Si « Le Discours d’un roi » est en pôle position pour les Oscars 2011, ce n’est pas seulement parce que les frères Weinstein savent placer leurs poulains. Le film est simplement bon, porté par une mise en scène élégante et intelligente , des acteurs forts, à tout le moins… C’est là, incontestablement, un des films-révélations de ce début d’année !
Alors que la Grande-Bretagne se dirige vers les heures les plus sombres de l’Histoire moderne, la question de la succession au trône du Roi George V devient cruciale. Le rôle échouera à celui que l’on nommera George VI – le père de l’actuelle Reine Elizabeth II – qui par ses faiblesses ne présentait a priori pas tous les gages d’un pouvoir fort, rassurant et protecteur …
Pour son second métrage de cinéma après le très estimable The Damned United (2008, sans doute le meilleur film qui ait été réalisé sur les coulisses du football) Tom Hooper fait le portrait d’un monarque en devenir, présentant un handicap a priori rédhibitoire pour sa crédibilité dans les fonctions de représentation qu’il est amené à occuper, ne serait-ce qu’en tant que Duc de York.
Le contexte dans lequel l’histoire s’écrit et se déroule est absolument fondamental. La fin de règne et la succession du Roi George V s’inscrit à un moment charnière, celui de l’entre-deux-guerres mais aussi celui de l’entrée pour les puissances occidentales dans une modernité qui bouleverse de nombreux codes.
De la même manière que le passage du cinéma muet au cinéma parlant a précipité la chute de nombreux acteurs incapables de s’adapter et de faire valoir leurs voix (Buster Keaton pour le plus célèbre et emblématique), la Couronne britannique va trembler face à l’arrivée de la radio. La remarque est principalement vraie concernant le Duc de York, brillamment interprété par Colin Firth, victime de bégaiements qui le ridiculisent. L’obstacle est majeur pour lui, il en a conscience, et c’est pour cette raison qu’il consomme les orthophonistes jusqu’à établir une relation avec le plus hurluberlu d’entre eux (Geoffrey Rush).
La radio n’est en fait que le symbole de l’entrée dans un monde moderne ou soudain les apparences comptent à égalité, sinon davantage, avec les compétences dans l’exercice du pouvoir. Les médias commencent à insérer leurs objectifs et leurs transistors partout et le bon peuple veut voir et savoir. Les secrets les plus gênants ne peuvent ainsi pour certains plus être totalement dissimulés.
Dans la lignée du roi George V, chaque tête présente un handicap. George V lui-même semblait apparemment, au détour d’une signature pour laquelle sa main est soutenue, ne pas savoir tenir une plume. Tant que les flashs ne crépitent pas, personne ne sait, tout réside dans l’attitude et quelques postures. Pour les fils de George V, l’épreuve est plus difficile encore. Edouard VII, l’ainé et le successeur désigné, est plus intéressé par les fastes de la vie mondaine et son mariage avec une roturière américaine divorcée (NB : Madonna présentera à Cannes en mai prochain un film tiré de cette histoire…). Le cadet John est mort adolescent, victime d’épilepsie. Quant à Albert, outre ses bégaiements, il a du lutter plus généralement contre sa fragilité physique.
Le handicap et la modernité sont alors les deux ressorts principaux du récit fait par Tom Hooper. Ils se heurtent même, dans un objectif de progression heurtée, tel le bégaiement du Duc de York. Les méthodes, curieuses pour les uns, novatrices pour les autres, de l’orthophoniste Lionel Logue se confrontent à la posture droite, bienséante et rigoureuse d’un héritier du trône qui a autant de comptes à rendre au monarque en place qu’à la puissante institution Catholique…
Porté par un casting impressionnant en tête duquel le fantastique duo Colin Firth/Geoffrey Rush, Le Discours d’un Roi est un film fascinant par bien des aspects. Il y a donc le récit en lui-même, sa structure et son contexte assez finement relaté ; il y a la performance marquante de Colin Firth, promesse de tous les awards possibles et ça commence à tomber ; mais il y a également la mise en scène de Tom Hooper, inspirée (usage du fish eye par exemple) et élégante. Elle aussi, par sa fluidité faite notamment de maints plans séquences en steadycam, s’oppose au caractère buté, à tout point de vue, du Duc de York. Et il est assez intéressant de se rendre compte comment les séquences sont davantage découpées à mesure que le héros progresse dans son élocution.
Le Discours d’un Roi n’est pas non plus dénué d’émotion. Le film est fort, pas seulement parce que les personnages sont attachants, mais aussi parce que la mise en scène est intelligente et arrive à faire naître quelque chose à l’écran. Le discours final, enrobé par le second mouvement de la 7e symphonie de Beethoven, est une scène clée dont le côté sacré et crucial est habilement restauré. Il y a là un double enjeu, intime et historique, dont la somme s’avère bouleversante.
Tom Hooper est donc le principal artisan de la réussite de ce film, pas seulement riche d’un casting impressionnant. Non, au contraire, le jeune cinéaste confirme tout le bien qu’on pensait de lui depuis John Adams, très bonne mini-série télé historique réalisée pour HBO (2008) avec Paul Giamatti dans le rôle-titre de l’homme politique, et The Damned United (2008), délectable portrait du manager historique (lui-aussi) Brian Clough, alors interprété par Michael Sheen.
Benoît Thevenin
Le Discours d’un Roi – Note pour ce film :
Réalisé par Tom Hooper
Avec Colin Firth, Helena Bonham Carter, Geoffrey Rush, Guy Pearce, Michael Gambon, Derek Jacobi, Jennifer Ehle, Timothy Spall, Eve Best, Anthony Andrews, …
Année de production : 2010
Sortie française le 2 février 2011
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