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La recherche du temps perdu de Nina Companeez

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                                               VIDEO    et     VIDEO

Sortie en coffret de deux DVD

 

Oui, Nina Companeez n’a manqué ni d’audace, ni d’un indénaible courage pour avoir porté à l’écran l’un des chefs-d’oeuvre littéraire du XXe siècle en deux épisodes de deux
heures chacun, restreignant l’oeuvre à la portion congrue, et n’offrant à voir qu’une série de courtes scènes sans chronologie qui condamne ce monument à n’être plus qu’une
peau de chagrin. Certes, il y a de très jolies scènes, la réalisatrice ayant eu les moyens financiers de faire une reconstitution des décors et costumes magnifiquement réussie,
mais cela s’arrête là, car si le décor est planté ni les personnages, ni l’essence du roman ne sont véritablement présents, surtout dans le premier épisode. Et comment pourraient-ils l’être
? On ne transforme pas une réflexion philosophique sur le temps, la mémoire involontaire, en images d’Epinal, ce n’est pas possible et on ne peut rendre en quelques heures la teneur si subtile,
si complexe d’une oeuvre de ce gabarit. On sait qu’un immense cinéaste avait envisagé de faire cette transposition, Visconti, mais qu’il abandonna le projet, que Raoul Ruiz  résuma de
façon souvent habile Le temps retrouvé, aussi aurait-il été préférable d’en rester là, La Recherche ne se prêtant nullement à une adaptation de par son ampleur et
son contenu. L’oeuvre de Marcel Proust, c’est avant tout des phrases ciselées, une symphonie de mots, une pensée philosophique approfondie, une construction solide et une galerie de personnages
qui sont ici à peine esquissés, virant très vite à la caricature et à la préciosité. Enfin c’est une oeuvre colossale de plus de 3000 pages qui se voit ainsi réduite à une
suite de tableaux le plus souvent plaisants ( les passages filmés à Cabourg sont enchanteurs ), mais ne donnent du roman que ce que la restauration rapide donne à la grande
cuisine : à peine un avant-goût.

Après un premier épisode décevant où le narrateur se substitue à Proust lui-même, ce qui est une profonde erreur, La Recherche étant un roman à part entière et non la biographie
de son auteur, le second épisode se détache par une réalisation qui prend davantage en compte le texte et nous en restitue quelques bribes savoureuses ou émouvantes, surtout à la fin
avec le grelottement ferrugineux de la petite cloche qui annonçait l’arrivée de Swann et le personnage d’Albertine adorablement campé par la jeune actrice Caroline Tillette.  Mais rien ne
subsiste, en dehors d’une imagerie nostalgique ou cruelle, de ce qui constitue le socle de l’oeuvre, les pages merveilleuses sur l’enfance, le baiser maternel et l’inquiétude du petit
garçon guettant l’arrivée de sa mère, l’importance de l’art, qui est plus que la vie, et dont le court dialogue dans l’atelier d’Elstir ne nous donne aucune idée ; ne sont pas
davantage suggérées les considérations de Proust au sujet de l’affaire Dreyfus, non plus  que celles sur la guerre de 14/18, enfin l’importance de l’imaginaire dans la vie de
chacun de nous et les pages consacrées non seulement à l’éloge de la beauté et aux phénomènes de la mémoire involontaire, mais aux exigences de l’intelligence et de la morale,
tant il est vrai que La Recherche s’inscrit dans une démarche rédemptrice, l’art arrachant l’homme à sa médiocrité.

Cette réalisation télévisée de Nina Companeez, qui n’est certes pas dénuée de qualités, donnera-t-elle à notre jeunesse l’envie de se plonger dans l’oeuvre proustienne ? Je n’en suis
pas persuadée, pour la simple raison que le personnage du narrateur nous apparaît d’autant plus décalé dans le film qu’il est joué par l’acteur Micha Lescot de façon trop inhibée, trop
maladive, nous imposant la présence envahissante d’un être craintif, timide et pour le moins coincé, parlant peu et n’ayant ni étoffe, ni relief, alors que Proust jeune était gai,
drôle, et que sa conversation étincelante en faisait un interlocuteur d’exception. Cela n’est guère apparent dans le film, simplement parce qu’en attribuant à l’auteur le rôle
du narrateur, on rend l’oeuvre bancale, d’où ce paradoxe d’un être en retrait qui n’est ni tout à fait le narrateur du roman, ni tout à fait l’écrivain Marcel Proust. Ainsi le
film réduit-il cette Recherche à un livre d’images agréable aux yeux, mais d’où l’esprit est absent, le 7e Art étant un art différent de la littérature et le rendu de l’image
différent du rendu des mots. Je ne prendrai pour exemple que la mort de la grand-mère que l’image inflige d’une façon unilatérale, alors que celle relatée par l’ouvrage littéraire respecte
la vision que chacun peut en avoir et lui autorise toutes les libertés de la pensée et de l’interprétation. Cette différence est capitale. Là où le cinéma impose, la littérature suggère. Si
bien que ces deux épisodes n’aboutissent qu’à circonscrire La Recherche dans le registre du snobisme d’une société aristocratique décadente, aux relations qui se
tissent avec la bourgeoisie en pleine ascension sociale et à l’homosexualité, donnant lieu à quelques scènes racoleuses et ne présentant de Proust qu’une vision joliment
passéiste.

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

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