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Istanbul ; initiation stambouliote, rencontre de l’Orient et de l’Occident

istanbul coucher de soleil

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Istanbul mosquee

On ne cesse jamais de franchir des frontières en voyageant , la première d’entre elles et la plus difficile à traverser sans heurts est celle des idées préconçues et de la banalité inconsciente du préjugé. C’est dans cette faille née de notre sédentarisation et de notre ancrage inévitable dans un lieu que se situe la plus infranchissable des barrières , le plus impitoyable des rideaux de fer.

Dans cette forêt de l’ailleurs , trouver l’espace reposant d’une clairière, lieu de rencontre et d’attente devient une nécessité première pour s’orienter au sens originel du terme : prendre la route vers le levant. Cette clairière de début de voyage , ce lieu où va s’élaborer l’ensemble de nos traductions, de nos impressions, ce moment initiatique a un nom pour chaque frontière et ce nom pour l’ Orient c’est Istanbul. . .

Affronter le préjugé au sujet d’ Istanbul , c’est délaisser les images de couleur terreuses, moites et lumineuses à la fois , c’est oublier la lenteur et le rythme ample et lascif des foules du Levant, c’est se détourner de la musique serpentine qui arpenterait des ruelles chargées d’odeurs sucrées ,c’est tourner le dos aux fulgurances colorées entretenues par le voisinage des mets et des épices. Il faut donc dire Adieu à Nerval, Chateaubriand ou Fromentin et à cet orient serti de pierres précieuses, au romanesque de Pierre Loti, aux Aziyadé et aux Salammbô qui bercent nos songes depuis l’école. S’initier à Istanbul et à la Turquie moderne , c’est abandonner ce pan de notre propre histoire qui est façonné par le regard sur une autre culture , regard sédimenté par couches successives d’ émerveillements esthétiques, autant que d’incompréhensions civilisationnelles. A ces alluvions de la mémoire qui creusent le lit idéal pour accueillir le fleuve très fréquenté de l’imaginaire , il faut courageusement privilégier l’exigeant et rocailleux chemin de l’analyse contemporaine, paysage certes plus aride et moins emprunté mais dont les escarpements et les creux le rendent moins lisse et prévisible. C’est donc ici que commence l’ histoire de deux voyageurs partis sur ces chemins différents , ayant choisi entre deux voies celle qui était la plus difficile à maîtriser mais dont le souvenir allait les marquer en conséquence.

L’arrivée à Istanbul est loin d’offrir au voyageur cette distance qu’il est venu chercher, tant le décor évoque au contraire, avec une puissance peu commune, un imaginaire devenu réalité par la volonté des sultans ottomans et des empereurs byzantins. D’un côté l’élan aérien de la mosquée bleue qui ,luisante comme une coupelle d’argent finement striée de lignes incurvées , élève ses minarets vers un voyage vertigineux. De l’autre, La masse ocre et rose de Sainte Sophie dont le dôme gris imposant semble posé comme un calice tourné vers la terre avec lourdeur et puissance, cherchant à s’agripper à la terre dans une étreinte sauvagement amoureuse . Orient et Occident se rencontrent sur une place parmi les plus belles du monde à travers deux monuments qui reflètent par excellence les cultures qui les ont édifiées en ce lieu séparés d’un jardin oriental de lilas roses. La Byzantine Sainte Sophie dont les entrailles donnent un vertige saisissant, est un des lieux de culte les plus impressionnants de la planète. La transformation en mosquée est discrète et les quatre minarets imposants qui ceignent l’édifice semblent plus relever d’un formalisme de conquérant que de transformation profonde. Aga Sofia demeure magnifiquement préservée , les peintures à la feuille d’or, les christ Pantokrator , les Théotokos montrent le passé chrétien de l’édifice , les inscriptions en lettre arabe, son présent musulman. Les galeries et étages font de Sainte Sophie un édifice dont on ne peut épuiser la vision car elle apparaît toujours différente d’où qu’on la perçoive à la manière des papillons gnostiques, symboles de l’ âme et de ses changements . Partout la couleur or domine les voûtes dont les courbes soutiennent le rose poussiéreux légèrement pastel des pierres de l’édifice. Ces voûtes incurvées baignées de la lumière translucide et pâle qui traverse l’édifice évoquent le sphérique de l’unité divine et ses attributs innombrables autant qu’innommables. Il reste, mis à part Sainte Sophie, peu de traces à Istanbul de cet empire byzantin qui lui aussi demeure donc pour nous une construction de la rêverie, les coupoles dorées de Byzance n’existant plus que dans les récits de voyage de jadis nés de l’émerveillement cupide des premières croisades.

