Avec Le bourreau, Heloneida Studart (Litterature bresilienne) plonge le lecteur dans l’enfer du Sertao. Une découverte âpre et difficile du Nordeste (Nord du Brésil) à travers le chemin de croix d’un tortionnaire abandonné par sa mère, au temps de la dictature qui a meurtri le Brésil entre les années 60 et 80.
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Litterature bresilienne – Livre roman
Heloneida Studart raconte l’histoire d’un tortionnaire brésilien au temps de la dictature, Carmelio abandonné par sa mère qu’il n’a jamais connue et qui à son tour abandonne, sans soin, sa tante qui se meurt d’un cancer. Carmelio est un homme de main sans scrupule et sans états d’âme qui commet les pires atrocités, sous les ordres de son supérieur hiérarchique au sein de la police, pour faire parler les opposants arrêtés et décimer ainsi toute forme de résistance à la dictature en place. « Ne le laisse pas mourir, Carmelio. Il ne le mérite pas. Etire sa punition, allonge-la au maximum. Il faut qu’il maudisse le jour de sa naissance. »
Mais, quand Carmelio est envoyé dans le Nordeste pour éliminer un opposant, il tombe follement amoureux de la fille qui aimait, tout aussi follement, le pauvre homme assassiné. Et, à son retour à Rio, il commence à culpabiliser pour toutes les exactions qu’il a commises. Ses nerfs craquent, il devient malade, le fantôme de ceux qu’il a torturés le hantent et il voit, dans ses délires, sa mère qu’il n’a pourtant jamais connue, lui apparaitre et lui reprocher ses actes barbares.
Pour chercher le pardon et la rédemption, il part en pèlerinage avec la fille dont il est tombé amoureux pour rendre hommage à un saint hérétique que les pauvres vénèrent car l’église officielle n’est que le plus fidèle suppôt du régime. Heloneida nous entraîne alors dans un pèlerinage en forme de chemin de croix au cours du quel la petite troupe rencontre ce peuple incroyable, fossilisé, qui peuple le Nordeste, cette région où le soleil a tout mangé ne laissant que la misère aux êtres égarés dans cet océan désertique et sec où on pourrait croire, qu’au détour, d’une page va surgir Maria Moura le bandit justicier du Sertao inventé par Rachel de Queiroz.
Heloneida Studart nous propose un livre engagé, elle a été, elle-même, arrêtée en 1969, elle est une proche de Lula et elle est régulièrement élue députée depuis 1978. C’est donc tout d’abord un livre pour dénoncer les abus de la dictature ; la confiscation du pouvoir par les hommes, par les blancs, par les riches avec la complicité de l’église officielle ; la répression aveugle, brutale, sanguinaire, bestiale conduite par la police comme dans le fameux film « Pixote ». Un livre aussi pour témoigner de la misère la plus cruelle qui frappe les plus démunis, les noirs et les femmes.
Dans ce livre il y a également l’histoire très forte de ce tortionnaire qui recherche sa mère dans toutes les femmes qu’il rencontre. Une mère qui l’a abandonné mais qu’il idéalise et qui essaie de le ramener dans le droit chemin quand il la voit dans ses délires. La femme occupe une place importante dans ce livre, Heloneida Studart est aussi une grande voix féministe au Brésil et elle dénonce le sort qui est réservé aux femmes par ses machos qui veulent tout régir à tous les échelons de la société. « Je n’ai pas fait des filles pour les livrer à un autre homme. » Même riche la femme est toujours la victime dans cette société de brutes sauvages et sanguinaires tout droit sorties des œuvres de Fadanelli, Quiroga, Francesco Vallejo, ou de nombreux autres auteurs latino-américains qui ont dénoncé la violence des pouvoirs autoritaires et cupides.
L’auteur réserve aussi un traitement particulier à l’église qui est, selon lui, totalement compromise aux côtés des dictateurs et soutient fermement le retour à un certain paganisme mâtiné de catholicisme qui sert d’exutoire à toute la misère qui se répand sur cette région tellement défavorisée, et de dernier espoir à ces pauvres hères en perdition brûlés par le soleil et broyés par les autorités. Il conviendrait peut-être de relativiser tout ça car « l’évêque rouge de Rio », Dom Helder Camara, n’a pas toujours été aux côté des dirigeants mais c’est une autre histoire…
Même si dans sa plus cruelle aridité le Sertao ressemble plus à l’enfer qu’à un lieu d’espoir, il recèle tout même cette magie propre à tous les déserts et cette spiritualité qu’imposent la solitude et l’immensité.
Le bourreau d’Heloneida Studart (Litterature bresilienne)
Editions Les Allusifs – 345 pages
Traduction du portugais (Brésil) par Paula Salnot et Inô Riou
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Extrait du Bourreau d’Heloneida Studart :
J’attendis que le soleil se lève pour prendre ma douche. Pour moi, c’était un jour différent, la première journée d’un homme amoureux. J’étais amoureux de Dorinha et j’avais beau m’insulter – « Tu vas voir, crétin, elle te crachera dessus ! » – , un espoir confus m’envahissait. L’espoir du condamné à qui l’on affirme que l’enfer est provisoire. Mon visage dans le miroir de la salle de bains me parut rouge, comme si j’avais de la fièvre ou que j’avais passé la journée à la plage. Dans la salle à manger, je mangeai avec appétit la banane cuite, la part de gâteau de tapioca, le fromage frit. Dona Bonina surgit, le dentier mal fixé, et commença à poser des questions indiscrètes. Avais-je déjà conclu mes affaires ? Je répondis que non et je disais la vérité. Je lui suggérai d’installer l’air conditionné dans les chambres, mais elle rejeta l’idée. Sa plus grande inspiration pour le progrès était de faire remplacer ce petit ventilateur inefficace par un autre fixé au plafond, avec de grandes hélices en bois. J’abandonnai ma suggestion (« Cela donne le rhume », insistait dona Bonina) et demandait à quelle heure ouvrait la bibliothèque municipale. Elle ne savait pas mais promit de téléphoner pour s’informer. Elle traitait ses hôtes avec sollicitude, mais ironie. Le bruit courait qu’elle aimait surnommer ses clients. Un juriste était sorti de chez elle avec le surnom de Filet de Papillon, qui ne le quitta plus, même lorsqu’il eut grossi et réussi son concours de magistrat. Je terminais mon jus de pitanga lorsqu’elle revient, m’informant que la bibliothèque ouvrait à neuf heures.
– Je n’y suis jamais allée, confessa-t-elle d’un air pudique. Il doit y avoir beaucoup de livres indécents, impropres à une femme aussi pure qu’au jour de sa naissance.
Avec cette phrase, elle voulait me faire part de sa virginité moisie.
J’étais d’accord avec elle. Le major Fernando détestait certains livres : « Cela ne sert à rien de découper un homme en morceaux si les livres qu’il écrit subsistent et contaminent tout. »
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[tab name=’A propos de l-auteur’]
Heloneida Studart Soares Orban
Heloneida Studart est un écrivain brésilien. Née à Fortaleza en 1932, elle est décédée le 3 Décembre 2007 dans l’Etat de Rio où trois jours de deuil national ont été déclarés par le gouverneur à l’annonce de sa disparition.
Cette femme de lettres a eu une réputation subversive au Brésil, aussi bien liée à ses oeuvres qu’à l’activité militante et féministe qu’elle a menée durant une grande partie de sa vie. Parmi la dizaine de romans publiés : A primeira pedra en 1953, La liberta è un passero blu, Les huit cahiers et quelques essais (Mulher, objeto de cama e mesa, 1969).
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