n’ose pas ouvrir.
un soir nous avions découvert une ombre
lisse aux combes de Novembre
les vents inclinaient nos songes à loisir
je savais qu’à tes pieds flambait la mousse
une odeur de gibier épuisé
une saveur de vieux miel sur la pierre
ce jour-là nous nous étions rencontrés
sur les dalles amères du silence et dès lors
vers nous se hâtaient les oiseaux couleur d’ambre.
DEMAIN
Le vent demain lèvera mes ombres ;
le poisson arrondira ses lèvres blanches sur mon nom ;
la voix du feu secondera la mienne et le fil n’aura jamais
été plus tendu ni plus musical.
Demain.
L’eau, la première, la très noire, dans ses gestes lavera
le souffle qui ne m’appartient plus,
la bouche que je n’ouvrirai pas sinon pour entrer dans
la tendre mort – et vous aurez tenu mes mains dans les
vôtres –
Ah, demain, seulement demain ;
il faut pour l’heure s’efforcer de ne pas défaillir à tâcher
de pénétrer dans l’aiguille par sa pointe.
( A l’oiseau, à la miséricorde )
Sept recueils jalonnent son itinéraire poétique :
Le Silenciaire ( Guy Chambelland ) 1960
La Pierre Milliaire ( Les Cahiers de la Licorne ) 1961
Augurales ( L.E.O. ) 1964
Le Ban ( Guy Chambelland ) 1964
Les Hautes Erres ( Seghers ) 1966
Sommeils ( Grasset ) 1968
A l’Oiseau, à la Miséricorde ( Guy Chambelland ) 1976