Dans l’Inde de Sonia Gandhi, deux femmes, un écrivain mal lu et une une femme indienne au tournant de la cinquantaine, mettent en cause leur vie passée au travers de leurs désirs charnels et de leur amour du sitar sur fond de l’Inde des castes qui ne se mêlent pas, des religions qui s’affrontent, des classes qui s’opposent et des langues qui ne se comprennent pas sans parler des couleurs qui se mélangent mal.
« Mon dernier livre avait coulé sans le moindre remous et j’avais écrit le dernier mot : rien ne me permettait plus d’espérer, comme d’habitude, le prochain, serait le bon. Il n’y aurait pas de prochain. » Cet auteur anonyme (mais l’est-il réellement ?) peu lu et mal reconnu s’est réfugié à Delhi pou redonner un sens à sa vie. A Delhi où Subhadra déambule dans les rues en suivant une femme, l’auteur, qui, comme elle, admire les sitars dans la devanture d’un magasin d’instruments de musique. Subhadra, vit très mal le passage de la cinquantaine, son corps commence à se détériorer, mal dans son corps, mal dans son être, elle veut changer de vie pour revivre différemment, « peut-on ainsi renaître autre ? Transformation dans tous les sens, jusqu’au plus vif de soi ? » L’attirance pour cette femme, qu’elle identifie à un personnage de film, et les sitars pourrait être le moteur d’une nouvelle forme d’existence car, arrivée à la cinquantaine, elle fait un triste bilan de sa vie, épouse mal aimée, insatisfaite, qui n’a jamais connu le plaisir, bru considérée comme une étrangère par sa belle-mère comme Sonia Gandhi par les Indiens, femme privée des joies du corps par la religion. « On vous a obligées à apprendre la haine de votre corps et du nôtre. » Les deux femmes finissent pas se rencontrer et par consommer les sentiments qui les rapprochent pour échapper à leur vie de femme mal considérée et mal aimée.
Ananda, dresse un portrait très fort de la femme qui voit la ménopause arriver comme le début du chemin qui conduit à la mort et qui a l’impression de n’avoir rien fait de sa vie et de n’y avoir même pas goûté. Une ode à la féminité que toutes les croyances ont essayé d’occulter pour faire croire aux femmes que la chasteté était garante d’une vie meilleure dans l’au-delà. L’angoisse du créateur non reconnu, de l’écrivain sans lecteur.
Ce portrait de femme pourrait être aussi le portrait de l’Inde, un portrait sans concession, sévère, juste ? Ce pays qui refuse d’être dirigé par une femme étrangère comme toutes les femmes sont étrangères et intruses dans la famille de leur mari après leur mariage. Mais, ce portrait n’est pas le portrait d’une femme mais le portrait de la femme qui pourrait être constitué par le dénominateur commun entre celui de l’auteur, celui de cette femme indienne et celui du personnage que l’auteur écrit malgré sa promesse de ne plus écrire. Ananda nous embrouille volontairement en dressant des personnages indéfinis, mélangés, mêlés, évoluant entre réel et virtuel, présence et absence, concrétude et évanescence, des personnages qui s’évaporent pour ne laisser que leurs problèmes sur la scène du roman. Et, comme Shiwa prendre de multiples apparences selon les circonstances évoquées.
Ce roman, écrit dans une langue exigeante, dans un style qui sollicite fortement le lecteur, recourt à un montage un peu particulier, la première partie du récit est constituée de chapitres qui, alternativement, se réfèrent à mars 2004 et avril 2004 et la seconde de chapitres qui évoquent, avec la même alternance, des événements d’avril 2004 et de mai 2004. Une façon pour l’auteur de retenir le sable du temps, de stopper la dégradation des corps et de laisser le temps à ses héroïnes de vivre une autre vie, de goûter à ce qu’aurait pu être cette vie, de faire vibrer leur chair, celle de l’autre femme qui les attire, comme le sitar peut vibrer sous les doigts du musicien. Et, de se réincarner dans un personnage mythique que l’amour a rendu fou et ainsi échapper à la corruption du corps et de l’âme, des biens et des mœurs.
« Sonia pourrait nous apprendre à ne plus être ce que nous sommes. » mais « une étrangère ne pourra saisir toutes les nuances de castes, de religions, de langues, de classes, de couleurs. Toutes les divisions qui peuvent exister ici » dans cette « Inde, éternelle affamée de ses innombrables faims. »
Puérilité, vacuité, vaine existence…