Les Juifs en Roumanie seraient présents depuis la période Dace, dans l’Antiquité. A Bucarest, la communauté des Juifs de Roumanie a contribué au développement de nouveaux métiers et à un dynamisme important.
Dans l’histoire de la Roumanie, petit retour sur la communauté juive en Roumanie. Quand sont arrivés les Juifs roumains dans le pays? Comment a évolué la communauté juive roumaine?
Les Juifs en Roumanie ; une communauté présente depuis l’Antiquité
On n’aura jamais tout dit sur les communautés juives des pays européens. Les premiers Juifs en Roumanie, plus concrètement sur le territoire actuel de la Roumanie, auraient fait leur apparition avec les troupes romaines, après la conquête de la Dacie par l’empereur Trajan suite aux guerres de 101 – 102 et 105 – 106.
Au 13e siècle, le commerce entre les Juifs et les populations de Byzance, de Russie et de Pologne fleurissait sur les territoires roumains et bulgares. Puis, à la fin du 14e siècle, les trois Principautés Roumaines ont servi de refuge pour les Juifs chassés par le roi Louis Ier de Hongrie pour avoir refusé de passer au catholicisme.
L’attestation documentaire de la première communauté juive de Bucarest remonte à la moitié du 16e siècle. Elle était formée principalement de sépharades venus de Constantinople, de Thessalonique et des Balkans. Au 17e siècle, ces communautés étaient déjà beaucoup mieux intégrées dans la société roumaine. Les commerçants et les maîtres artisans d’origine juive assuraient un flux continu de biens sur le marché intérieur, ils contribuaient à maintenir les échanges commerciaux et à développer l’économie. En plus, ces communautés bénéficiaient de liberté religieuse et du droit de se gouverner eux – mêmes, dans toutes les principautés roumaines. A compter du 18e siècle, ils commencent à acheter du terrain et à construire leurs propres maisons, synagogues et établissements scolaires. En 1859, on recensait déjà 147.000 Juifs en Moldavie et en Valachie et près de 50.000 en Transylvanie.
Une fois la première Constitution roumaine adoptée, en 1866, la vie des Juifs des territoires romains, devient beaucoup plus difficile. Les Juifs en Roumanie sont considérés comme des personnes «sans Etat» (apatrides), devenant sujets de nombreuses restrictions et discriminations, bien que nés dans une des Principautés Roumaines. Après la Guerre d’indépendance de 1877, 888 Juifs sont naturalisés roumains. Pour les autres, la nationalité devient de plus en plus difficile à obtenir. Enfin, par la Constitution de 1923, celle de la «Grande Roumanie», après l’union des 3 principautés, les Juifs qui n’avaient aucune autre nationalité pouvaient recevoir la nationalité roumaine.
Le statut des Juifs en Roumanie et de la communauté juive s’améliore dans l’entre-deux-guerres, pour connaître l’oppression pendant la seconde guerre mondiale et le régime communiste.
Si dans les années ’30 on recensait plus de 450.000 Juifs en Roumanie, à l’heure actuelle il y en a moins de 10.000. Depuis 1990, ils sont représentés par la Fédération des Communautés Juives de Roumanie, qui se remarque par de nombreux articles publiés et de études de recherche sur les communautés juives du pays.
Les Juifs à Bucarest ; visages de la Bucarest juive
La communauté juive est mentionnée à Bucarest dès 1550…
Ville de commerçants et d’artisans par excellence, Bucarest a grandi grâce aussi à la contribution des différents communautés ethniques qui s’y sont installées. Les Juifs en sont un exemple, leur présence à Bucarest ayant été mentionnée en 1550, une centaine d’années après la première attestation documentaire de la ville. Felicia Waldman et Anca Tudorancea se sont appliquées à reconstituer l’histoire de la communauté juive de la capitale roumaine dans un livre intitulé « Histoires et images du Bucarest juif », paru aux Editions Noi Media Print.
Felicia Waldman : « La communauté juive est mentionnée à Bucarest dès 1550, elle a donc un âge impressionnant. Une présence juive existait aussi avant cette date, mais depuis cette année-là, c’est une communauté stable, même si les autorités reconnaissent les guildes juives plus tard. Les commerçants juifs s’y installent au 16e siècle, en dépit de l’absence d’une protection venue de la part de l’Etat. La plupart des Juifs de Bucarest venaient de l’Empire Byzantin et après 1550, de l’Empire Ottoman. Après leur expulsion d’Espagne, nombreux sont les Séfarades qui s’établissent dans l’Empire Ottoman et qui se mettent au commerce avec l’Europe Orientale et Occidentale ».