Pour beaucoup d’historiens , la prise de Constantinople en 1453 semble marquer un tournant mettant fin au Moyen âge , l’ arriération de l’ Occident se comblant peu à peu, étant devenu avec cette chute le seul dépositaire de l’idée chrétienne en même temps qu’il engageait un processus de redécouvertes des penseurs grecs annonçant la Renaissance. Cette chute que les occidentaux ne firent rien pour empêcher, comme en témoigne l’ attitude des gênois négociant leurs concessions auprès des ottomans pendant le siège de Constantinople ,lui fut sans doute profitable. Au nord naquit alors la vocation messianique de la troisième Rome , Moscou, chargée de recueillir l’ héritage de l’orthodoxie, la vraie foi à leurs yeux et sa méfiance consubstantielle envers l’ Occident et la première Rome . On peut imaginer l’effroi que ressentirent à la mort brutale de leur civilisation les individus qui la composaient et ressentir avec une empathie quelque peu abstraite et désincarnée, le désespoir de ces hommes et ces femmes dont l’espace mental s’effondra en même temps que la puissance temporelle. C’est depuis Homère la tragédie historique par excellence, objet d’une compassion qui ne connaît ni les frontières du temps, ni les distances de l’espace. Constantinople n’est pas si loin de Troie qui vit en son temps Priam pleurer Hector,apparaissant de nos jours comme la première figure incarnée de cet éternel retour , de ce Samsâra insurmontable de la disparition des civilisations et de leur renaissance sous d’autres formes toujours renouvelées. Ainsi périt le plus ancien empire sous le soleil d’Europe que fut Byzance.

A la deuxième Rome effondrée succède l’éclat et de la puissance d’un nouvel empire dont on ne peut avoir qu’une idée très vague jusqu’à ce que l’on pénètre au sein de la Mosquée bleue où se marie la puissance de la foi musulmane au génie artistique des ottomans. L’empire ottoman et son lien avec l’ Islam se révèlent un autre empire de ces signes qu’il suffit de guetter pour en interpréter la concordante et profonde signification . Peu d’endroits autres que ces grandes mosquées reflètent avec tant de perspicacité et de justesse ce qu’elles sont sensées symboliser , c’est à dire une reproduction du cosmos à la taille de l’humain. C’est là la signification profonde des temples d’Orient depuis les ziggourats babyloniens : être le microcosme de l’ univers visible, la transposition symbolique du cosmos. La Mosquée du monothéisme islamique n’ y fait pas exception. L’Alliance des motifs courbes de l’ Ecriture Arabe et des entrelacs qui couvrent des murs créent un réseau qui enveloppe l’observateur dans un hypnotisant mouvement circulaire et concentrique jusqu’au centre du dôme. Autour de ce centre absent uniquement représenté que par le nom de Dieu, se déploie cette diversité des couleurs et des formes image de la diversité de la création. L’irreprésentable Dieu gouverne le fonctionnement du monde, moteur immobile dont les attributs sont ineffables, dessinant un réseau qui représente le mystère de l’Un et du multiple de l’ Etre évoqué par Ibn Arabi. l’ Armature permanente du monde qu’ Allah crée à nouveau à chaque instant est ici rendue visible au-delà de son invisibilité première. Derrière l’apparence des choses se cache dès lors l’ordre sous-jacent. C’est une des tendances profondes de l’ Islam que de vouloir déchiffrer derrière le voile de l’illusion les ressorts secrets qui en gouvernent les lois et qui s’inscrivent toujours dans une odyssée cosmique qui en serait le récit véritable. L’islam obéit à une perpétuelle dialectique interne parfois violente entre l’exotérique de la lettre et l’ ésotérique de la signification spirituelle, entre littéralisme et herméneutique coranique. Cette permanente référence à la création, cette spatialité si particulière de la mosquée se reflète aussi dans le vide absolu du sol, les tapis richement ornés de motifs à l’image du dôme, évoquant le monde terrestre et l’intelligence humaine. L’intellect terrestre fait à l’image de l’architecture céleste se révèle lui aussi profusion apparente derrière l’unité de l’Acte d’intelligence, il ne peut qu’être en correspondance avec cette création cosmique ,l’individu étant une monade la reflétant en son entier.

