Julie Nioche est au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne, danse dans l’air (Nos solitudes). Au début du spectacle, pendant que son complice Alexandre Meyer exécute et orchestre des musiques douces et lancinantes, la danseuse (qui est aussi ostéopathe) se harnache de ses orthèses, puis, suspendue par un jeu de poulies et un filet céleste arachnéen à une centaine de poids Roberval, elle s’élève peu à peu, par la seule force de son corps, au-dessus du sol. Nul artifice, nul mécanisme caché, nul moteur, mais une tension de ses muscles, des gestes parfois doux et parfois saccadés, parfois fluides comme pour un envol et parfois bloquants comme pour une varappe sans paroi. Ne s’appuyant que sur l’air, faisant fi de la terre, elle nage dans le vide, elle grimpe sur des rochers de vent, elle plane sur des nuages. Ce n’est pas une prouesse technique, ce n’est pas un numéro circassien, ce pourrait être l’équivalent aérien de l’air guitar de Xavier Le Roy, mais c’est avant tout une danse en duo avec le vide qu’elle effectue avec grâce et obstination.
Au-dessus de la terre, sur laquelle son ombre exécute un autre ballet, dans la pénombre, elle s’élève, d’abord couchée à plat, puis lovée sur elle-même, en position foetale, puis dressée, cambrée, enfin debout, et alors les contrepoids claquent sur le sol à l’unisson. Parfois elle retombe, comme une plume, une feuille, puis repart vers les hauteurs. Cette apesanteur fictive offre au corps des possibilités nouvelles : de même que Matthew Barney ne dessinait que sous la contrainte, suspendu tête en bas ou sautant sur un trampoline, de même Julie Nioche ne danse que dans le vide (réponse peut-être à une question alors posée sur la danse et le vide) et cette contrainte extrême amène à un raffinement des formes, à une tension créatrice autrement inatteignables.
Soudain un poids tombe violemment au sol, puis un autre : accident ? catastrophe ? Puis tous les poids, en grappes, tombent. La danseuse, au sol, se défait de ses liens et se relève. Le retour sur terre est toujours difficile.
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Photos © Agathe Poupeney.