20 ans se sont écoulés depuis la révolution anticommuniste de Roumanie. Un mouvement qui entraîna des changements radicaux pour ce qui est de la manière de penser, de se rapporter à la vie et à la société. En effet, les statistiques montrent que le niveau de vie des Roumains s’est considérablement amélioré. Mieux encore, nos compatriotes sont beaucoup plus décontractés et jouissent de toutes les libertés. Et ce malgré les voix qui essaient de déprécier les bénéfices de la démocratie.
Certes, beaucoup de choses relevant du passé restent encore à éclaircir alors que le présent n’est pas toujours satisfaisant. Voilà autant de sources majeures de mécontentement. Mais ce qui compte le plus, c’est que chaque Roumain est libre de développer sa personnalité, et ce, grâce à la révolution de ’89.
En se référant aux deux décennies écoulées depuis les événements anticommunistes de décembre, le pasteur réformé Laszlo Tökes, initiateur des mouvements ayant déclenché la révolution de Timisoara, jette un regard religieux sur le présent:
«La métaphore du voyage dans le désert du Sinaï nous apprend que 20 ans, ce n’est que la moitié du pèlerinage. C’est pourquoi on doit faire preuve de patience. C’est le prix d’une transition pacifique, bien que le début ne le fut pas. Par rapport aux autres pays communistes, les Roumains ont payé le prix du sang, le changement exigeant des sacrifices énormes. Le processus s’est adouci par la suite, mais une transition pacifique ne peut pas se faire à un rythme accéléré. Malheureusement, cette continuité communiste entrave la continuité du changement politique. Et l’héritage communiste se fait sentir de nos jours encore. On a du mal à faire la différence entre la gauche et la droite. La mentalité communiste est toujours vivace. C’est un héritage difficile à surmonter et j’espère ne pas devoir attendre que les pèlerins qui errèrent dans le désert pendant 40 ans périssent. Et on sait que cette génération du peuple élu ayant quitté l’Egypte n’est pas entrée en Terre sainte ».
Que faire de cette liberté et de cette démocratie ? Laszlo Tökes revient au micro :
« L’exemple de Herta Müller, prix Nobel de littérature 2009, est très significatif. Il fait passer un message d’encouragement à tous ceux qui ont pris la voie du changement. Pour moi, l’anniversaire n’a pas de connotations de fête. Il nous dit de continuer le processus entamé il y a 20 ans et de ne pas laisser triompher l’autre continuité, à savoir celle du communisme ».
L’historien Adrian Cioroianu, qui enseigne l’histoire contemporaine des Roumains à l’université de Bucarest, fait le point des 20 ans écoulés depuis les événement de décembre ’89:
« Le bilan global est positif, du point de vue de la société. Pourtant, une approche séquentielle de ce même bilan est de nature à nous rendre plus sceptiques. Ce sentiment, je l’éprouve à l’égard de deux choses. La première concerne l’évolution de l’enseignement. Je ne pense pas que les différentes réformes successives, dont une seule fut légiférée – et je me réfère à celle du ministre Andrei Marga – aient conduit à des progrès significatifs. Le deuxième aspect a trait à l’état de la société civile actuelle. Elle se présente plutôt sous la forme de plusieurs clubs ou cercles, qui, à l’instar des partis politiques, regroupent des gens dépourvus de tout sens civique. Il se peut même que certains de ces individus appartiennent à des structures militaires de triste mémoire pour les Roumains. La société civile est un des grands perdants des 20 dernières années, puisqu’il n’y a plus de solidarité et que le message qui lui est adressé reste sans écho ».
Malgré tous ces échecs, Adrian Cioroianu croit toujours que la révolution roumaine, ce mythe fondateur du retour à la démocratie, demeure le moment le plus important de l’histoire récente du peuple :
« Je crois qu’au bout du compte et par-delà les différences qui nous séparent, nous devrons tous faire l’éloge de la simplicité, du professionnalisme et de la définition des termes. De la simplicité parce que cette histoire que l’on dénomme la révolution roumaine fut bien plus simple dans ses détails, peu médiatisés d’ailleurs. Je déconseille à mes étudiants de croire que le couple dictatorial n’a pas été exécuté ou que l’on a perdu la trace des cadavres. Ensuite, l’éloge du professionnalisme sera fait en ce sens que, par bonheur, ce sont les historiens et non pas les politiciens qui vont écrire l’histoire de la révolution. Enfin, je trouve nécessaire que l’on définisse les termes. Moi, personnellement, je tiens au mot révolution. Je suis de plus en plus gêné d’entendre le terme inventé par l’esprit moqueur des Roumains, un mot qui renvoie à la fois à la révolution et au coup d’Etat. C’est, si vous voulez, l’imitation à la roumaine du mot “réfolution”, lancé par Timothy Garton Ash, un hybride des termes révolution et réforme. Nous autres Roumains nous avons inventé ce terme pour dire que ce fut un coup d’Etat camouflé en révolution. Quoi qu’il en soit et en dépit des mystère et miracles qu’on ne cesse d’invoquer, moi je crois bien que ce fut une révolution ».
La révolution roumaine de décembre 1989 est également un bon exercice de mémoire. Plus cette mémoire reste intacte, plus les Roumains seront à l’abri d’une éventuelle répétition de cette maudite leçon du communisme.
Steliu Lambru ; Alexandra Pop, Mariana Tudose