L’ Islam est sans doute la religion de la verticalité absolue et de la distance INCOMMENSURABLE entre l’ homme et DIEU. Ayant eu la chance d’assister à une prière , on remarque qu’il existe effectivement au sein de la mosquée un rapport triple entre le corps, l’ espace et le temps , si au premier temps de la prière les corps se placent où bon leur semble et adoptent un rythme propre de louange et de vénération, l’intervention de l’ Imam resserre autour d’un rituel particulier le temps et l’espace. Un espace plus-que-sacré est délimité par une ligne sur le tapis, espace au sein duquel le fidèle s’adonne au cœur de sa prière avec la communauté des croyants. Il demeure seul dans un face à face intérieur avec Dieu car sans communication directe avec les autres croyants. La soumission gestuelle à la parole divine dans un cadre collectif est brève autant que stricte, centrale sans être univoque. Là les croyants se regroupent et effectuent dans un espace restreint une série de prières très codifiées et unifiées. A Ce moment clé de la prière succède un moment semblable à celui qui l’ a précédé où le corps redevient libre de se placer de se courber à son rythme propre. Il existe donc un temps et un espace intermédiaire de montée vers et de descente depuis le sacré. Ce temps est délimité aussi par les ablutions. L’eau est ici un symbole de pureté , elle est aussi et surtout le marqueur de l’écoulement naturel d’un temps profane qui précède le temps sacré intérieur à la mosquée et fonctionne comme un symbole de séparation qui évoque le passage du temps à l’ éternité et de l’ éternité au temps. Elle rappelle par son écoulement la soumission de l’ homme à ce temps perçu comme flux tandis que Dieu est radicalement séparé au sein d’une éternité d’où toute réalité est déjà connue et pensée. D’où les importantes discussions théologiques sur le caractère créé ou incréé du Coran. Le changement entre les diverses temporalités n’est donc pas soudain mais graduel selon une conception continue du temps et non par opposition de termes antagonistes stricts comme sacré-profane. Comme au sein de la musique orientale où la gamme ne se divise pas en tons et demis tons selon une séparation stricte mais en microtonalités privilégiant le continu du glissement des tons au discontinu de la notation occidentale. C’est une conception du temps différente aussi bien métaphysiquement que socialement, ne se concevant pas comme une succession discontinue mais comme un flux de passages d’un état à un autre. . L’horizontalité, elle, ne réside que dans la parole de l’ Imam soit la parole coranique. C’est le livre saint qui fait office de lien de la communauté. Il n’y a pas d’images au sein des mosquées parce que l’icône par excellence, c’est la parole sainte à la fois matérielle et immatérielle , à la fois son et sens, art de écriture calligraphié et signifiant de l’ écriture intelligible. . Cette temporalité très particulière se retrouve dans le chant du Muezzin qui superpose au temps civil divisé en heures la permanence du temps cosmique fondé sur le mouvement de la création. On retrouve cette logique à l’œuvre dans la musique comme dans le rite précédemment évoqué et qui s’incarne dans ce rite –musique qu’est le chant du muezzin. Le chant porteur de la parole sacrée est l’élément d’ horizontalité, l’objet transitionnel qui crée le lien entre les croyants , alors que dans le judaisme cette fonction est assumée par la Torah que l’on embrasse, dans le christianisme par le pain qu l’on partage et mange, elle est dans l’ Islam l’objet immatériel qu’est la parole parlée ou chantée, signifiant confondu avec son signifié.

Faire de la verticalité pure le chemin de création d’une communauté de croyants, en faire un chemin d’horizontalité, c’est donc le pari très particulier de l’Islam, pari particulier qui oblige le voyageur à se transporter dans un nouvel espace-temps dans lequel il doit prendre ses repères. L’arrivée dans le ghetto à touristes de Sultanahmet représente alors le moment d’entamer cette visite par un regard plus sociologique , alors que notre chemin croise deux jeunes filles se tenant par le bras, l’une arborant un foulard multicolore tandis que l’autre porte fièrement une jupe courte, symboles presque parfait l’une et l’autre de cette Turquie nouvelle qui s’ annonce à nous par deux paires d’yeux espiègles et vifs.

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