Les Juifs introduisent à Bucarest des métiers nouveaux, inconnus de la population de la ville et qui témoignent de la diversité professionnelle au sein de la communauté. Felicia Waldman : « Cette communauté contribue aussi au développement économique de la ville, en aidant aux échanges commerciaux entre l’Est et l’Ouest de l’Europe ; ceci est très important car Bucarest trouve ainsi sa place sur la carte du continent. La présence des Juifs apporte des métiers que les habitants de la ville ne connaissaient pas. C’est le cas, par exemple, de la verrerie et de la ferblanterie, introduites par les Juifs. A la fin du 19e siècle, lorsque les toits en tôle et en tuiles commencent à remplacer ceux en échandoles, les premiers à les fabriquer étaient les Juifs. Ils étaient les seuls courageux à vouloir monter sur le toit. Et puis, c’est pour la même raison qu’ils réalisent, autour de 1897, les peintures murales d’un grand nombre d’églises de Bucarest ».
Avec le temps, des faubourgs de la ville sont habités majoritairement par des Juifs, d’autres sont des zones de choix pour la pratique de leurs métiers. Les faubourgs de Văcăreşti et de Dudeşti et leurs habitants pauvres sont restés dans l’histoire, tout comme le faubourg Popescului, situé quelque part, du côté de l’actuelle Place Unirii, où se trouvait la synagogue la plus importante de la communauté.
Anca Tudorancea dessine la carte des communautés juives du Vieux Bucarest : « Toutes ces occupations artisanales se plient, en fait, sur la structure sociale et professionnelle de Bucarest. On peut, pratiquement, reconstituer la présence des Juifs par faubourgs: dans la partie centrale de la ville, du côté de l’avenue Victoriei (où se trouvait l’élite commerciale), dans le Vieux Centre et dans la rue Lipscani, où était concentré le commerce des étoffes. Celui-ci était lié au commerce des broderies de la rue Bărăţiei ; celle-ci se prolonge imperceptiblement vers la rue Lazăr, où tout un chacun pouvait s’acheter des vêtements d’occasion. En continuant, on arrive petit à petit à la périphérie de la ville, du côté des avenues Dudeşti et Calea Văcăreşti, où l’accès est plus difficile, où les gens plus aisés n’allaient pas faire le tour des échoppes ».
A l’exception du Vieux Centre, les faubourgs historiques de la ville ne gardent plus leur ancien visage. Ils ont subi les transformations apportées par les actions de systématisation et d’urbanisme menées par le régime communiste. Les anciens faubourgs juifs n’existent plus que dans des photos d’époque.
Déportation des Juifs du nord de la Transylvanie en 1944 ; épisode cruel
Le 19 mars 1944, Hitler ordonnait à l’armée nazie d’occuper la Hongrie et faisait installer à grands renforts un nouveau gouvernement porté par le Parti des Croix fléchées, de la mouvance fasciste et antisémite… |
Le 19 mars 1944, Hitler ordonnait à l’armée nazie d’occuper la Hongrie et faisait installer à grands renforts un nouveau gouvernement porté par le Parti des Croix fléchées, de la mouvance fasciste et antisémite. De son nom de code « Margaret », cette opération avait été conçue par le Reich afin d’éviter une éventuelle sortie précipitée de la Hongrie de la conflagration, comme cela avait été le cas pour l’Italie en 1943. Un plan similaire d’occupation de la Roumanie devait également être mis en œuvre – l’ambassadeur hitlérien à Bucarest, Manfred von Killinger, avait déjà sur son bureau l’opération « Margaret II »…
L’arrivée au pouvoir des Croix fléchées dirigées par Ferenc Szálasi a provoqué une vague massive de persécutions antisémites dans le nord de la Transylvanie, occupée alors par la Hongrie en vertu de l’arbitrage de Vienne du 30 août 1940. Selon les sources, en seulement quatre mois, de mai à octobre 1944, 150 à 200 mille Juifs ont péri dans les camps de concentration nazis. Une quinzaine de milliers d’entre eux avaient déjà été déportés entre 1941 et 1944. Au cœur de la Hongrie, des centaines de Juifs ne sont même pas arrivés dans les camps d’extermination, étant sommairement exécutés et jetés dans le Danube.
