La Panthère des neiges, très beau livre de Sylvain Tesson, transporte le lecteur dans les hautes montagnes du Tibet, où vit ce félin rare et insaisissable, aussi fascinant qu’inspirant.
Sylvain Tesson a ce pouvoir de nous offrir dans chacun de ses livres le contraire de notre réalité, l’envers de notre décor, l’opposé de notre agitation. Ce voyageur-poète a le don de nous entraîner vers des territoires quasi sauvages, de nous donner à voir les quelques vestiges authentiques d’une planète qu’hélas nous mettons à mal depuis des décennies par stupidité et aveuglement. Son dernier ouvrage « La panthère des neiges », qui vient d’être couronné par le prix Renaudot, use du pouvoir des mots pour reconstituer un monde vierge de toute dégradation humaine et nous rendre proche ce qui est devenu, au fil du temps, tellement lointain, improbable et étranger à notre quotidien.
Une aventure dans les hautes montagnes du Tibet oriental
Nous voici au Tibet oriental vers le sud du Kunlun, dans la vallée des yacks, par une température de -25°C. Le décor est posé : celui de montagnes arides, univers minéral où se croisent les antilopes, les ânes sauvages et où, selon Héraclite « la nature aime à se cacher » sous un ciel saupoudré d’or, univers où se sont retirés quelques-uns des plus beaux spécimens du monde animal, dont la panthère des neiges. « Les éboulis cuirassaient de bronze les pentes sombres. La patine reflétait la lumière que nous respirions. Nous allions aveuglés de froid et lavés par le vent. » Ce n’est que par l’effort et la persévérance que les chercheurs d’or de cet espèce vont apercevoir l’idole des cimes. Cette expérience unique, Sylvain Tesson la vit avec son ami Vincent Munier, photographe animalier, et deux compagnons qui se sont lancés eux aussi dans cette aventure exigeante qui se résume à saisir l’insaisissable « afin d’habiter le monde en poète »*.
Sylvain Tesson ne cache pas son admiration pour les animaux sauvages, ceux que l’homme n’est pas parvenu à modifier ou supprimer totalement, malgré la peine qu’il se donne à les bêtifier à son image dans les cirques, ou les femmes qui se parent des plumes du paon en jetant sur leurs épaules un manteau ou une étole en fourrure. En fuyant ces dangereux individus, ces nobles bêtes tentent de sauvegarder leur autonomie, leur indépendance, en quelque sorte leur royauté.
Guetter la panthère des neiges, un art de la patience et un rendez-vous avec la solitude
Le principe de gué, d’affût, que Tesson et ses amis ont choisi d’adopter pour surprendre l’animal, est une dette à payer au monde entre vallon et ciel, avant que l’homme achève d’asservir la nature. N’y a-t-il pas déjà 60% de l’espèce sauvage qui a disparu. « Le monde reculait, la vie se retirait, les dieux se cachaient. La race humaine se portait bien. Elle bâtissait les conditions de son enfer, s’apprêtait à franchir la barre des 10 milliards d’individus. » Ainsi allons-nous cheminer avec eux pendant des jours, dans le froid, la solitude et la plénitude si oubliée du silence, enveloppés dans des paysages d’une somptueuse autonomie. Tous est dur, exigeant, absolu en ce temps qui semble se substituer au nôtre, en ces heures qui nous restituent la réalité dans sa genèse. Mais celle du retour est déjà venue. La magnifique panthère les a visités par trois fois avec une égale majesté et un même dédain. Les voyants sont comblés. « Son image, glissée sous mes paupières, vivait en moi. Quand je fermais les yeux, je voyais sa face de chat hautain, ses traits plissés vers un museau délicat et terrible. J’avais vu la panthère, j’avais volé le feu. Je portais en moi le tison. (…) J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. »
Dans ce livre d’une portée poétique au sens le plus large et le plus noble, Sylvain Tesson, que les épreuves n’ont pas ménagé ces dernières années, éveille ce qui ne peut mourir en nous, les mystères des arrière-plans et des présences repliées. En quelque sorte les périphéries du réel. L’évocation délicate et pudique de sa mère qui a regagné l’éternité et celle d’un amour perdu, une fille des bois, reine des sources, prêtent à ce voyage en haute altitude une émotion supplémentaire.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Acheter le Livre La panthère des neiges de Sylvain Tesson
- Broché : 176 pages
- Editeur : Gallimard (10 octobre 2019)
- Collection : Blanche
- Langue : Français
- ISBN-10 : 2072822327
- ISBN-13 : 978-2072822322
* Hölderlin
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Sylvain Tesson et Vincent Munier présentent le livre « La panthère des neiges »
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