Brillante idée qu’a eue Anne Martinetti de présenter la cuisine des romans policiers. Après Agatha Christie et Alfred Hitchcock, voici sir Arthur Conan Doyle, l’immortel auteur du détective à la pipe, Sherlock Holmes. Saviez-vous qu’Arthur est né et a été élevé en Écosse ? Ce pourquoi il aime les plats régionaux de ce confins picte du royaume. Entre autres spécialités du patrimoine culinaire anglais qui, contrairement aux idées reçues, est assez riche.
L’enquête commence donc par les romans : Alimentaire, mon cher Watson ! Elle va dérouler son menu en quatre plats : les recettes du 221b Baker Street (quiconque y est allé sait bien que ce numéro n’existe pas), les plats gourmets de Londres (qui, eux, existent bel et bien !), les recettes de campagne, enfin les péchés mignons du détective.
Mrs Hudson, propriétaire du logement à l’étage loué aux deux amis, sert de magnifiques petits-déjeuners (aux dire du Dr Watson) et des buffets copieux (le bœuf froid de l’enquête Un scandale en Bohême). Que diriez-vous d’imiter la brave Mrs Hudson en servant des scones de pommes de terre en breakfast ? Accompagné de bon beurre de Normandie, comme il se doit (tout ce qui est culinairement chic à Londres vient de Normandie : le beurre, l’oie, le cidre). Ou un cake à la pomme et au cidre ? Le pain écossais, qui peut servir d’en-cas, se fait à la farine d’avoine, à la farine complète et à la bière. Quant au pâté de foie gras en croûte, vous m’en direz des nouvelles ! Filet de porc et lard maigre entourent un foie de canard entier arrosé de madère et de quatre-épices, le tout cuit en croûte solide durant deux bonnes heures à four chaud. Mrs Hudson réussit fort bien aussi la perdrix en gelée, la pintade au chou et le hareng frais aux poireaux et à la tomate. Et son pudding à l’abricot (sec) tient bien au corps dans les soirs brumeux d’automne.
C’est dans les clubs selects de mâles dominants et dans les restaurants huppés de Londres que Sherlock déguste la terrine de courgettes au thym, un délice avec les viandes rouges. Notamment le ragoût de joues de bœuf appelé Londoner stew. En entrée fine, le soufflé au cheddar de Mrs Saint-Clair vaut la disparition de son mari ! Sherlock enquête, non sans que son fidèle Watson n’exige le thé de cinq heures avec sandwiches au concombre sauce raifort – ou des crumpets de Mr Tiffany. Ne pas oublier d’acheter les feuilletés au porc de la gare Victoria si l’on doit prendre le train. La vapeur est lente et met l’Écosse à une journée de Londres. On aura eu soin de déjeuner d’un solide rôti de bœuf au Yorkshire pudding la veille, même si l’on n’est pas dimanche, où le plat est de tradition. Un Apple pie terminera fort joliment le repas.
Dans la campagne anglaise, rien de tel que les repas d’auberges. Enfouies dans le rural, les chambres sont vieillottes et glaciales, mais le pub sert des plats roboratifs bien utiles pour affronter la boue et la bruine. Velouté d’asperges du Kent, œufs en gelée de Westville Arms, tarte verte du Peak district, valent autant que le gibier en croûte ou le Heavy cake des Baskerville. C’est une brioche sucrée à la poitrine fumée idéale en pique-nique sur la lande. De quoi attirer les chiens au crépuscule… A moins qu’une bonne tourte au lapin ne vous fasse songer à la petite Alice et à ses merveilles. Ou la sole en filets, cuite à l’étouffée de poireaux sauce câpres sur les bords de mer. La province recèle aussi ses rivières à truites, servies au croustillant de bacon, ou ses vieux brochets, mis en quenelles dans le Berkshire. Un blanc-manger aux amandes, vieux plat médiéval tout droit importé de Normandie en 1066, fera office de crème dessert fort agréable. A moins que vous ne préfériez le gâteau de poires du Devon ou le cake de Cornouailles aux écorces confites.
Parmi les péchés mignons de sir Arthur Conan Doyle, je préfère le poulet froid sauce aux airelles et le Scottish Parliament cake. Cet étouffe-élus allie la farine et le beurre au gingembre, quatre-épices et whisky. Mais dans les rivières d’Écosse, on pêche encore le saumon. Servez-vous du poisson frais pour le monter en terrine. Ce saumon à l’écossaise a ceci de particulier qu’il est agrémenté d’une farce au foie de veau et aux raisins secs.
Riche idée que ces cent recettes qui ont, chacune, une histoire policière à raconter. Philippe Asset photographie avec talent l’Angleterre surannée de l’époque Victoria, sa porcelaine, ses services en argent et ses serviettes brodées.
Anne Martinetti, Alimentaire mon cher Watson ! photographies de Philippe Asset, avec la collaboration de la Société Sherlock Holmes de France, 2010, éditions du Chêne, 256 pages, 98 recettes, €25.00