Pour les amoureux de vieux et de beaux texte, un pèlerinage en compagnie de Francis Carco dans les bas-fonds du Bassin méditerranéen, là où croupissaient les filles drainées par la traite des blanches et les exilés de tout poil comme les soldats de Wrangel chassés de Russie. Un livre plein de nostalgie, publié en 1935, qui annonce qu’un monde est en train de s’écrouler mais qui ne saisit pas très bien ce qui se trame pour la planète.
Un journaliste, l’auteur qui pourrait être Carco lui-même, raconte son périple sur le pourtour de la Méditerranée pour enquêter sur la prostitution, le trafic des femmes et, plus généralement, sur tous les trafics imaginés par la pègre. Du Pirée à Marseille en passant par Athènes, Smyrne, Istamboul, Beyrouth et Tunis. Il dresse un état des lieux du « milieu » dans ces différentes villes où il rencontre ses contacts, ex-connaissances, relations et autres truands en exil qui ne sont plus les bienvenus dans leur pays d’origine, mais aussi des policiers chargés de surveiller les activités de ces drôles de citoyens.
C’est à une grande balade dans les bas-fonds de ces villes portuaires que nous invite Carco pour visiter les bars, dancings, restaurants, maisons de passe ou bordels tous plus sordides les uns que les autres. Il dépeint avec le même talent le tripot le plus miteux, la rue la plus répugnante que les paysages les plus somptueux du Proche et Moyen-Orient. Ses portrait sont absolument magnifiques : vieilles putes en fin de parcours, vieux maquereaux désargentés, policiers arrogants, trafiquants rutilants comme des œufs de Pâques, …
Mais ce n’est pas sans une certaine nostalgie qu’il arpente ces lieux de perdition car le milieu semble voué à sa fin prochaine. « Dans chaque port, la police veille et, si habiles que soient certains coquins internationaux, force leur est d’admettre que la longue et déconcertante impunité dont ils ont scandaleusement joui, est bien près de finir. » Dans ce roman, Carco essaie de nous faire comprendre qu’un monde se meurt et qu’un autre est en train de naître, n’oublions pas que ce roman a été publié en 1935 dans des temps de fortes turbulences partout en Europe. Il a bien senti que ce monde, et pas seulement celui de la pègre, était en cours de mutation mais les mutations qu’il pressentait ne sont pas forcément celles qui se sont produites. Les putes qu’il a croisées jouaient leur dernière chance dans ces rades à matelots, comme les maquereaux jouaient leur dernière carte dans ses bas-fonds sordides, comme la Turquie jouait sa dernière chance avec les Jeunes Turcs au pouvoir, comme le monde jouait une dernière carte avant de voir le plus terrible conflit jamais vu s’abattre sur l’ensemble de la planète. Carco n’était pas un bon prophète mais il a bien senti que quelque chose n’allait plus, qu’un monde s’effritait qu’il faudrait bien un jour trouver une solution pour reconvertir les putes, recaser les maquereaux qui se tournaient déjà vers la drogue et canaliser toutes les énergies qui ne pensaient qu’à exacerber les nationalismes montants. « De quelle nature seront les réactions que soulèveront à sa mort les successeurs du Ghazi (Kemal) ? »
Un livre plein de nostalgie, un livre d’avertissement aussi, « Il avait parlé pour les hommes de son espèce de « la dernière chance » qu’ils jouaient contre les règlements et les idées nouvelles. » Et, aussi, une réflexion sur l’éphéméréité des choses de ce monde….
« Dernière chance ! Dernier va-tout ! Banco ?… Perdu !