70 ans sont passés depuis les premières persécutions antisémites du nord de la Transylvanie. La population magyare et roumaine des lieux tentait tant bien que mal d’aider, voire de cacher, ces opprimés. En 1941, Gheorghe Moldovan était élève à Brasov, région administrée toujours par Bucarest. En 1997, il a raconté au Centre d’histoire orale de la Radio roumaine comment une organisation de défense des Juifs avait vu le jour : « Après que la Transylvanie du nord est passée à la Hongrie, la maison du prêtre Macavei de Blaj a accueilli plusieurs réfugiés de Gherla, dont le professeur Mihali Semproniu et son épouse Natalia. Nous habitions tous le même immeuble, au centre de Brasov. C’était des gens extraordinaires, de bons patriotes qui avaient créé une association. Ils aidaient les Juifs de la Transylvanie devenue hongroise et de Roumanie. C’est le professeur Semproniu qui dirigeait cette association et je m’y investissais aussi. J’étais celui qui se rendait chez des familles juives pour les convoquer aux réunions, organisées régulièrement. Je visitais les Veiss, Grun, Holtzinger et Menden. D’autres personnes allaient informer les autres familles car il y en avait un certain nombre. Les gens se réunissaient notamment chez le professeur Semproniu, et parfois ailleurs ».
Les organisateurs passaient la frontière pour rester en contact avec ceux qui avaient besoin d’aide. Parmi les petits succès de l’organisation, il convient de mentionner la protection des Juifs de Roumanie, victimes des persécutions raciales. Gheorghe Moldovan. « Le prêtre Macavei était, à l’époque, le représentant de notre pays à Budapest, car nous n’y avions pas d’ambassade. Il dirigeait un groupe de prêtres, qui recueillait des informations relatives à la situation des Roumains et des Juifs de la Transylvanie occupée. Un Juif du nord de la Transylvanie, dont j’ignorais le nom, venait à Blaj. Il passait clandestinement la frontière pour rejoindre le professeur Mihali et les autres. Ils aidaient les Juifs venant de Hongrie à entrer en Roumanie, d’où ils partaient ensuite pour Israël ou ailleurs, en quête de liberté. Ce groupe a fonctionné de 1940 à 1948. Les Juifs de Blaj étaient assez nombreux. Ils avaient aussi une synagogue. Comme ils étaient protégés par cette association, rien de mal ne leur est jamais arrivé. Ils ont pu travailler tranquillement, sans être déportés ni envoyés dans les camps de travaux forcés. Le professeur Mihali surtout était très actif. Il venait en aide à quiconque en avait besoin. Aux cotés du prêtre Macavei, il intervenait auprès de toutes les autorités, à Blaj ou dans les localités avoisinantes. C’est ainsi qu’il est parvenu à épargner à ces gens tout malheur, toute forme d’oppression. Son activité fut très intense. Madame Mihali se rendait dans le nord de la Transylvanie. Elle avait échangé la maison qu’elle possédait à Gherla contre une propriété à Bucarest. Chaque fois qu’elle venait à Sângeorgiu de Pădure, pour des cures, elle prenait contact avec les Juifs du nord de la Transylvanie et les aidait, si besoin était. »
Gheorghe Moldovan a eu la chance de rencontrer un personnage légendaire, à savoir le diplomate suédois Raoul Wallenberg, le sauveur de milliers de Juifs de Hongrie qu’il a fait entrer en Roumanie. « Il les a tout d’abord sauvés de la déportation. Les Juifs des autres coins du pays étaient envoyés derrière le front, dans les camps de concentration, pas dans des camps d’extermination. Pour ceux du nord de la Transylvanie, l’enjeu consistait à leur éviter les camps d’extermination d’Auschwitz ou d’ailleurs. On organisait donc des passages clandestins de la frontière. J’ai moi-même fait la connaissance de cet homme, qui nous a maintes fois rendu visite et qui m’a remercié personnellement. A en juger d’après les descriptions que j’ai pu lire, c’était bien lui, Wallenberg. Un homme de haute taille, extraordinaire et très courageux. »
Le calvaire des Juifs du nord de la Transylvanie allait prendre fin le 25 octobre 1944, lorsqu’elle fut libérée par les armées soviétique et roumaine. C’était le début d’un long chemin de retour à la dignité de l’être humain.
Centropa – documenter la vie des juifs en Roumanie et des communautés juives en Europe
Documenter la vie des communautés juives en Europe centrale jusqu’à la Turquie en passant par la Roumanie: c’est l’objectif de l’organisation à but non lucratif appelée Centropa, basée à Vienne. Ouriel Morgensztern travaille pour Centropa depuis quelques années et était récemment de passage à Prague, où Alexis Rosenzweig l’a rencontré pour lui demander de parler de son organisation et de ses activités.